Nicolas Bourdon

Au secondaire, j’ai fréquenté deux écoles privées réputées de Québec. La grande majorité des étudiants provenaient de bonnes familles de la Haute-Ville; les moins nantis fréquentaient les écoles publiques.

Les professeurs et les membres de la direction ne cessaient de nous dire que nous faisions partie de l’élite. Que « nous étions la crème de la crème », pour reprendre les mots d’un directeur. Que nous recevions une éducation supérieure à celle dispensée dans les autres écoles. Il me semblait alors que quelque chose clochait : nous avions droit à une éducation de grande qualité essentiellement à cause du portefeuille de nos parents. Les autres élèves avaient-ils notre chance?

Je suis professeur de cégep depuis maintenant une quinzaine d’années et je me pose souvent la question suivante : « Si le système public est bon pour le cégep, pourquoi n’est-il pas bon pour le primaire et le secondaire? »

Le cégep privé remet un peu moins de 10 % des DEC décernés chaque année au Québec; le cégep public accueille donc la très grande majorité des étudiants québécois. Le cégep n’offre pas non plus de parcours enrichis et particuliers : par exemple, il n’existe pas de parcours enrichis en sciences humaines ou en sciences de la nature. La difficulté des cours est la même au sein d’un même programme.

Inégalités

Ce n’est pas le cas aux niveaux primaire et secondaire. En effet, l’école québécoise est sans doute la plus inégalitaire au pays, comme l’avait déjà souligné un rapport du Conseil supérieur de l’éducation en 2016. La proportion d’élèves fréquentant l’école privée s’élève à 21 % au Québec, alors qu’elle est seulement de 7,8 % dans le reste du Canada.

L’école québécoise comporte maintenant trois vitesses. Il y a l’école publique qui, voulant compétitionner le privé, s’est mise à offrir des cheminements particuliers; il y a l’école privée et l’école publique à cheminements particuliers pour certains élèves privilégiés; et enfin l’école ordinaire pour les autres élèves souvent moins performants et provenant de milieux moins nantis.

Contrairement aux appréhensions des parents, qui aiment voir leurs enfants évoluer parmi les élèves les plus performants, il n’y a pas de coûts associés à la mixité scolaire : les élèves les plus forts ne voient pas leurs notes baisser parce qu’ils fréquentent des élèves plus faibles. En vérité, plus les classes sont diversifiées, plus le taux de réussite de l’ensemble des élèves augmente.

Il y a cependant un coût réel à la ségrégation scolaire. Dans un article de l’Agence Science-Presse, la doctorante Karine Fofou observe « qu’au Québec, un élève du secondaire ayant suivi un programme enrichi a près de six fois plus de chances de faire des études universitaires que ses camarades du programme régulier. Si l’élève est scolarisé dans un établissement privé, ses chances d’entrer à l’université sont multipliées par neuf ».

Subventionner les privilégiés?

Le plus étrange dans la dynamique actuelle, c’est que tous les Québécois financent l’école privée à même leurs impôts, alors qu’elle ne profite qu’à une minorité d’élèves! Si on approfondit encore davantage la question, on observe que les citoyens habitant loin des grands centres urbains n’ont même pas de choix, car 75 % des écoles privées sont situées à Montréal, à Québec et en Montérégie.

C’est pour mettre fin à cette ségrégation scolaire qu’est né en 2017 le mouvement l’École ensemble. À l’aube des élections de 2022, le plan que ses membres ont présenté est particulièrement innovant. Il ne s’agit pas de cesser toute subvention aux écoles privées, ce qui aurait comme conséquence brutale de les fermer, mais bien de les subventionner à 100 %. Ces écoles, qui deviendraient des écoles conventionnées, cesseraient de sélectionner leurs élèves en fonction de leurs notes et du portefeuille de leurs parents. En revanche, les écoles privées qui souhaitent demeurer privées n’obtiendraient plus aucune subvention de l’État et elles continueraient de sélectionner leurs élèves.

Ce plan n’est pas une lubie. Il est inspiré par l’expérience de la Finlande, où les écoles privées ont abandonné, dans les années 1970, leur caractère sélectif afin d’accueillir tous les élèves. Ce changement fut couronné de succès.

L’État québécois, comme les grandes entreprises d’ailleurs, aime se targuer d’être « inclusif ». Mais, malheureusement, si l’inclusion reste souvent une valeur dont on aime se parer, elle est bien souvent une sorte de slogan publicitaire qui sert surtout à celui qui s’en réclame plutôt qu’au bien public. L’État québécois doit enfin aller au-delà des slogans en adoptant le plan d’École ensemble. Il en va de l’avenir de nos jeunes.

Ce texte de réflexion a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de juin 2022, à la page 31. Nous reproduisons une fois par mois les textes de Nicolas Bourdon dans le site Journaldesvoisins.com.



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