Le texte qui suit a été écrit par l’historien Stéphane Tessier en janvier 2020. Il est disponible sur son site Internet personnel. Pour y accéder, c’est ici.
La première mention d’un noir à l’époque de la Nouvelle-France est celle de Mathieu Da Costa. Il est un engagé qui accompagne Samuel de Champlain. Il a le statut d’un homme libre. Il est interprète. Originaire du Cap-Vert, il parle le français, l’anglais et le micmac. Il est présent lors de la fondation de Port-Royal en 1604. On fait mention de lui pour la première fois en 1603. Il décède en 1607.
Olivier Lejeune est le premier esclave noir. Il arrive en 1629 lorsque les frères Kirke prennent Québec au nom de l’Angleterre. En 1632, Québec est rétrocédé à la France, les frères Kirke quittent et laissent leur esclave sur place. Guillaume Couillart en fait l’acquisition et le fait éduquer par le Jésuite Paul Lejeune. Il est baptisé et son parrain est Olivier Tardif. Ces deux hommes sont à l’origine de son nom : Olivier Lejeune. Couillart veut l’utiliser pour défricher et s’occuper de son moulin. Olivier Lejeune décède en 1654. Les esclaves une fois vendus changent souvent de nom. Le baptême d’un esclave est superficiel puisque contraint et forcé.
Un « Code Noir » est institué dans les colonies françaises des Antilles et de la Louisiane. Il est une ordonnance du roi de France qui définit juridiquement la pratique de l’esclavage. Un premier édit du roi pour appliquer un code noir est fait en 1685 pour la Martinique et la Guadeloupe. En 1687 à Saint-Domingue. En Guyane en 1704. Un deuxième édit en 1723 pour La Réunion. Puis un troisième édit en 1724 pour la Louisiane. Il n’y en aura jamais pour la Nouvelle-France mais on s’inspirera des pratiques qui se font ailleurs.
On retrouve certaines dispositions dans le Code Noirs comme : Interdiction de vendre mari, femme et enfants impubères; Revenus et gains de l’esclave reviennent au maître; Éducation et élevé comme catholique; Obtenir le consentement de son maître pour se marier; Le maître doit entretenir son esclave dont lors de sa vieillesse; les châtiments et punitions relèvent de la justice; le statut d’un enfant est déterminé par un lignage matriarcal; etc.
Louis XIV permet l’importation d’esclaves en Nouvelle-France en 1689.
En 1702, l’Évêque Saint-Vallier déclare l’esclavage comme étant un état héréditaire.
L’intendant Raudot officialise l’esclavage en déclarant que le propriétaire d’un esclave noir ou amérindien le demeure s’il a acquit son esclave légalement.
Les esclaves Amérindiens sont plus accessibles et coûtent conséquemment moins chers. Le marché de la Nouvelle-France n’est pas intéressant pour les trafiquants en raison de l’éloignement.
Il y a une demande d’esclaves noirs pour le défrichement des terres mais paradoxalement on les retrouvera surtout en milieu urbain où ils sont domestiques et ouvriers.
Sous le régime français, les esclaves noirs sont des prises de guerre faites aux anglais ou proviennent de la contrebande en provenance des colonies anglaises.
Une première vente d’esclave en Nouvelle-France a été faite en 1709.
Charles Lemoyne de Longueuil (1626 – 1685) réparti par testament ses sept esclaves entre ses enfants.
L’esclave en fuite des colonies anglaises en Nouvelle-France devient propriété du roi de France.
Lors de la capitulation française en 1763, les anglais reconnaissent le droit de propriété des français et canadiens.
L’achat d’un esclave se fait alors qu’il est jeune. Voit-on rarement des esclaves de 30 ans et plus être vendus. La vente comprend les accessoires qui viennent avec l’esclave dont ses vêtements.
L’esclave noir est un bien de luxe. Plusieurs le placent en gage et en hypothèque.
L’espérance de vie d’un esclave est peu élevé : 25,2 ans pour un noir et 17,7 ans pour Amérindien. La mortalité infantile chez les esclaves était de 39%.
Après un décès, l’enterrement a lieu le lendemain car l’embaument est trop coûteux. Ceci est vrai pour l’ensemble de la population. L’esclave décédé sera enterré dans un cimetière s’il a été baptisé. À Montréal, il existait un cimetière « des Nègres » entre les rues Saint-Jacques et Saint-Pierre.
Les maîtres assistent habituellement aux cérémonies comme des funérailles, baptêmes, mariages… Certains considèrent le baptême comme une promotion sociale d’un esclave mais c’est en réalité un processus de dépersonnalisation. Il est fort probable que de nombreux esclaves noirs qui ont été baptisés étaient musulmans ou animistes.
Après une vente, on doit assurer la continuité de la pratique religieuse de l’esclave.
La Conquête Britannique ne change rien au statut de l’esclave noir : il est un bien meuble. En 1783, l’imprimeur William Brown met en vente une jument et une noire. Le marchand John Turner échange un noir de 22 ans contre un cheval et de l’argent. On voit paraître des annonces dans les journaux : « Elle est bonne domestique. Sait traire les vaches et fait le beurre à la perfection… ».
En 1761, l’esclave Louise demande justice et se fait verser 396 livres par son maître qui ne s’était pas acquitté d’entretenir son esclave.
Un maître pouvait affranchir son esclave mais devait le faire par devant notaire. Une fois libre l’esclave noir réussit mieux que l’amérindien puisque les noirs pratiquent plusieurs métiers tandis que les amérindiens étaient pratiquement exclusivement canotiers.
L’esclave noire Étienne exige sa libération en 1761 après la capitulation française puisqu’elle avait été kidnappée en 1745 dans les colonies anglaises par les français. Elle invoque un article du traité de capitulation que toutes propriétés devaient être retournées. Nous ne connaissons pas la suite des choses…
En 1802, Antoine Juchereau-Duchesnay laisse à son esclave le choix duquel de ses enfants sera son nouveau maître.
La fonction publique « s’ouvre » aux noirs via le métier de bourreau. Mathieu Léveillé est bourreau à Québec de 1739 à 1743. Puis George Burn (ou Barn) de 1795 à 1805. Le métier en est un de solitude. On fait venir une noire pour Léveillé et lorsque la promise arrive, il décède.
Le noir libre Louis-Antoine accepte de redevenir esclave pour marier Marie-Catherine Baccara. En échange, ils seront affranchis au décès de leur maitre.
En 1734, Marie-Josephe Angélique craint d’être vendue contre son gré et elle prend la fuite. On l’accuse d’avoir allumé un incendie pour créer une diversion. L’incendie rase 46 maisons. Elle est capturée et on exige une peine exemplaire. Elle porte sa cause en appel ce qui nous rappelle que l’esclave pouvait avoir à un minimum de justice. Elle admet sa culpabilité après avoir été torturée. L’exécution sera faite par le bourreau Mathieu Léveillé.
Parmi les propriétaires d’esclaves, il y a des communautés religieuses, des évêques, des prêtres, des marchands, des fonctionnaires du roi, des bourgeois, des traiteurs de fourrure, des bouchers, boulangers, hôteliers, taverniers, cabaretiers…
Le nombre d’esclaves monte surtout à partir de 1783 en raison de l’arrivée des Loyalistes suite à la Guerre d’indépendance américaine. Ils viennent s’établir au Canada avec leurs esclaves.
Entre 1790 et 1803, plusieurs noirs des États-Unis travaillent dans les Cantons de l’Est notamment à Saint-Armand à la coupe de bois et à la fabrication de la potasse. On retrouve d’ailleurs à Saint-Armand les vestiges d’un ancien cimetière pour les noirs, le cimetière « Nigger Rock ». Voir documentaire sur « Nigger Rock » : https://www.youtube.com/watch?v=RUyBpLwZzyY
Les noirs indigents sont recueillis par les communautés religieuses : Hôtel-Dieu. Chez les protestants à l’orphelinat Saint-Patrick ou à la « Ladies Benevolent Institute ».
L’esclavage est abolit en 1834 dans l’Empire Britannique. Plusieurs projets de lois prévoyant l’abolition de sont bloqués. Il est à noter que sur 51 élus 13 sont propriétaires d’esclaves à l’assemblée du Bas-Canada en 1792.
Dès la fin du 18e siècle apparaît les premiers livres, publications, articles, reportages décrivant le monde : Moyen-Orient, Asie, Afrique… Le lectorat prend conscience de l’immoralité de l’esclavage.
Le Haut-Canada interdit en 1793 l’entrée d’esclaves sur son territoire et ceux qu’ils y sont deviendront affranchis à l’âge de 25 ans. Le Haut-Canada devient une terre de refuge dont du « Chemin de fer clandestin » (Underground railway).
Un américain se présente en 1794 à Montréal pour réclamer son esclave en fuite. Le juge William Osgoode lui refuse. Lui et le juge James Monk porteront d’autres jugements similaires. Ils refusent de reconnaître qu’un être humain puisse appartenir à un autre.
La dernière vente d’esclave s’est faite en 1797 (Marie Bulkey) et la dernière vente par le truchement d’un journal est en 1798.
On trouve à l’époque quelques objections à l’abolition : Les esclaves deviendront oisifs et conduira à une hausse des crimes. Certains trouvent la pratique de l’esclavage avilissante mais soutiennent le droit à la propriété.
L’abolition de l’esclave aux États-Unis est en 1862.
La justice avant et après l’abolition pour les noirs : Avant l’abolition quelques esclaves noirs demandent justice envers leur maître. Après l’abolition les stéréotypes ethno-raciaux sont apparents dans plusieurs affaires dont celles d’Archibald Brown en 1860 qui est condamné malgré que ce soit lui qui a été agressé par un groupe de garçons. On lui reproche de s‘être défendu! Ou l’affaire Johnson contre Académie musicale en 1899 où il fut expulsé d’une salle de spectacle malgré qu’il ait dûment acheté son billet. L’affaire ira en Cour suprême et à la Cour du Banc de la Reine à Londres! On retient deux arguments, le bris de contrat ou la discrimination raciale. Le clan Brown opte pour le bris de contrat car on juge que la discrimination raciale n’aurait pas un grand impact.
Le roman anti esclavagiste « La Case de l’Oncle Tom » (Uncle Tom’s cabin) est publié en 1852. Son impact au sein de la population américaine est majeur. Le roman est aussi bien reçu au Canada. D’ailleurs, les personnages de George et Eliza du roman trouvent refuge à Montréal.
Les conditions socio-économiques ne changent guère après l’abolition. Les anciens esclaves tombent dans la pauvreté, la prostitution, offre leur service comme engagé, certains refusent leur liberté… Certains s’en remettent à la criminalité et principalement le vol puis la plupart des cas sont des vols de biens de première nécessité.
La population noire devient alors une main d’œuvre mobile. Elle va où sont les meilleures conditions. Ils vivent souvent (90%) parmi la famille qui les engage et vivent donc seuls. Comme au temps de l’esclavage. Cet état de chose rend difficile la constitution d’une communauté noire.
Des noirs sont parmi les troupes du sieur de Salaberry qui repoussent les envahisseurs américains lors de la guerre de 1812.
Les frères Georges et Pierre Bonga nés probablement dans les Pays d’en Haut réussissent à faire leur place dans le commerce des fourrures. Ils sont trilingues et occupent des postes importants au sein de la Compagnie du Nord-Ouest.
Entre 1793 et 1840, on compte 10 noirs qui possèdent des terres à Montréal.
Plusieurs anciens esclaves trouvent des emplois abord des premiers navires à vapeur à naviguer sur le fleuve Saint-Laurent comme cuisinier, serveurs, cireurs… Ce qui annonce leur place au sein des compagnies ferroviaires.
En 1818 à Montréal, on engage quatre noirs pour allumer les nouveaux lampadaires au gaz.
Les femmes noires trouvent des emplois de bonnes, servantes, blanchisseuses, cuisinières…
Au milieu du 19e siècle, le gouvernement du Canada offre des terres à des immigrants agriculteurs mais il est peu enclin à en donner à des noirs : 50 fois entre 1763 et 1853.
Sans passer de lois, le gouvernement fédéral donne des consignes aux employés des douanes et aux compagnies ferroviaires de restreindre l’immigration de noirs.
Les noirs vivent seuls avant et même après l’abolition. Ils vivent éparpillés ce qui rend difficile la constitution d’une communauté. Les premiers signes d’une communauté sont perceptibles dans les années 1880 où on assiste à des manifestations de solidarité avec des congénères. Puis l’assistance de plus fréquente à des cérémonies de congénères comme des funérailles, mariages, baptêmes… Par le passé, on a assisté à quelques évènements avant-coureurs : Manifestations de noirs demandant une plus grande accessibilité à des terres agricoles en 1831; Célébration en 1834 au March Sainte-Anne de la Proclamation de l’abolition de l’esclavage.
Le Haut-Canada crée en 1850 des écoles séparées. Au milieu du 19e siècle, l’éducation est peu élevée et peu étendue de façon générale au sein de la population. Elle est pratiquement inexistante pour les noirs. L’école obligatoire est instituée au Québec en 1940 où l’école doit devenir accessible à tous dont pour les noirs.
L’abolition n’a pas fait disparaître les préjugés et la discrimination. La représentation du noir dans la presse est celle d’une personne peu soucieuse, peu intelligente, désespérée, cannibale, vicieuse… Puis, on l’a représente sous des traits de singe.
Les hôtels, les théâtres et les tavernes limitent ou refusent leur entrée. À l’église, ils ne peuvent se mêler aux blancs. Ils ont leurs bancs en arrière ou dans les balcons. À Québec, une première église noire est créée en 1860. À Montréal, la Union United Church est créée en 1898 qui est située à l’angle des rues Delisle et Atwater.
En 1911, le gouvernement canadien utilise toujours l’argument du temps de la Nouvelle-France que les noirs ne peuvent s’acclimater à l’hiver. Malgré qu’en 1909, le noir Matthew Henson découvre le Pôle Nord avec l’Amiral Pearl!
La place des noirs dans la sphère militaire est assez marginale. Ils sont confinés aux cuisines et aux latrines.
À Saint-Roch, on note la présence en 1841 du noir S.A. Boudreau qui possède une auberge et une maison d’entretien public qui emploie 30 personnes.
En 1861, un dénommé Math Bell possède sa propre entreprise « Carpenterie & Joiner ». Il est reconnu pour divertir les gens avec son grand répertoire de chansons et de légendes.
À Montréal, le cabaret « Key Club » est le point de ralliement des noirs dont surtout les immigrants américains. En milieu urbains, on retrouve plusieurs ensembles de musiciens noirs. Tandis qu’à Québec, la rue Champlain est réputée pour ses débits de rhum et ses salles de danse. La Côte Badelard à Québec était nommée autrefois « la Côte de la Négresse » en raison de la présence d’une tenancière d’auberge noire. https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/patrimoine/toponymie/fiche.aspx?idFiche=251
L’établissement du chemin de fer fourni plusieurs emplois. La compagnie américaine « Pullman » engage du personnel noir. La clientèle blanche y voit un prestige social. Les « red cap » sont des locaux et travaillent aux gares seulement à l’embarquement ou débarquement des bagages. Il y a aussi les préposés aux wagons-lits (ranger bagages, entretien vêtements, faire les lits…). Les compagnies ferroviaires doivent obtenir une permission du gouvernement (permis de travail) pour employer des noirs américains au Canada. Ces emplois sont exclusivement masculins.
Ils s’installent à Griffintown, Saint-Henri et la Petite-Bourgogne à proximité des gares et des emplois dans des logements souvent aménagés par les compagnies ferroviaires. Ils habitent des appartements délabrés, insalubres, surpeuplés et tout près d’égouts à ciel ouvert et de toilettes extérieurs. La nécessité d’associations communautaires et sociales se fait sentir.
La « Coloured Women’s club » de Montréal achète des terres dans le cimetière du Mont-Royal pour les familles n’ayant pas les moyens.
Les noirs antillais contrairement aux noirs américains, ils ne sont pas ici pour travailler seulement mais pour s’installer. Ils fondent en 1912 à Saint-Henri la « Coloured Women’s club » qui sont des femmes d’employés du Canadien Pacifique.
Le révérend Charles Este s’implique dans l’entraide et les luttes communautaires. Il participe à la fondation de la « Negro Community Center » en 1927.
Au début du 20e siècle, il y a une forte demande de domestiques noires. Une centaine de femmes de la Guadeloupe arrivent en 1911. Leur arrivée est remarquée car plusieurs journaux en feront mention.
En 1941, 80% des femmes noires qui occupent un emploi travaillent dans les services domestiques.
La population noire native du Québec dépasse celle des nouveaux arrivants noirs en 1941.
Les emplois pour les noirs au sein des compagnies ferroviaires n’offrent aucune possibilité de promotion. Les emplois sont des contrats de six mois ce qui permet de prévenir les tentatives d’organisations syndicales. Les conditions sont très difficiles : de très longues heures, clientèle pénible, harcèlement des superviseurs, mal nourris… Au début du 20e siècle les porteurs s’organisent contre le patronat et le…syndicat! Menaçant de s’affilier à des syndicats américains, ils obtiennent une reconnaissance syndicale. Une première convention collective est conclue en 1945! Ce travail ingrat néanmoins emploi en 1928 environ 90% des hommes noirs qui tiennent un travail.
Ces porteurs américains vont introduire un nouveau style musical à Montréal : le Jazz. Les clubs noirs animent la vie nocturne de Montréal. Parmi les premiers clubs, on trouve le « Key Club » et le « Nemderoloc Club » (Coloredmen écrit à l’envers). La prohibition américaine de 1919 à 1933 sur l’alcool va transformer Montréal en destination plaisir. Il y avait aussi d’autres clubs mythiques : « Terminal Club », Rockhead’s Paradise », le Café Saint-Michel…
L’ensemble « Johnny Holmes Orchestra » est créé en 1940 et met en vedette Oscar Peterson qui est un natif de Saint-Henri. La sœur d’Oscar enseigne la musique à Oliver Jones. Les années 1940 à 1960 sont les années de gloire du Jazz à Montréal. Le tout prend fin avec l’arrivée du nouveau maire de Montréal, Jean Drapeau et son escouade des mœurs qui mène à la fermeture des clubs. C’était aussi le début de la popularité du Rock-n-Roll.
Les noirs ont été liés aux divertissements mais d’une façon peu élogieuse : le « Blackface » ou e qu’on appelait les spectacles ménestrels (minstrel shows). Ses origines remontent aux temps des États esclavagistes sudistes américains où les propriétaires organisent des spectacles mettant en scènes des noirs caricaturant cyniquement leur état : heureux et insouciants de leurs conditions. Vers 1875, ce genre de spectacles est organisé et commercialisé où les comédiens sont blancs on se maquillant en noirs. Les personnages sont bêtes, comiques et ont des traits peu élogieux : voleur, menteur, craintif, superstitieux, libidineux, violents… Plusieurs troupes viennent faire des tournées au Québec et on engage parfois des acteurs locaux. Les premiers ménestrels québécois est la « Troupe Coffin ». Ce type de spectacle est très populaire, le très progressiste Institut Canadien y offre un spectacle! Ces « spectacles nègres » renforçaient le stéréotype de l’infériorité congénitale du noir.
Situé près de l’Hôtel-Dieu à Montréal, le « Jardin Guilbault » était un lieu de divertissement où on retrouvait un zoo, un jardin botanique, des artistes du cirque, des phénomènes de la nature (nains, femmes à barbe, etc.)… En 1861, les visiteurs pourront voir en cage une exhibition de « nègres étranges » qui sont en vérité des noirs albinos.
La seconde guerre mondiale apporte des changements importants. Les noirs trouvent du travail en usine ce qui entraîne des améliorations socio-économiques. Après avoir combattu le nazisme, le Canada signe la charte des droits de la personne de l’ONU. Suite à cette guerre, c’est à Montréal que le premier joueur de baseball noir va franchir la barrière raciale avec l’arrivée de Jackie Robinson au sein des Royaux de Montréal le club école des Dodgers de Brooklyn.
Comme en 1911, il y a après la deuxième guerre une demande pour du personnel domestique. 2700 femmes noires arrivent au Canada entre 1955 à 19630. Elles proviennent de milieux urbains et sont scolarisées. Elles devront prendre des cours de « ménages »! Rosemary Brown est parmi cette cohorte. Elle sera la première femme noire à élue dans un parlement à l’assemblée de la Colombie-Britannique. Plusieurs feront venir des membres de leur famille ensuite. En 1967, le système canadien d’immigration change et c’est l’instauration du système de points. L’immigrant reçu peut en parrainer d’autres.
La « Révolution Tranquille » décrit une période où l’État Québécois se modernise. À ce moment, il y a un besoin d’une main d’œuvre qualifié. C’est l’arrivée des Haïtiens au Québec. Ils fuient la dictature de François Duvalier en Haïti. Ils sont environ 2000 à venir avant 1968. Ils se distinguent des noirs anglophones car ils sont très scolarisés et parlent français. On nomme cette vague, la « fuite des cerveaux ». Plusieurs parmi eux vont embrasser la cause souverainiste québécoise. On compte des professeurs et des docteurs qui contribuent à la modernisation du système d’éducation et du système de santé dont en région. Parmi eux, on trouve Raymond Duperval, Carlo Jean-Louis, Marie-Françoise Mégie…
Les années 1970 amènent une d’immigrants haïtiens qui est issue de la classe populaire : la fuite « des bras ». La Maison Haïti est fondée en 1972, elle offre des services communautaires et maintien le lien avec Haïti. Maintenant située dans le quartier Saint-Michel depuis 1983, elle vient en aide aux nouveaux arrivants du secteur peu importe leurs origines.
En 1974, les haïtiens s’investissent dans le domaine du taxi malgré l’opposition des compagnies. Les tensions sont tendues dans cette industrie, il y a des affrontements avec des clients et d’autres chauffeurs. Leur combat mène à la création du Bureau du Taxi de Montréal. Les femmes de cette vague trouvent du travail dans la confection de vêtements en manufacture.
Les Haïtiens vont prendre pieds dans l’une des sociétés les moins croyantes au monde. Dans le quartier Saint-Michel à Montréal, on compte pratiquement une église à chaque coin de rue! Ils pratiquent les rites Baptiste et Pentecôtiste. C’est une rupture avec la société d’accueil car ces rites sont conservateurs. La religion prend une place étonnante au sein des haïtiens de 2e et 3e générations. Ils ont appris la langue et fréquentés la société d’accueil mais demeure non assimilée ce qui est l’une des exceptions dans l’histoire de l’immigration au Québec. Le racisme et la discrimination créent des problèmes identitaires causant des difficultés scolaires et de la délinquance. Ils sont des « immigrés » mais sans jamais avoir fait l’exil et l’avoir choisi. La fréquentation de ces églises fait partie de leur construction identitaire.
En Haïti, on trouve trois groupes religieux. Le catholicisme qui est la religion d’État et soutenu par lui. Le Vaudou qui est un amalgame de religions d’Afrique de l’ouest et de catholicisme. Puis, le protestantisme qui a pris une croissance phénoménal depuis quelques décennies en raison de l’occupation militaire américaine d’Haïti entre 1915 et 1934 et qu’il n’y a pas de haut clergé permettant une autorité et une gestion locale.
Le Baptisme accorde une importance capitale au baptême. On croit au devoir de l’évangélisation. Le culte est très puritain, sobre et humble : on croit que l’ancien esclave risque toujours de rechuter. Pas de femmes en pantalons à l’église!
Le Pentecôtisme est également un culte exigeant mais plus intense. Les émotions, la musique et la danse ont une place considérable. La parole de Dieu donne confiance et on cesse d’avoir peur. Le croyant renaît et prend confiance en soi. C’est une rupture avec le catholicisme qui représente la culture du colonialisme. On y trouve des pratiques qui proviennent du Vaudou comme la possession. Le Pentecôtisme est à la fois une affirmation de sa culture haïtienne et de prise de confiance. Le célébrant exulte, crie et vocifère. L’auditoire pleure, crie, soupire et est épuisé! Il y a un soulagement à l’église de parler sa langue et de se retrouver en majorité ce qui donne un répit. Le prêche en créole « entre » dans les racines de chacun. Ce lieu en est de résistance à l’assimilation et au racisme.
La communauté haïtienne fréquente parfois les deux églises à la fois. La religion à la carte!
L’église Sainte-Yvette située au 9000, 7e avenue dans Saint-Michel construite en 1964 était fréquentée par des canadiens-français. Sous fréquentée, elle a été acquise en 2001 par la communauté haïtienne est devenue l’Église évangélique haïtienne de l’Alliance chrétienne et missionnaire. L’intérieur de l’édifice a dû être modifié pour le rendre plus sobre et compatible à un nouveau rite. On y retrouve une « baignoire » pour les baptêmes d’adultes choses très fréquentes au sein de la communauté. La symbolique de ces baptêmes est de « mourir » et de « renaître » à nouveau. On voit plusieurs jeunes quitter la délinquance de la rue pour « renaître ». Vidéo de baptême et d’immersion dans une « baignoire » : https://www.youtube.com/watch?v=lglSUWI5h-4
Depuis quelques années seulement, une révolution musicale se fait dans les Caraïbes et qui est perceptible chez les Haïtiens de Montréal. La musique Konpa est très à la mode dans les églises protestantes. Ce genre de musique était il n’y a pas longtemps associé aux clubs de nuit et honni par les pasteurs. À la manière des messes à gogo lors de la « Révolution Tranquille », le Konpa a permis à la jeunesse de se réconcilier avec une église dans laquelle ils ne se reconnaissaient plus avec ses prêtres qui célèbrent en français avec des chants européens et des instruments occidentaux. Musique Konpa évangélique : https://www.youtube.com/watch?v=KME47Q_O4l4
Lire article dans La Presse « Révolution dans l’église haïtienne » : https://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/montreal-pluriel/201105/14/01-4399484-revolution-dans-leglise-haitienne.php
L’Exposition Universelle de Montréal de 1967 contribue à faire connaître le Québec à l’étranger. Plusieurs étudiants étrangers viennent étudier et s’établir. On les trouve à l’avant-plan de la lutte contre la discrimination. Les étudiants noirs de l’Université George-William (Concordia) dénoncent en 1969 la discrimination, le racisme et les préjugés.
Le recensement de 1986 révèle que le taux de chômage chez les haïtiens est de 25% et 50% vivent sous le seuil de la pauvreté.
Édouard Anglade est le premier policier noir à la ville de Montréal en 1974.
Des noirs de 2e et 3e générations ne sentent toujours pas chez eux au Québec en raison de la discrimination à l’emploi et au logement. Les affaires Anthony Griffin (1987) et Marcellus François (1991) mettent en évidence les relations difficiles avec les forces policières.
Des progrès se font au cours des années 1990 où les effectifs dans la fonction publique représentent un peu mieux les communautés noires. Il y a de plus en plus de noirs inscrits à l’École Nationale d’Administration Publique (ENAP).
La représentativité noire en politique comprend des personnes comme Michaëlle Jean, Yolande James, Dominique Anglade, Maka Kotto…
La diversité noire comprend principalement trois groupes culturels et linguistiques : Les haïtiens francophones de langues créoles, les antillais et noirs d’origine canadienne et les africains qui sont habituellement polyglottes. Les antillais proviennent de la Jamaïque, Barbade, Trinidad et Tobago. C’est parmi eux que l’on retrouve la communauté noire la plus anciennement implantée depuis le début du 20e siècle. Les africains sont des étudiants et sur des programmes d’employabilité qui possèdent une formation supérieure et qui sont souvent des jeunes hommes.
Le recensement de 2006 révèle que la moitié de la population noire est né au Québec. Environ 25% sont de deuxième génération ou plus.
En 1996, 12% des noirs possèdent une scolarité universitaire. 17,7% en 2006 alors que la moyenne québécoise est de 16,5%.
Il y a encore des progrès à faire mais la visibilité des communautés noires est assurée par divers événements comme « La Carifête », « Les Nuits d’Afrique », « Le mois de l’histoire des noirs »…
(Source : Stéphane Tessier)
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