Claire Parant Paradis, peintre et esthète ahuntsicoise, est née à l’apogée de l’Art déco. Une époque foisonnante où la bienséance inhérente à sa classe voulait que l’on vouvoie ses parents et où la discrétion constituait une forme délicate de politesse. Elle est décédée le 2 juillet dernier. Hommage.
Lorsqu’elle naît, en septembre 1925, au 11955 de la rue Persillier, Claire Parant est la sixième d’une fratrie comptant douze enfants, quatre garçons et huit filles. Sa nature réservée la mène, dès son plus jeune âge, à cultiver son monde intérieur. Le goût du dessin lui vient très tôt.
Peut-être l’influence de son père, qui est alors architecte? Assurément, son appétence pour le dessin de mode croît dans ses jeunes années. Jusqu’à la pousser, à dix-huit ans, à découvrir des espaces de création connexes plus portés vers l’extérieur et valorisant le corps sans pudeur : elle devient modèle. Elle porte les tenues raffinées qu’elle dessine… des maillots de bain, notamment.
Claire Parant est une jeune fille moderne ! À l’aube des années 1940, les vêtements de bains répondent encore aux critères de «convenance» d’alors. Ils épousent progressivement les formes corporelles et deviennent moins couvrants.
Néanmoins, ce n’est pas du goût de son père, Louis Parant, qui demeure très pieux.
Celui qui a esquissé entre autres, la nouvelle bâtisse de l’Hôtel de Ville de Montréal après l’incendie survenu le 3 mars 1922, est décrit comme plutôt strict.
Claire, qui est allée à l’école jusqu’à la neuvième, se plie à ses injonctions et à celles de son temps. Une jeune femme de ce rang a pour seul horizon acceptable un «bon mariage».
Le dessin, une affaire de famille
Béatrice, la mère de Claire, une femme très douce, confectionne des chapeaux pour toute la famille. Bernard, le frère de Claire, est aussi dessinateur. «Son talent [de Claire] provient de l’enfance», estime Marie-Hélène, sa première fille. «Nous aussi nous avons vu notre mère dessiner, ajoute pour sa part Élisabeth Paradis, sa seconde fille, peintre évidemment! La transmission vient naturellement, rien n’est imposé.»
En 1942, Claire Parant s’émancipe quelque peu. Elle entre à l’École du Meuble. Pendant deux ans, elle côtoie Jean-Paul Riopelle ou encore Marcel Barbeau «sans vraiment les connaître», précisent ses filles. Sans conteste, ensemble, ils ont beaucoup appris de leurs «professeurs communs, Paul-Émile Borduas ou Jean-Paul Lemieux», pensent-elles. La jeune femme qu’elle est devenue est naturellement élégante et photogénique. Son portrait apparaît, en 1944, dans les colonnes d’un journal à l’occasion d’une soirée dansante qu’elle organise à l’École du Meuble. Cet événement est alors placé sous le haut patronage du député de l’Assemblée législative du Québec d’alors, M. Omer Côté.
Claire Parant et le Refus global
«Maman était réservée, elle n’aurait pas pu accompagner le Refus global», croit Marie-Hélène. Ce mouvement qui s’amorce au cours des années 1930, au Québec, culmine avec la Révolution tranquille. Le lancement du manifeste collectif intitulé Refus global regroupe des réflexions des automatistes, jeunes artistes d’avant-garde qui voient l’art comme laissant toute la place à la spontanéité et à l’expérimentation.
«C’était une femme d’intérieur, selon Élisabeth. Elle passait son temps à jouer avec des poupées en papier qu’elle créait.»
«C’est peut-être de là que provient son goût pour la fabrication du papier et puis aussi son idée de les incorporer à ses peintures?», s’interroge Marie-Hélène.
Maison familiale, boulevard Persillier
À l’âge de 23 ans, elle rencontre Roger Paradis, qui travaille dans une banque à Montréal. Il est originaire de Saint-Pascal dans le comté de Kamouraska. Ils vivent alors rue Valmont juste à un pâté de maisons de la demeure bourgeoise familiale à colonnade, dont Louis a fait les plans tout au début des années 1920. Le couple aura bientôt trois enfants : Marie-Hélène, Alain et Élisabeth.
Comme Béatrice aime recevoir dans sa merveilleuse bâtisse, Claire, ses enfants et son époux se joignent fréquemment aux agapes familiales, pleines de vie, notamment par la présence de nombreux bambins.
«Maman était une personne généreuse, je n’aurais pas pu faire ma carrière si je n’avais pas eu ses encouragements, estime Élisabeth. Pendant près d’un mois et demi, elle a gardé Christophe, mon fils, lorsque j’étais occupée par mon travail et elle lui a appris à cuisiner. Ils faisaient des muffins ensemble. C’était aussi sa façon de donner de l’amour dans les gestes du quotidien. Les caresses qu’elle donnait. Je souhaite une mère comme ça à tout le monde!»
Durant ses dernières années, Claire est restée fidèle à son quartier de Bordeaux. Elle y a vécu après le décès de son époux. Elle allait à pied aux Galeries Normandie et peignait à l’extérieur dans les parcs de la Merci ou Raimbault. Elle s’y rendait munie de sa petite valise en bois.
Claire avait un seul regret. «Elle nous trouvait chanceuses de faire ce dont nous avions envie. Cette liberté de provoquer les choses.»
Cet article est tiré du numéro d’hiver du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré à la culture à Ahunstic-Cartierville.
Lire aussi : «De mère en filles», une exposition sur la transmission
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