Sonia Anguelova signe un nouveau livre entre expression québécoise et parcours d’immigration. (Photo: courtoisie Katherine Anguelova)

Originaire de Bulgarie, l’Ahuntsicoise Sonia Anguelova publie Je vous entends parler aux Éditions Miramar, qu’elle a fondées en 2009. Celle qui a longtemps œuvré pour la francisation des immigrants signe ici un livre dédié aux expressions québécoises, tout en se livrant sur un incroyable parcours de vie. Entrevue.

Sonia Anguelova est l’auteure de L’Abécédaire des années d’exil (2001) dans lequel elle conte son extraordinaire quête de liberté de la Bulgarie au Québec en passant par Cuba, puis d’un recueil de nouvelles. Elle revient aujourd’hui avec un ouvrage atypique: Je vous entends parler. Pour célébrer ses 70 ans, elle a choisi de présenter 70 expressions québécoises.

Celle qui vit toujours à Ahuntsic-Cartierville a accepté de se confier avec sincérité au Journal des Voisins.

 Vous venez de publier un livre original autour des expressions québécoises…

Je vis à Montréal depuis 1999, où j’ai animé beaucoup d’ateliers sur les expressions québécoises. Je voulais rassembler tout cela dans un livre, car étant moi-même immigrante, je pense qu’il est important de comprendre et de maîtriser quelques expressions pour s’intégrer réellement à la culture québécoise.

Sur les conseils d’un éditeur, j’ai revu ma copie, qui ressemblait à un manuel scolaire au départ, pour finalement aboutir à un livre beaucoup plus personnel dans lequel je raconte mon expérience personnelle par le prisme de ces expressions linguistiques.

Votre histoire commence en Bulgarie; dans quel contexte avez-vous grandi?

Je suis née à Sofia en Bulgarie où je suis restée jusqu’à mes 16 ans. J’ai eu une belle enfance entre la ville, la campagne où vivaient mes grands-parents et la mer Noire l’été où résidait ma tante. Mon oncle était poète et c’est auprès de lui que j’ai développé une passion pour la poésie et l’écriture.

À l’époque, le pays était socialiste, donc j’ai reçu une éducation en uniforme, avec interdiction de se détacher les cheveux, et on apprenait par cœur les œuvres des poètes nationalistes.

Pourquoi avez-vous quitté la Bulgarie?

Mon père, qui était communiste et agronome, a accepté une mission de trois ans à Cuba. La famille a décidé de partir avec lui, alors j’ai commencé à apprendre l’espagnol avant notre départ. Mon père et mon frère sont partis en mai 1968, et nous devions le rejoindre, ma mère et moi, en août. Le voyage a dû être retardé à cause de l’invasion en Tchécoslovaquie.

NDLR: Les troupes de l’alliance militaire entre l’URSS et plusieurs pays de l’est de l’Europe, dont la Bulgarie, envahissent la Tchécoslovaquie pour mettre fin à un mouvement de libéralisation.

C’est ce que l’on a nommé le Printemps de Prague. Aviez-vous conscience de ce qui se passait en Europe de l’Est à ce moment-là?

Pas vraiment. J’étais très excitée à l’idée de partir à Cuba et je m’intéressais pas tellement à la politique. Lorsqu’on est finalement partis vers Cuba en octobre, nous avions une escale d’une nuit à Prague. C’est là, en voyant les barricades et en discutant avec des habitants qui nous ont recommandé de ne pas parler notre langue pour éviter que l’on soit pris pour des Russes, que j’ai senti qu’il y avait quelque chose. On nous a dit que les Russes avaient tué des civils… je ne comprenais pas.

Vous êtes donc arrivée à Cuba avec beaucoup de questions, mais pas de réelles réponses?

Lors de ma première réunion des jeunes socialistes à Cuba, j’ai posé des questions sur ce que j’avais vu à Prague, mais je me suis vite fait revirer de bord. Mon père, qui était communiste, l’a appris et m’a chicanée fort aussi. Malgré tout, j’ai continué à poser des questions à la réunion suivante et j’ai fini par être exclue.

Par la suite je me suis fait des amis, j’ai rencontré des adultes qui n’étaient pas communistes et j’ai pu découvrir le revers de la médaille du socialisme. La famille d’une amie est devenue ma famille d’adoption. Même si je vivais toujours avec mes parents, bien sûr, alors il y a eu une coupure nette à partir de là. J’ai continué mes études à l’université de La Havane pendant trois ans, alors que mon frère est reparti en Bulgarie au bout d’un an pour faire son service militaire obligatoire.

Qu’est-ce qui vous a décidé à venir au Québec?

L’idée est venue de la famille de mon amie qui avait le projet d’immigrer au Canada. Mon père voulait retourner en Bulgarie, mais il était clair dans ma tête que c’était hors de question. Je n’ai rien dit, et j’ai mis en place une stratégie. Il fallait que j’arrive à obtenir un billet d’avion et un passeport sans que mon père soit au courant.

J’ai obtenu un billet d’avion pour la Bulgarie avec escale à Terre-Neuve, par le responsable du contrat de mon père. Mon plan était de m’arrêter à mi-chemin. Un jour quelqu’un a sonné à la porte et montré mon billet d’avion à ma mère. Par miracle, j’ai réussi à lui faire croire que je voulais simplement rentrer avant eux pour voir un ami. Elle m’a demandé de l’annuler et j’ai accepté, sans le faire pour autant.

Cela a dû être très stressant…

J’ai eu beaucoup de chance, en fait. Il a fallu que je fasse sortir mes affaires importante petit à petit pour les laisser chez mon amie, puis j’ai eu le malheur de rater mon premier vol… Je suis rentrée chez moi et j’ai pris un autre billet pour la semaine suivante.

Cette fois j’étais très en avance, j’ai récupéré ma valise chez mon amie et  fait mes adieux. Une personne qui n’était pas au courant de mon plan m’a conduite à l’aéroport. Je ne voulais pas lui faire courir de risque, car ce que je faisais était considéré comme un crime. Je n’avais pas le droit en tant que Bulgare, de choisir de vivre ailleurs.

Comment s’est passée votre arrivée au Canada en 1971? 

J’ai fait ma demande d’asile politique, que j’ai obtenu au bout de trois mois, et je me suis installée à Québec. J’étais libre, dans une belle société qui m’autorisait à décider par moi-même. Les premières années ont été très belles, j’ai vécu une forme d’ivresse de liberté. Dès la première année j’ai rencontré un Québécois qui est devenu le père de mes deux enfants et je l’ai suivi pour vivre en Gaspésie.

C’est là que ça a commencé à se dégrader car il s’est mis à boire, à fumer de la marijuana, puis la violence est arrivée. Je me suis dit que je n’étais pas venue jusqu’au Canada pour vivre ça, donc je l’ai quitté.

Comment vous êtes-vous remise de cette expérience traumatique?

J’ai trouvé une petite maison, pas en très bon état, mais où je pouvais vivre avec mes enfants. Mon ex-mari a continué de me harceler pendant des années, mais j’ai fait une rencontre heureuse. Une travailleuse sociale m’a parlé de son projet de création d’un lieu d’hébergement pour les femmes violentées, ce qui m’a permis d’ouvrir les yeux sur ma propre situation.

Elle m’a proposé de travailler sur le projet, ce que j’ai fait. En parallèle, j’écrivais de la poésie, des articles sur les violences intrafamiliales…

Vous n’avez jamais revu vos parents suivant votre départ?

Ils ont su rapidement que j’étais au Canada, et ma mère m’a écrit une lettre crève-cœur qui m’a fait brailler longtemps. Je ne l’ai revue qu’en 1980, lorsqu’elle est venue me rendre visite en Gaspésie. Au départ ça s’est très mal passé car elle voulait savoir qui m’avait aidée à partir et je refusais de lui répondre. Puis, elle ne comprenait pas ce que je faisais dans la campagne gaspésienne, ni pourquoi je les avais laissés pour cette vie-là, alors que j’avais fait des études et que je parlais quatre langues.

Après la visite de ma mère, qui n’avait pas totalement tort, j’ai repris mes études puis j’ai travaillé dans un organisme d’aide à l’intégration des immigrants pendant dix ans à Québec. J’ai beaucoup aimé ça!

De son côté, mon père ne m’a jamais écrit, mais nous avons fait la paix quand je suis retournée en Bulgarie pour la première fois, en 1986. Il a fini par me pardonner…


Sonia Anguelova est l’auteure de L’Abécédaire des années d’exil (2001) dans lequel elle conte son extraordinaire quête de liberté de la Bulgarie au Québec en passant par Cuba, puis d’un recueil de nouvelles. Elle a également écrit le roman Sans retour dans lequel elle raconte ses années cubaines et ses premiers pas d’immigrante. «En 2015, j’ai publié Ce qui demeure: une promenade poétique au pays natal et aussi des recueils de poésie, un livre jeunesse, des livres d’artiste», ajoute-t-elle.

Son nouveau livre Je vous entends parler est en vente en librairie (notamment à la Librairie Fleury) et en ligne. On le trouve aussi dans plusieurs bibliothèques montréalaises.



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