Il y a quelques années, un résidant d’Ahuntsic s’est longuement battu avec l’arrondissement alors que son voisin faisait construire une maison à une hauteur non réglementaire. Il a plaidé sa cause auprès du Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de l’arrondissement et du conseil d’arrondissement formé par les élus, sans succès. Il s’est ensuite adressé à la Cour du Québec où des experts ont débattu de la définition d’un toit plat et d’un toit versant. Le jugement rendu n’a pas été en sa faveur.

Le citoyen a accepté la décision avec réticence et s’interroge sur le rôle du CCU et les décisions qui y sont prises. Il dénonce la complexité de la réglementation.

« Comme je l’ai vu avec mon cas, même les fonctionnaires ne s’entendent pas sur une définition! »

En outre, selon lui, la dérogation mineure aurait été accordée par le conseil d’arrondissement à son voisin après que la construction ait eu lieu. L’arrondissement dément cette allégation. Difficile de prouver qui a raison dans ce cas-ci.

Toujours est-il que le plaignant ressent une frustration bien compréhensible, puisqu’il doit vivre avec ce résultat chaque jour tout à côté de sa résidence. Le ministère des Affaires municipales rappelle d’ailleurs qu’une dérogation mineure ne doit pas être un moyen de légaliser une erreur survenue lors de la construction.

 Dérogation… majeure?

Et puis, dans quelles limites peut-on déroger à la réglementation? Les élus acceptent-ils trop de dérogations?

« À quel moment une dérogation mineure devient-elle une dérogation majeure? » demande ce citoyen.

Autrement dit, pourquoi une réglementation existe-t-elle si un citoyen peut passer outre?

Officiellement, la réglementation municipale existe pour assurer une cohésion sur le plan de l’urbanisme. Parfois, un projet, petit ou grand, nécessite certaines dérogations. Entre alors en jeu un comité d’élus et de citoyens qui décident si une permission spéciale sera accordée.

Le CCU étudie les demandes et soumet aux élus ses recommandations sur toute dérogation mineure à un plan d’aménagement, à un plan d’implantation et d’intégration architecturale, à un changement au règlement de zonage ou de lotissement ou à un projet particulier de construction.

Plus fréquent aux É.-U.

La pratique de dérogation mineure provient surtout des États-Unis, où les élus accordent beaucoup plus de dérogations qu’au Québec.

« Ils pensent au bien-être collectif », expose Danielle Pillette, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.

Mme Pilette explique que dans les années 1970 et 1980, les maisons et les quartiers étaient tous construits de la même façon. Aujourd’hui, les villes essaient de répondre aux besoins particuliers des citoyens.

Le CCU prend de plus en plus d’importance, mais le citoyen ne peut pas demander n’importe quoi.

« L’urbanisme discrétionnaire est un privilège, rappelle Danielle Pillette. Le citoyen a l’obligation de se soumettre aux règlements normatifs de zonage. Le CCU n’a pas l’obligation de lui accorder un privilège. »

Des centaines de demandes

La plupart des permis sont accordés sans l’intervention du CCU. L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville n’a pas voulu confirmer le nombre de dérogations mineures qui sont étudiées annuellement, mais en épluchant les procès-verbaux du CCU, on remarque qu’environ une quinzaine de dérogations sont accordées mensuellement.

De janvier 2013, jusqu’en août 2015, soit sur une période de 30 mois, le CCU avait étudié 443 dossiers.

Les demandes sont généralement toutes acceptées, mais sous réserve de certaines conditions pour plusieurs d’entre elles. Le requérant finit souvent par accepter les modifications ou présenter un tout nouveau plan, plus conforme.

Dans l’arrondissement, un citoyen qui fait une demande de dérogation doit payer jusqu’à 2000 $ pour l’étude de son cas et la parution d’un avis public dans certains médias (NDLR: journaldesvoisins.com reçoit aucun avis public payant à publier; il le fait gratuitement dans l’intérêt de ses lecteurs). À Montréal, les frais varient entre 400 $ (Anjou) et 3500 $ (Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce).

En 2015, au moment où la décision sur le dossier du citoyen Robert Tétreault a été rendue, le CCU d’Ahuntsic-Cartierville était composé de deux élus, soit du maire, Pierre Gagnier (président) et de la conseillère du district du Sault-au-Récollet, Lorraine Pagé (vice-présidente).

Cinq citoyens (deux architectes, un architecte paysagiste et deux urbanistes), sont également membres du CCU. Leur mandat de deux ans est renouvelable.

Depuis l’élection de novembre 2017, les membres du CCU sont Jérôme Normand, conseiller du district Sault-au-Récollet (président); Hadrien Parizeau, conseiller du district de Saint-Sulpice (vice-président):  André Émond, architecte paysagiste; Claude Beaulac, urbaniste ; André Leguerrier, architecte; Caroline Parent, architecte; Chantal Letendre, urbaniste. La mairesse Émilie Thuillier est membre suppléante dans les cas où un élu membre d’office devrait s’absenter.

Le nombre de membres dans un CCU diffère d’un arrondissement à un autre ou d’une municipalité à une autre. Par exemple, le CCU de l’arrondissement Ville-Marie compte neuf membres. Celui de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce en compte 13.

« Un simple citoyen a la capacité de participer au CCU, estimait Lorraine Pagé, interviewée en 2015 par journaldesvoisins.com. Je ne suis pas architecte ou urbaniste, mais je suis sensible aux besoins de notre arrondissement et il est important de donner une place aux citoyens dans nos mécanismes démocratiques».

CCU : consultatif

Le CCU est purement consultatif. Ultimement, ce sont les élus à la réunion du conseil d’arrondissement qui prennent la décision de permettre une dérogation aux règlements.

« Le CCU est entièrement autonome. Il ne devrait pas normalement sentir de pression du conseil municipal », affirme Mme Pillette.

Selon Mme Pagé, il est rare que les élus rejettent entièrement la recommandation du CCU; ils suggèrent plutôt des modifications.

« On ne banalise pas les recommandations du CCU. »

L’étude de cas particuliers permet aussi aux élus et aux fonctionnaires de constater certaines lacunes ou incongruités dans la réglementation.

« Ça nous donne un aperçu du développement urbanistique; on peut s’assurer que ce développement n’est pas anarchique », expliquait Mme Pagé.

Par exemple, si le même type de demande revient souvent, les élus peuvent s’interroger sur la pertinence du règlement. D’ailleurs, en 2015, l’arrondissement révisait sa réglementation.

« Nous sommes à revoir nos règlements, pour les rendre moins compliqués, précisait Mme Pagé. On ne veut pas que ça soit une course à obstacles pour les citoyens. »

Des décisions pointues

Au chapitre du fonctionnement des CCU, l’urbaniste Danielle Pillette reproche justement la lourdeur des procédures.

« Il y a certaines matières qui nécessitent des études longues et détaillées, comme les PPU (projets particuliers d’urbanisme), qui peuvent changer l’usage ou la densité d’un secteur. Le CCU doit étudier les PPU sous différents angles; on y consacre beaucoup d’énergie. Mais, parfois, on consacre trop d’énergie à des choses qui sont mineures. On consacre trop de temps, par exemple, aux couleurs des bâtiments, aux poignées de porte. »

Un couple de résidants du Sault-au-Récollet a d’ailleurs dénoncé cette lourdeur administrative lors de la séance du conseil d’arrondissement, en août 2015. Ils habitaient un secteur considéré patrimonial régi par une réglementation stricte. Changer une porte ou peinturer sa maison nécessite des approbations de la Ville. Faire des réparations peut devenir un véritable casse-tête.

Pas de limites

Selon le ministère des Affaires municipales, la loi ne définit pas les limites d’une dérogation mineure; l’interprétation est laissée à la discrétion du conseil; les décisions doivent être prises pour l’intérêt collectif.

Mme Pagé rappelait à l’époque que, de toute façon, si les élus prennent trop de décisions à l’encontre de la volonté citoyenne, ils seront chassés du pouvoir aux élections suivantes…

La question demeure toutefois  : y a-t-il trop de demandes de dérogations acceptées par les élus?

Cet article a été publié dans le magazine papier de septembre 2015 et a été mis à jour par Christiane Dupont en mars 2018.



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