Sollicitation immobilière
Ces deux circulaires publicitaires distribuées à grande échelle dans les boîtes aux lettres d’Ahuntsic-Cartierville (Photo : courtoisie de Facebook)

La distribution non sollicitée de circulaires publicitaires par des investisseurs immobiliers dans des boîtes aux lettres de résidences d’Ahuntsic-Cartierville a suscité de vives réactions dans la communauté. Journaldesvoisins.com a enquêté sur cette sollicitation, jugée comme une nuisance par de nombreuses personnes, et sur les mystérieux investisseurs qui en sont à l’origine.

Des exemplaires de deux circulaires publicitaires, rédigées sous forme de note manuscrite de type personnalisé, ont été distribués en grand nombre dans les boîtes aux lettres des logis l’arrondissement en février.

 

Des investisseurs qui cachent bien leur jeu

La première est signée de la main d’un certain Frank au nom d’un groupe d’investisseurs fonctionnant sous le nom AcheteursdemaisonsMontréal.com.

« On est des investisseurs privés, puis ce qu’on cherche à faire, c’est d’acheter des maisons pour ajouter de la valeur », indique Laura, conseillère aux ventes, à qui le JDV a parlé en se faisant passer pour un vendeur potentiel.

Elle explique que le dénommé Frank est un « spécialiste en maisons » qui pourra, sur la base de quelques informations à fournir, évaluer la valeur de la maison à vendre et préparer une offre d’achat.

Selon les informations disponibles au Registre des entreprises du Québec (REQ), Acheteursdemontreal.com est un exploitant de bâtiments résidentiels et de logements travaillant également sous le nom CASH HOUSE BUYER INC. dans la grande région de Toronto.

L’actionnaire principal de cette compagnie, enregistrée au REQ en mars 2020, est Bliss Realty Inc. Il s’agit d’une entreprise basée à Scarborough en Ontario qui se présente, sur sa page LinkedIN, comme le plus grand acheteur privé de maisons en Ontario.

« Nous nous spécialisons dans l’achat de propriétés résidentielles de vendeurs qui ont besoin de vendre rapidement, qui préfèrent travailler avec des investisseurs plutôt que des agents d’immeuble, qui sont dans des situations difficiles, ou qui ont des propriétés dégradées », peut-on lire sur le site Internet de Bliss Realty (notre traduction de l’anglais).

La deuxième circulaire publicitaire n’est pas signée. Vérification faite, le numéro indiqué renvoit au bureau de Jérémie Ouellette, courtier immobilier résidentiel chez l’agence RE/MAX Crystal à Blainville.

« On est à la recherche active », explique Linda, réceptionniste au bureau du courtier, à qui le JDV a parlé en se faisant, encore une fois, passer pour un vendeur intéressé.

Elle explique que l’équipe de Jérémie Ouellette a été mandatée « par un groupe d’investisseurs pour trouver des propriétés », mais que M. Ouellette est également intéressé à acheter des propriétés en son nom.

« Vous savez que le marché actuel, c’est un marché de vendeurs, c’est absolument fou comme valeur. Les gens, ils vendent beaucoup plus cher que l’évaluation municipale », insiste la représentante de Jérémie Ouellette, auprès de qui le JDV a joué le client mystère.

L’ACEF, un organisme communautaire spécialisé dans le domaine des finances personnelles, du crédit et de la consommation qui œuvre à la défense des droits des consommateurs, s’inquiète de ce genre de sollicitation ciblant des personnes en situation vulnérable.

« Jusqu’à présent, nous avions vu des cas de prêteurs hypothécaires qui faisaient de la sollicitation auprès des personnes dont le compte de taxes municipales étaient en souffrance, mais peu ce genre d’investisseurs », souligne  Johanne Arnould, conseillère budgétaire, finances et planification à l’ACEF du Nord.

Sollicitation balisée pour les courtiers, mais pas pour les investisseurs immobiliers

Le JDV a approché l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ) pour savoir si ces pratiques de sollicitation controversées étaient conformes aux normes et pratiques professionnelles qui encadrent le courtage.

« Chaque membre est soumis à la Loi sur le courtage immobilier, à des règles et à un code de déontologie stricts », se contente d’indiquer Marjolaine Beaulieu, directrice adjointe et relationniste à l’APCIQ.

Sans commenter davantage le cas précis de Jérémie Ouellette, qui est membre en règle de l’APCIQ, l’association nous a référé à l’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ), l’organisme chargé de veiller au respect par les courtiers de la Loi sur le courtage immobilier.

« Lorsqu’un courtier fait de la sollicitation ou des représentations pour ses services de courtage, il doit respecter certaines règles », fait savoir l’OACIQ par courriel.

L’OACIQ a d’ailleurs publié un Guide sur la publicité des agences et des courtiers immobiliers « afin de clarifier les règles en matière de publicité professionnelle ».

Le guide précise notamment que, si les courtiers sont généralement libres de choisir la forme et la présentation de leur publicité, ils doivent y inclure des mentions obligatoires — dont leur nom ou le nom de leur agence — et s’assurer de respecter les autres règles en matière de publicité, soit notamment « qu’elle n’est pas fausse, trompeuse, incomplète ou qu’elle passe sous silence des faits importants ».

Dans le cas que le JDV lui a soumis, comme « le courtier ne sollicite pas les vendeurs potentiels pour les représenter », l’OACIQ ne considère pas que Jérémie Ouellette fait la publicité pour ses services de courtage. Les règles de publicité prévues au Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité ne s’appliquent donc pas.

« Si un de vos lecteurs est préoccupé à la suite de la réception d’une telle publicité, il peut contacter le Centre Info OACIQ, une ligne téléphonique où un agent répondra à ses questions », précise toutefois l’organisme de régulation des services courtage immobilier, dont le mandat est principalement d’assurer la protection du public.

Tant et aussi longtemps qu’il n’offre pas ses services de courtage aux vendeurs, rien n’empêche un courtier de représenter des investisseurs immobiliers intéressés à acheter des propriétés, voire d’agir à son propre compte comme investisseur immobilier.

Selon un courtier à qui le JDV a parlé sous couvert de l’anonymat, les conditions actuelles du marché font en sorte que l’inventaire de propriétés disponibles est extrêmement limité et que les courtiers s’arrachent les clients. Dans un contexte, où le marché est dominé par une poignée de courtiers qui contrôlent une grande partie de l’inventaire, le fait que des courtiers se tournent vers l’investissement immobilier n’est pas surprenant.

Beaucoup moins encadré que le courtage, ce secteur est d’ailleurs en plein essor depuis quelques années, et représente un eldorado pour les « cowboys de l’immobilier ».

Publicité déguisée ?

Bien que les investisseurs immobiliers n’aient pas à se soumettre aux exigences strictes qui s’appliquent à la publicité des courtiers, leurs produits publicitaires peuvent être soumis à l’examen du Code canadien des normes de la publicité.

À la demande du JDV, la directrice, normes et communications, du bureau des normes de la publicité de Montréal, Danielle Lefrançois, s’est penchée sur les deux publicités distribuées le mois dernier dans Ahuntsic-Cartierville.

À première vue, elle constate qu’on est « plus dans les nuances de gris », en ce qui concerne la conformité de ces deux publicités aux normes.

Dans le cas de la publicité d’Acheteurs de maisons Montréal, Danielle Lefrançois se dit d’avis que le format « peut donner l’impression que c’est un particulier », mais qu’il s’agit vraisemblablement d’un choix de « style publicitaire ».

« Ils ont adopté cette stratégie-là pour piquer la curiosité de consommateurs potentiels », estime-t-elle.

Elle ajoute que, malgré le style de message qui se veut plus personnalisé, il est « clair que c’est une publicité », notamment parce que l’annonceur est clairement identifié avec le nom et l’adresse du site Internet de l’entreprise.

La publicité de Jérémie Ouellette est plus problématique à ses yeux.

« L’annonceur n’est pas clairement identifié. Il faut que tu appelles pour savoir de qui il s’agit, c’est qui ce groupe d’investisseurs-là. L’information n’est pas disponible directement sur la pub », observe-t-elle.

Ceci semble contrevenir à l’article 1 (f) du Code des normes de la publicité qui stipule que l’annonceur doit être clairement identifié.

« Si tu veux de l’information, tu es obligé de téléphoner, puis tu ne sais pas à qui tu vas parler », note Danielle Lefrançois.

La publicité pourrait également être considérée comme une publicité déguisée au sens de l’article 2 du Code des normes de la publicité qui précise :

« Aucune publicité ne doit être présentée dans un format ou dans un style qui dissimule le fait qu’il s’agit d’une publicité. »

Le conseil des normes n’a pas été appelé à se pencher formellement sur ce dossier, indique Danielle Lefrançois, car le Bureau des normes répond aux plaintes du public et n’exerce pas une surveillance des publicités.

« Ça soulève des questions, c’est sûr », conclut la directrice des normes qui précise que si des plaintes étaient formulées à l’égard de l’une ou l’autre des publicités en question, le dossier serait soumis au conseil des normes.

Le bureau de Jérémie Ouellette n’avait pas répondu à notre demande d’entrevue au moment de publier, mais un porte-parole de Bliss Realty Inc. a accepté de parler au JDV plus tard cette semaine. Nous reviendrons donc prochainement sur ce sujet.



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Alex
Alex
3 Années

Merci pour votre recherche ! J’ai reçu la première publicité (Frank) et je l’ai transmise à l’arrondissement dès que je l’ai reçue, mais ils n’ont rien fait sauf me référer à la police…
Je trouve cette publicité très dérangeante et dangereuse (même si elle est zone grise de la légalité) puisqu’une personne vulnérable (déficiente, âgée, etc.) pourrait facilement être abusée et arnaquée.

Lucie Jasmin
Lucie Jasmin
3 Années

Bon travail de journalisme. Ce type de message, écrit à la main et déposé anonymement dans ma boîte à lettres, avait soulevé quelques interrogations chez moi. Votre article m’éclaire à ce sujet. Restons vigilants.

Sylvie Giguère
Sylvie Giguère
3 Années

Merci pour cet article! J’ai aussi reçu cette publicité et çà m’a inquiétée. Outre l’angle de l’abus de personnes vulnérables, je suis préoccupée par l’impact de ces pratiques si ces entreprises venaient à posséder beaucoup de maisons dans le quartier. Quel serait-il? Hausse indue du prix des maisons? Locations de type Airbnb? Accès plus difficile à la propriété? Votre prochain article se penchera-t-il sur ces questions? Ce serait intéressant.

Jocelyne Coderre
Jocelyne Coderre
3 Années

Merci beaucoup pour vos recherches. Très intéressant à savoir en tant que propriétaire dans le quartier.

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