Plusieurs postes de professeur titulaire sont vacants dans les écoles d’Ahuntsic-Cartierville et, plus largement, de la métropole. Cette situation n’est pas nouvelle, mais risque d’empirer avec le retour en classe des écoliers du primaire et des élèves du secondaire alors que la Covid-19 rôde toujours et pourrait faire en sorte que des enseignants titulaires, notamment, doivent s’absenter.
« La situation est criante », affirme une enseignante du primaire d’une école de l’arrondissement qui préfère rester anonyme en raison d’une clause de non divulgation d’information qu’elle doit respecter par rapport à son employeur, le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM).
Ce problème en était déjà un avant la pandémie de la COVID-19.
« Lorsqu’un enseignant s’absente, c’est quasiment une impossibilité de lui trouver un remplaçant, même avant qu’arrive la pandémie », affirme Alex Pelchat, enseignant à l’école Saint-Gérard dans Villeray, non loin d’Ahuntsic-Cartierville.
À Ahuntsic-Cartierville, comme partout à Montréal, on observe une hausse de la population qui fait en sorte qu’il faut ouvrir plus de classes dans les écoles primaires pour accueillir les enfants supplémentaires. Souvent cependant, le nombre de professeurs qualifiés ne suit pas cette hausse d’enfants et de classes.
Des suppléants non qualifiés
À chaque début d’année, il y aurait de 20 à 40 classes en attente d’enseignant(e)s, estime la professeure d’Ahuntsic-Cartierville.
« Ce que le gouvernement fait en ce moment pour pallier le manque d’enseignant(e) est d’ouvrir les portes à plus de gens », explique-t-elle.
Résultat : les gens qui entrent en poste n’ont pas nécessairement une formation adéquate. À l’école Saint-Paul-de-la-Croix, au cours de la dernière année scolaire, un remplaçant a été embauché et est resté trois jours avant d’être mis à la porte quand les élèves, n’ayant rien à faire et étant mal surveillés, ont découvert en cherchant le nom du suppléant sur Google qu’il sortait de prison.
« De simplement baisser les critères d’embauche fait en sorte que des personnes moins formées sont acceptées mais ne sont pas capable d’assumer la charge de travail que requiert présentement le milieu de l’éducation », ajoute l’enseignante.
Toujours à Saint-Paul-de-la-Croix, un professeur de musique est en congé de maladie. Frédéric Bataille, un parent d’élève, raconte au jdv que la personne qui le remplace n’a aucune formation en musique et ne sait même pas comment lire les notes. Il n’y a donc plus vraiment de musique, le remplaçant est là surtout pour surveiller les élèves.
Alors que M. Bataille envoyait son fils à Saint-Paul-de-la-Croix en partie pour le programme de musique, cette absence de professeur fait partie des facteurs qui ont motivé sa décision, et celle de sa femme, de transférer leur fils à l’école Fernand-Séguin.
Les parents sont tout de même conscients qu’à Fernand Séguin, il y a aussi un problème de manque d’enseignant(e)s.
La situation du professeur de musique à Saint-Paul-de-la-Croix n’étonnerait pas la professeure anonyme ayant contacté le jdv.
« Dès que l’on veut se faire remplacer, il est presque impossible d’avoir un enseignant diplômé pour prendre notre place. Il n’y en a plus aucun sur les listes de tout le CSSDM », dit-elle.
Une autre professeure abonde dans le même sens. Elle dit s’inquiéter quand elle doit s’absenter puisque personne ne pourra adéquatement la remplacer. C’est encore plus stressant pour les absences de longue durée comme un congé de maternité. Elle ajoute même que régulièrement les professeurs ne peuvent même plus aller à leurs formations puisqu’il manque de suppléants.
Les remplaçants s’enchaînent
Dans plusieurs écoles du CSSDM, les enseignant(e)s remplaçant(e)s peuvent se succéder les uns après les autres.
« Tu mets un adulte sans formation adéquate dans un local avec 25 enfants avec lesquels il ne sait pas quoi faire, il ne se sentira pas compétent. Pas étonnant que le lendemain, cet enseignant n’aura pas envie de revenir », dit notre source.
Impact sur les élèves
Ces nombreux changements de professeur ont évidemment un impact sur les élèves.
Avant la pandémie, un parent d’élève de l’arrondissement avait écrit au jdv pour dire que son fils de 2e année a commencé l’année dernière avec une suppléante. Depuis, et jusqu’à la fermeture des écoles, les remplaçantes se sont succédé. Le père trouve que son fils a changé, il est devenu impatient et impoli…
« Après deux ans et demi sans problème, je me suis fait appeler six fois en neuf jours en février… », se désole-t-il.
Depuis trois ans, Raphaël, élève de 5e année à l’école primaire Saint-Paul-de-la-Croix, appelle son école « la petite école où on n’apprend rien ». Sa mère constate un retard dans son apprentissage. Elle s’inquiète pour l’entrée au secondaire de son fils qui a perdu l’habitude de travailler en classe.
La mère a donc décidé de rattraper le retard de son fils en retenant les services d’un professeur privé, ce qui implique de débourser des montants supplémentaires. Si elle peut se le permettre, elle est consciente que ce ne sont pas tous les parents qui en ont les moyens.
Une éducatrice en service de garde, qui désire également demeurée anonyme, estime que cette succession d’enseignant(e)s non qualifiés peut causer une perte du lien de confiance, de l’anxiété et un désintéressement de l’école chez l’enfant. Mère de famille, elle est elle-même inquiète pour la rentrée de son fils à la maternelle.
Solution : valoriser le métier
Pour l’enseignante du CSSDM qui doit rester anonyme, la solution au problème de la pénurie passe par la valorisation du métier d’enseignant pour que plus de gens s’inscrivent au baccalauréat en enseignement et qu’il y ait plus de diplômés. Pour cela, il faut augmenter la qualité des conditions de travail des enseignant(e)s.
Pour l’instant, les enseignant(e)s ont une surcharge de travail due notamment à la hausse du nombre d’élèves, à l’intégration d’élèves en difficultés dans des classes ordinaires, et à une augmentation des tâches administratives à accomplir.
Le salaire à l’entrée des enseignant(e)s au primaire est de 46 000 $ au Québec. Ce sont les moins bien payés du Canada. Les diplômés ont beaucoup de dettes étudiantes puisqu’ils ont eu plusieurs stages à faire durant leurs études, ce qui les empêche de travailler ailleurs. Seul le dernier des stages obligatoires est rémunéré.
Trop de pression
Une autre raison de la pénurie d’enseignant(e)s est la détresse psychologique que vivent ces enseignant(e)s.
« Il est très difficile pour chacun d’entre nous d’accepter que nos élèves ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin. Il y a un manque énorme de ressources en orthopédagogie, psychoéducation, orthophonie, psychologie, sans parler de la forte pression des parents, et c’est l’enseignant(e) qui doit alors assumer ces rôles alors qu’il sait très bien qu’il n’a pas la formation et les ressources pour le faire », explique l’enseignante anonyme.
Cette pression crée chez les enseignant(e)s de l’épuisement et de l’anxiété qui, après quelque temps, deviennent trop importants pour certains. C’est à ce moment que l’enseignant(e) demande un congé de maladie qui entraine la succession de suppléants.
Ces congés sont habituellement renouvelés chaque mois. Ces contrats de courte durée sont très peu attrayants pour les suppléants, privés de sécurité d’emploi. Ils savent aux quatre semaines s’ils restent ou s’ils partent.
Pareil au service de garde
La même pénurie existe chez les éducateurs et éducatrices en service de garde. L’éducatrice remplaçante anonyme qui a contacté le jdv affirme que même quelqu’un sans formation ni qualification peut être appelé à travailler.
Ce n’est, selon elle, pas un emploi pour lequel il est intéressant de postuler, car il n’offre pas beaucoup d’heures. La moyenne est de 15 heures par semaine pour un poste permanent puisque les éducateurs ne sont pas requis pendant les heures de classes.
L’éducatrice croit qu’une restructuration devrait être faite pour offrir des horaires plus adaptés. Elle propose que les éducateurs et éducatrices puissent faire d’autres tâches pendant la journée comme aider les enseignant(e)s débordés. Tout le monde y gagnerait.
Pénurie en temps de pandémie
L’enseignant de l’école Saint-Gérard, Alex Pelchat, craint la rentrée 2020. Il croit que le manque de professeurs va être un enjeu majeur.
« Ça va être l’enfer! », s’exclame-t-il.
Déjà qu’il sait qu’il est difficile de remplacer un professeur en temps normal, il croit que la situation sera bien pire lors de la prochaine année qui s’annonce sous le signe de la pandémie et une possible deuxième vague. Il risque, selon lui, d’y avoir plus d’absences à cause de la COVID-19, notamment si un enseignant ou un de ses proches contracte la maladie. Les enseignantes enceintes, ceux immunosupprimés et ceux de plus de 70 ans vont aussi être retirés.
« La pénurie d’enseignant va juste empirer », conclut-il.
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