
Le 16 mai, la Ville de Montréal a inauguré la Place des Montréalaises au-dessus de l’autoroute Ville-Marie. « Rares sont les places publiques consacrées aux femmes de l’envergure de celle qu’on retrouvera dans la métropole québécoise. C’est un geste qui mérite d’être souligné », explique Nathalie Collard dans La Presse.
Dans Ahuntsic-Cartierville, quelques aménagements honorent des contributions de femmes à la vie publique, par exemple au parc Jeanne-Sauvé entre la rue Basile-Routhier et le pont Viau. Des gestes plus significatifs ont été réalisés au parc Berthe-Louard, où une seconde œuvre d’art public a été inaugurée le 13 mai dernier : Là où le temps prend racine de Juliana Delgado-Theophanides et Anita Lourié. Une première œuvre de Linda Covit commémorant l’action de Mme Louard et de la Guilde familiale existe dans ce parc depuis 2007 :Les graminées.
Un autre aménagement fort est celui de la place Iona-Monahan, rue Chabanel Ouest, à l’intersection de l’avenue de l’Esplanade. La Commission de toponymie du Québec nous dit : « Son nom rappelle le souvenir d’Iona Monahan (1923-2006), journaliste, coordonnatrice de mode, directrice artistique et publicitaire. Elle a été décorée de l’Ordre du Canada en 1985 pour son apport à l’industrie de la mode. »
Les travailleuses
Le choix d’une personnalité connue du monde de la mode à cet endroit précis illustre la difficulté d’honorer dignement et de manière pérenne la valeur du travail des milliers de femmes qui ont trimé dur entre les murs des complexes industriels du secteur désigné « quartier de la mode » en 1986.
Leur histoire commence dans une usine de munitions de petit calibre au 9500, boulevard Saint-Laurent. En 1942, devant la forte demande, le gouvernement fédéral demande à la Defence Industries Limited de construire la Montreal Works sur des terrains expropriés au nord de Chabanel. Des centaines de travailleuses vont y contribuer à l’effort de guerre de 1943 à 1945.
En avril 1946, la Corporation des biens de guerre annonce que 36 entreprises deviendront locataires du 9500, Saint-Laurent et que le complexe sera rebaptisé Crown Industrial Building. Le nombre d’emplois créés est un des critères de sélection de ces entreprises dont les baux sont d’une durée de 5 ans ; 1800 personnes y trouvent un emploi.
Le bâtiment accueille des productions diversifiées, telles que produits chimiques, plastiques, travail de métal en feuille et traitement du cuir. Le groupe d’entreprises le plus important est cependant lié à la confection de vêtements, et comprend notamment Empire Knitting, Canadian Lady Corset, Angora Manufacturing, Eterna Textile Printing, Novelty Quilting et Old Southern Colony Chenilles. Plusieurs sont de jeunes entreprises qui ont remonté le corridor industriel du boulevard Saint-Laurent du bas de la ville vers le nord.
Autour de ce noyau, tout un écosystème industriel va se développer. D’autres entreprises s’installent graduellement sur le boulevard Saint-Laurent, dans les rues Meilleur, de Louvain, de Port-Royal et Sauvé, ainsi que sur l’avenue du Parc. À partir des années 1960, des modifications aux règlements d’urbanisme permettent la construction d’immeubles industriels locatifs de fort volume, notamment sur l’ensemble du côté nord de la rue Chabanel Ouest. L’essor manufacturier va durer jusqu’au début des années 1980.
Aux travailleuses canadiennes-françaises, des vagues successives d’immigration vont ajouter un nombre important d’ouvrières provenant, entre autres, des communautés italienne, grecque, portugaise, haïtienne, vietnamienne et, plus récemment, de l’Asie du Sud-Est. Plusieurs habitent les quartiers Saint-Simon-Apôtre et Parc-Extension, à proximité, tandis que d’autres viennent travailler de Saint-Michel et de Saint-Léonard.
Leur rémunération est faible, leur taux de syndicalisation aussi. Plusieurs facteurs compliquent le recrutement syndical, entre autres le bas coût pour les entreprises du travail à la pièce à la maison et la sous-traitance facile à des entrepreneurs contractuels. Par ailleurs, le fait que la plupart des entreprises sont de propriété familiale et que leurs administrateurs sont accessibles rend parfois plus humains les rapports de travail.
Il faut aussi souligner ici la place des entrepreneurs membres de la communauté juive. Ils sont souvent eux-mêmes immigrants récents. Les fondateurs, arrivés les mains vides, ont au départ travaillé dans des usines ou comme simple vendeur.
Commémorer leur labeur
Un premier geste de commémoration de la valeur du travail de ces femmes est fait en 2023 à l’initiative de dames de la communauté italienne : la réalisation de la murale Le Donne d’Acciaio, littéralement « les femmes d’acier », au parc Saint-Simon-Apôtre.
Il y aurait lieu de réfléchir à un témoignage ancrant de manière plus permanente dans le quartier Chabanel la mémoire du travail de toutes ces femmes, quelles que soient leurs origines.
Cet article a été publié dans la version papier du JDV de juin 2025.
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