Comme une note de musique qui se faufile sur un air donné, Jeanine Vanier a su composer avec l’unique regard de son cœur. Les paupières closes ont filtré la dureté du monde pour ne laisser entrer que la grâce, et faire de la vie de l’octogénaire un hymne à l’amour.
Jeanine Vanier est née le 21 août 1929, privée du sens de la vue.
Ses parents décident de l’envoyer en pension à l’Institut Nazareth, une école de musique pour les non-voyants, tenue par les Sœurs Grises. Jeanine y étudie l’orgue et le piano.
« À l’époque, raconte-t-elle, on n’intégrait pas les aveugles. On les dirigeait automatiquement vers la musique, croyant qu’ils avaient une meilleure oreille. »
Une main sur les touches et l’autre sur la partition en braille, l’adolescente apprend ses pièces et développe sa mémoire.
Tout en poursuivant sa maîtrise en musique à l’Institut Nazareth, Jeanine y enseigne le piano et le solfège. En 1955,
elle entame un doctorat à l’Université de Montréal.
« Je voyageais en taxi, car il n’y avait pas encore de métro! », explique-t-elle.
Jeanine sera professeure d’orgue, d’harmonie et de contrepoint à l’Institut Nazareth durant douze ans, mais en 1959, elle devra quitter le pensionnat en raison du déclin de l’école. La jeune femme loue alors une chambre et commence à donner des cours à l’Université de Montréal, à l’Institut Louis-Braille pour garçons ainsi que dans une institution anglophone.
Souffle d’indépendance
En 1968, Jeanine s’établit à Ahuntsic et commence sa vie en appartement.
« Je donnais des ateliers musicaux au Centre des loisirs de la Ville de Montréal, près du parc des Hirondelles. Je connaissais le quartier, car j’étais organiste à l’Église Saint-Paul-de-la-Croix depuis 1952. J’ai donc décidé de m’installer tout près. Prendre l’autobus et contourner les nids-de-poule avec ma canne n’étaient pas évident! Heureusement, les gens m’ont aidée », dit-elle en souriant.
En 1983, Jeanine cesse ses activités à l’UdeM, mais elle continue de travailler comme organiste et de donner des leçons privées. Parallèlement, elle rédige des copies de partitions et de méthodes de piano en braille pour l’Institut national canadien pour les aveugles (INCA).
Retraite occupée
À 65 ans, Jeanine prend sa retraite et se lance dans le bénévolat. Elle étiquette des disques en braille pour l’organisme Vues et voix durant trois ans. Elle fait aussi des appels téléphoniques d’amitié pour Entraide Ahuntsic Nord (NDLR: un organisme d’Ahuntsic-Cartierville pour les aînés) depuis une quinzaine d’années. De plus, avec l’association « Les notes à domicile », elle accompagne au synthétiseur des chanteurs qui se déplacent chez les gens lors d’une occasion spéciale.
La musicienne fait également partie de plusieurs fraternités, dont celle des Franciscains séculiers, ainsi que du groupe « Les amis de l’aventure évangélique ».
« J’ai senti le besoin de cheminer intérieurement, confie-t-elle. Je reçois de l’accompagnement spirituel, et je participe à des rencontres bibliques hebdomadaires. »
Musique et amitié
Si, à 88 ans, Jeanine vit seule dans un haut de duplex, elle se dit bien entourée : une cousine vient lire son courrier; un neveu l’emmène faire son épicerie; une voisine l’accompagne à la messe; une autre vient lui porter la communion; un ami de l’Alliance culturelle (NDLR: un organisme d’Ahuntsic-Cartierville pour les 50 ans et plus) est toujours prêt à lui rendre service. Ensemble, ils aiment aller aux concerts, assister à des conférences ou sortir boire un café…
Lorsqu’elle est chez elle, l’octogénaire dévore les livres d’histoire et les polars, tandis que résonnent les mélodies de
Stravinsky, Debussy, et les standards de jazz. Jeanine apprécie aussi la bonne compagnie.
« Quand je reçois, j’achète des plats préparés, car je suis meilleure pianiste que cuisinière! », précise-t-elle en riant.
Force et altruisme
Depuis son départ du nid familial à l’âge de huit ans, Jeanine a affronté les changements, le handicap, les déceptions professionnelles…
« La musique est devenue mon amie avec un grand A. Elle nécessite une grande discipline. La rigueur inculquée par les Sœurs Grises m’a aidée à traverser les épreuves, murmure-t-elle. Je suis organisée, mais je vis un jour à la fois. »
Jeanine a su s’adapter. Elle a même trouvé la force de s’occuper de ses semblables.
« Il faut essayer d’en aider d’autres pour ne pas trop se préoccuper de soi. Chaque matin, je dis une prière de gratitude.»
Sur ces paroles, la musicienne se met au piano, et son visage s’illumine.
Cet article a été publié la première fois dans notre magazine papier en décembre 2017. On peut en prendre connaissance en cliquant ici sur la version pdf, en page 19.
Ce texte a été primé au Gala annuel 2018 des Prix de l’Association des médias écrits communautaires du Québec (AMECQ).
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