Rémi Boivin, professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. Photo : UdeM

Entrevue avec Rémi Boivin, professeur titulaire à l’École de criminologie de l’Université de Montréal et directeur du Centre international de criminologie comparée.

Quels sont les leviers permettant d’agir sur la sécurité à Montréal et à Ahuntsic-Cartierville en particulier?

En matière de sécurité, Ahuntsic-Cartierville présente une situation similaire à l’ensemble de la ville, même s’il existe des petites différences. Depuis les années 1990 jusqu’en 2014, partout, on a observé une baisse généralisée de la criminalité. Puis les courbes ont ensuite remonté tranquillement. Cependant, les niveaux actuels n’atteignent pas ceux enregistrés précédemment.

La sécurité réelle est-elle en phase avec le sentiment de sécurité exprimé?

D’abord, les crimes contre les biens prédominent. Ces infractions sont assez éloignées d’une fusillade en pleine rue, qui symbolise l’insécurité dans l’imaginaire de la population.

Ensuite, plusieurs facteurs permettent d’expliquer la différence entre sécurité objective et sécurité subjective. Le sentiment subjectif est nourri à la fois des statistiques objectives sur les infractions fournies par la police, mais aussi de plusieurs autres éléments.

À titre d’exemple, le désordre dans la rue, comme des poubelles renversées, non ramassées, influe sur ce sentiment, et pourtant celles-ci n’ont aucune incidence sur la sécurité réelle. L’article La victimisation criminelle au Canada, 2019 montre bien cette distorsion entre le sentiment de sécurité et la criminalité réelle.

Par ailleurs, la situation économique peut aussi avoir une influence sur la sécurité, ce qui n’a rien à voir avec la sécurité orchestrée par la police. L’augmentation des crimes ne peut pas être expliquée que par un seul facteur ou par les seules actions des forces de l’ordre. Pendant la pandémie, certains crimes ont fortement reculé, car nos activités d’interactions ont changé. Cette diminution n’a donc pas grand-chose à voir avec les actions policières.

Les statistiques révèlent une recrudescence de faits en matière d’exploitation sexuelle juvénile partout au pays. En revanche, dix ans après l’adoption de la loi sur la criminalisation des clients de la prostitution, les infractions en la matière semblent inexistantes, comment l’expliquer?
[…] Il faut être prudent avec les statistiques en matière de prostitution et d’infractions liées aux stupéfiants. Si les activités peuvent être détectées par la police, sans victimes directes, elles ne sont pas dénoncées par les citoyens. Si personne ne porte plainte, cela ne signifie pas que le crime n’existe pas. Certaines victimes ne veulent pas dénoncer (peur des représailles ou des conséquences pour elles-mêmes). C’est pourquoi ces données-là doivent être documentées autrement, car elles n’apparaissent pas dans les statistiques.

De la même façon, comment établir qu’un vol de voiture, qu’un méfait ou un crime est rattaché au crime organisé ou à un gang? Au moment de l’infraction, personne ne peut le savoir. Tant que le dossier n’est pas jugé par la justice, cela peut prendre beaucoup de temps. C’est l’une des raisons pour lesquelles les statistiques ne sont pas précises en la matière.

Quels sont les moyens d’action sur les fraudes, qui sont, elles aussi, en augmentation?

À noter que, si elles sont globalement en hausse, certaines fraudes ne sont pas enregistrées par certaines institutions bancaires. Si les organismes de crédits ne les signalent pas, parce qu’ils ne veulent pas partager leurs données, les statistiques de la police ne peuvent être exactes en la matière.

Néanmoins, dans le secteur de la fraude, la police peut avoir un effet, notamment en matière d’enquêtes et de renseignements et de bonne gestion des informations.

Quelle place occupe la police dans le niveau de sécurité de l’arrondissement?

Si la police a un rôle prépondérant en matière de sécurité, dans l’imaginaire. Dans les faits, elle intervient rarement avant et pendant la commission des crimes, mais plutôt après. Il ne s’agit pas de mésestimer son rôle, elle a une certaine emprise sur la situation générale, mais il est plus limité que ce que chacun voudrait croire. En effet, la sécurité est complexe et ne peut être circonscrite par une seule stratégie.

Le schéma simpliste voudrait que, si la sécurité va bien, ce soit parce que la police fait bien son travail et inversement.

Augmenter les effectifs de police, est-ce une solution pour améliorer la sécurité?

Avec plus de policiers, il est vraisemblable que le sentiment de sécurité se porterait mieux, mais pour autant, cela ne conduira pas à une sécurité objective améliorée, ce n’est pas évident. Demander plus d’effectifs est une solution de court terme pour agir sur le sentiment de sécurité.

[…] D’où l’importance des organismes communautaires, qui sont des joueurs importants dans la prévention du crime et dans la sécurité. La police ne doit pas s’occuper seule de sécurité, l’ensemble de la communauté doit se saisir de cette problématique.

Cet article est tiré du numéro d’automne du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré à la sécurité à Ahunstic-Cartierville.



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