Avec la crise du logement, les défenseurs des locataires constatent que plusieurs propriétaires multiplient les tactiques de harcèlement, soit pour augmenter le loyer, soit pour que le locataire quitte son appartement.

Le marché du logement locatif surchauffe depuis des mois à Montréal. À l’approche du premier juillet, ça ne s’améliore pas.

« Si vous habitez un logement depuis longtemps et que votre bail est sous le prix du marché, tôt ou tard, vous allez avoir de fortes pressions de votre propriétaire », constate Yvon Dinel, organisateur communautaire au Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC).

M. Dinel ajoute que de plus en plus de propriétaires n’hésitent plus à utiliser une panoplie de moyens pour augmenter le loyer au-delà de ce qui est permis par le Tribunal du logement (l’ancienne Régie du loyer). Ou pour carrément faire quitter les lieux.

On parle de rénoviction ou de propriétaire qui veut loger un membre de sa famille. Ce proche n’occupera jamais le logement. Ou les rénovations sont cosmétiques. Mais le propriétaire en profite pour fortement hausser le loyer du prochain locataire.

« On reçoit des centaines d’appels chaque année sur ce sujet, reprend M. Dinel. Mais cette année, c’est plus intense. La technique habituelle, c’est un propriétaire qui demande une augmentation abusive, le locataire la refuse, puis le proprio se lance dans du harcèlement. Il multiplie les pressions. Certaines situations sont franchement révoltantes et d’une tristesse infinie. »

Pour illustrer le phénomène, Journaldesvoisins.com a contacté trois locataires qui ont demandé de l’aide au CLAC et qui ont accepté de témoigner anonymement.

Va-t’en en résidence!

Une dame de 83 ans, qui demeure depuis 28 ans avenue Bois-de-Boulogne, dans un immeuble à logements multiples, s’est fait dire qu’il était temps qu’elle aille vivre dans une résidence. Or, cette dame était parfaitement autonome. Pendant des mois, la pression de son propriétaire a grandement affecté sa qualité de vie.

Le propriétaire revient périodiquement à la charge, verbalement et par écrit. Il a contacté la famille de sa locataire.

Il a même falsifié le formulaire de renouvellement de bail. Il a crocheté que la locataire ne désirait pas renouveler, alors que, sur l’original de cette dernière, la petite case indiquait qu’elle voulait renouveler. Il a fallu que la famille se déplace trois fois devant le Tribunal du logement dans cette affaire, car le propriétaire affirmait que le bail n’avait pas été renouvelé. Au premier procès, la famille a obtenu gain de cause, mais le propriétaire a demandé deux fois une révision du jugement. Sans succès.

Le proprio a déposé à la police une plainte de bruit contre sa locataire. Quand les policiers ont cogné à sa porte, elle était en pyjama. Il a même craché en sa direction dans le corridor.

Il a refusé de réparer le robinet de la cuisine, non fonctionnel depuis un an. Il a été jusqu’à écrire que sa locataire ne pouvait bénéficier de l’aide juridique, car ses revenus étaient supérieurs à ce qu’elle avait déclaré. Il a même écrit à sa locataire qu’elle n’avait pas le droit de visiter ses voisins d’immeuble.

La famille a envoyé des lettres recommandées pour que le propriétaire envoie les exterminateurs. Il les a refusées. Il a fallu envoyer un huissier… Le harcèlement a cessé depuis que le propriétaire a perdu le contrôle de son immeuble pour non-paiement de taxes.

Augmentation abusive

Une autre dame qui habite un quadruplex dans Ahuntsic, rue Berri, a vécu du harcèlement dès qu’elle a refusé une demande d’augmentation de 100$.

La dame a signé une cession de bail avec l’ancien locataire de propriétaires qu’elle connaissait, puisqu’ils étaient d’anciens voisins locataires qui avaient récemment acheté un immeuble.

Elle cherchait depuis un moment un appartement où elle se sentirait en sécurité, sans succès, lorsque ses anciens amis l’avertissent qu’ils ont un 4 ½ à louer à 750$. Durant la visite, elle constate que l’appartement n’est pas dans le meilleur état. Elle s’entend avec les proprios pour le nettoyer et le peinturer une fois le locataire actuel parti. À la visite suivante, elle constate que le logement est très sale et tellement en mauvais état qu’il était pratiquement inhabitable. Mais plus moyen de reculer : elle avait signé la cession de bail.

Elle se lance dans les travaux de peinture et y déménage quand même en janvier. Mais en mars, les proprios exigent une augmentation salée, qu’elle refuse. Ils rétorquent qu’elle devra déménager en mars, vu qu’elle n’a pas de bail.

Désemparée, la dame s’adresse au CLAC qui, après recherches, affirme que la cession de bail lui donne le droit de rester. Ce que confirme le Tribunal du logement, malgré le fait que l’ancien locataire et le propriétaire refusent de lui donner une copie du bail.

Le propriétaire n’en démord pas : elle n’a aucun bail et doit quitter les lieux au 31 mars… ou accepter la juteuse augmentation, qui serait illégale en vertu de la cession de bail. Car ce document confirme la reconduction du bail aux mêmes conditions, avec la nouvelle locataire.

La locataire vit depuis dans l’attente d’une demande officielle d’augmentation de loyer, qui n’arrive pas.

Partage de profits

Il y a le cas de cet autre locataire d’un 5 ½ à 985$, qui exploite une garderie en milieu familial dans un logement situé dans un quadruplex du quartier Chabanel. Au moment de signer son bail, en 2016, le locataire avertit son propriétaire qu’il va opérer une telle garderie, ce qui ne semble pas faire de problème. Mais tout a changé quand le locataire demande certains travaux de rénovation. Du jour au lendemain, le proprio a exigé un partage des profits du service de garde, sinon une augmentation immédiate de 100$.

Si le locataire n’acceptait pas l’augmentation, il faisait face à l’expulsion.

Les rapports entre propriétaire et locataire se détériorent irrémédiablement avec le temps. Le premier passait en retard pour collecter le loyer et… accusait son locataire de payer en retard, ce qui lui donnait un argument en faveur de l’expulsion. Or, le locataire exige de payer comptant, car le propriétaire refuse de signer un reçu en cas de transfert d’argent. Il finit par refuser de signer tout reçu… pour pouvoir affirmer plus tard qu’il n’a pas été payé.

Pire, il se présente un matin avec sa femme et son beau-frère, qui est affiché au bail comme copropriétaire de l’immeuble (ce dernier agit comme prête-nom, parce que le propriétaire a des problèmes de crédit). La discussion devient rapidement agressive, toujours autour de la thématique d’expulsion, tellement que le locataire doit appeler la police.

Rapidement, le locataire dépose une plainte pour harcèlement au Tribunal du logement. Avant de passer devant le juge, les avocats s’entendent : le locataire accepte une augmentation de 40$, mais le bail est gelé pour trois ans à ce prix. Et le harcèlement doit cesser.

Ce qui ne fut pas le cas. Le propriétaire a même demandé la reprise du logement pour sa mère et sa fille. Retour devant le Tribunal du logement, qui statue que le proprio n’avait pas le droit de faire une telle demande d’expulsion, car la bâtisse est inscrite au nom… du beau-frère.

Nouvelle démarche du proprio devant le Tribunal du logement : il exige une augmentation parce que le coût de ses assurances a grimpé à cause de la garderie de son locataire. Or, ce dernier a ses propres couvertures d’assurance. Nouveau refus du Tribunal.

Depuis trois ans, le propriétaire se présente régulièrement devant ses locataires, et de manière souvent agressive. Parfois, il menace d’en venir aux coups. Aux dernières nouvelles, il a demandé une augmentation de 800$! Son locataire multiplie les mises en demeure pour faire cesser le harcèlement et s’attend à retourner devant le Tribunal du logement pour contester l’augmentation de loyer abusive.

Les propriétaires harceleurs sont-ils une minorité? Impossible de le savoir. Or, l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville compte 58 985 logements, dont 61% (38 550) sont en location. Lors d’une manif récente pour dénoncer la crise du logement, le CLAC avait mentionné que le taux d’inoccupation, dans l’arrondissement, se situait à 1,2%. Or, un marché équilibré, selon les experts, se situe à 3%.



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