Dans ce dessin humoristique paru dans Le Canard le 31 août 1985, l’artiste se moque des pêcheurs qui prétendent avoir vu un tel animal à Québec et aussi à Sault-au-Récollet.

En cette période où se profile une enfilade de campagnes électorales — avec ce qu’elles comportent de réalité améliorée et de faits alternatifs —, il est bon de se rappeler que ces phénomènes ne datent pas d’hier. Ils ne sont pas non plus l’apanage des seuls politiciens.

Voici deux relations révélatrices à ce sujet d’un même événement qui a eu lieu au mois d’août 1895 au pied du pont Viau.

Nous résumons tout d’abord un extraordinaire récit de pêche paru dans un quotidien anglophone puis enchaînons avec un extrait d’article paru quatre jours plus tard dans La Presse.

Montreal Daily Herald, le 25 août 1895

C’est à un groupe de Montréal qu’appartient l’honneur d’avoir capturé le Serpent de mer du Sault-au-Récollet, soit Samuel Meadows, artiste, habitant au 260, rue Richmond, Charles Greenwood, du 235, rue Richmond, E. Douglas, de la rue Notre-Dame et Fred Morris. Ils sont partis en expédition de chasse et de pêche à Back River vendredi après-midi en ne se doutant guère du gibier extraordinaire qui les attendait. Vers 4 h, l’attention de la troupe fut attirée par un poisson extraordinaire qui avait sorti la tête à plus d’un pied au-dessus de la surface de l’eau.

Meadows, membre des Prince of Wales Rifles, saisit son fusil. Il attendit une seconde apparition du monstre, qui ne tarda pas à montrer de nouveau sa tête. Celui-ci n’avait pas l’air agressif, mais plutôt curieux et calme. Sans attendre d’être attaqué, M. Meadows fit feu. En un instant, un corps immense comme le tronc d’un grand arbre s’éleva au-dessus de l’eau avec un sifflement, puis, retombant, commença à se tordre violemment, battant l’eau en écume à une centaine de pieds à la ronde.

La fureur du monstre dura peu de temps. À l’agonie, il s’approcha du rivage en flottant. M. Douglas sauta bravement à l’eau, et le serpent fut emmené sur le rivage près du pont de fer du Sault-au-Récollet. La carcasse mesurait 32 pieds et demi de long et 3 pieds et 9 pouces à son point le plus large. Un attroupement se forma autour de ces héros. Six hommes ont alors traîné le serpent jusqu’à l’hôtel de M. Péloquin. Les pêcheurs auraient déjà reçu plusieurs offres pour leur trophée, dont une de M. Péloquin lui-même.

Le serpent est maintenant dans un grand réservoir en bois dans une cuisine au 235, rue Saint-Martin (Griffintown). Ceux qui souhaitent faire l’achat de la colossale carcasse auront ainsi le temps de pouvoir examiner le bien avant de faire leur mise.

La Presse du 29 août : autre témoignage

 «Le grand connétable Bissonnette et ses officiers ont éventré, hier après-midi, le fameux serpent de la rivière des Prairies, dont la prétendue existence a intrigué une foule de personnes naïves.

Agissant sur les instructions du juge Desnoyers, le grand connétable, accompagné de son député et du constable Lambert, se rendit un peu après quatre heures au Théâtre Palace, rue St-Laurent, où l’énorme saurien était exhibé. À leur grand étonnement, les portes de l’établissement étaient fermées à clef et les annonces, affiches, etc., avaient été enlevées. L’on se rendit alors à une porte vitrée donnant sur le passage à côté. Quelques minutes après, les personnes à l’intérieur se décidèrent d’ouvrir et parurent fort étonnées de voir arriver les officiers de la loi.

[…] M. Bissonnette pénétra dans l’appartement mystérieux, suivi de ses assistants. Là, au milieu de la place, dans une boîte de 2 x 12 pieds, reposait le fameux reptile. Le couvercle était retenu à l’aide d’un cadenas, mais un tournevis qui se trouvait à portée suffit pour enlever la serrure du couvercle.

[…] Le constable Lambert plongea la main et arracha une des oreilles du mannequin. Le député grand connétable fit une incision dans le corps de l’animal à l’aide du tournevis, et il en sortit une quantité de bran de scie. Les deux nageoires ont été facilement enlevées. Ces dernières étaient fabriquées de cuir recouvert de cire noire. Un examen plus minutieux a révélé que le fameux serpent d’eau douce n’était qu’une enveloppe de plâtre de Paris et de cire. L’animal avait des yeux de verre jaunes et une énorme gueule peinte de rouge.

[…] MM. Grimwood (sic) et Meadows, les propriétaires de cette merveille, pendant ce temps-là, étaient à prendre un verre en compagnie de quelques amis, dans un hôtel de la rue Saint-Jacques, se moquant de la bêtise humaine.»

Cet article est tiré du numéro d’automne du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré à la sécurité à Ahunstic-Cartierville.



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