Ces deux circulaires publicitaires de sollicitation immobilière ont été distribuées à grande échelle dans les boîtes aux lettres d’Ahuntsic-Cartierville, en février dernier. (photo : capture d’écran tirée de Facebook)

Notre enquête sur la sollicitation immobilière dans Ahuntsic-Cartierville le mois dernier a fait réagir.  Alors que la Société canadienne d’hypothèque et de logements dit constater des « signes de surchauffe » dans le marché immobilier montréalais, Journaldesvoisins.com a continué de creuser la question après s’être entretenu avec un porte-parole de Bliss Realty, l’un des groupes d‘investisseurs impliqués dans une campagne de sollicitation auprès des propriétaires dans l’arrondissement, .

David Jenkins, responsable du développement commercial chez Bliss Realty, l’entreprise ontarienne qui chapeaute la firme «Acheteurs de maisons Montréal», se veut rassurant.

« Nous sommes une équipe honnête et nous voulons donner aux gens la possibilité de vendre et d’acheter une maison selon leurs propres termes », explique-t-il.

Touche personnelle : stratégie marketing

Il réfute l’idée que la campagne de sollicitation menée par son entreprise puisse être considérée comme étant « trompeuse » et défend le choix de style publicitaire.

« On essaie seulement d’attirer l’attention des gens », dit-il.

Le porte-parole de Bliss Realty explique qu’il s’agit essentiellement d’une stratégie de marketing qui mise sur une « approche personnelle » inspirée de celle qui a été mise en œuvre par le fondateur de l’entreprise, Luc Boiron, lorsqu’il s’est lancé dans les flips* immobiliers il y a une dizaine d’années.

« La note manuscrite fonctionnait très bien et communiquait vraiment la touche personnelle et le service clé-en-main qu’il fournissait et que nous offrons comme entreprise », fait valoir David Jenkins.

Il présente les services offerts par son entreprise comme une « alternative » à ceux offerts par les courtiers immobiliers traditionnels, un peu comme ceux de DuProprio.

David Jenkins fait valoir que les services de son entreprise s’adressent à un segment de la population pour qui « passer par un courtier n’a pas de sens ».

« Ce n’est pas pour tout le monde, mais si vous souhaitez préserver votre vie privée, que vous n’avez pas envie d’avoir plein de visites, si vous ne voulez pas faire arranger votre maison ou la ranger, si vous voulez juste vendre tel quel, si vous voulez choisir votre date de clôture, nous pouvons travailler avec vous pour vous offrir des solutions flexibles que vous ne pourrez pas avoir en passant par un courtier », insiste le porte-parole de Bliss Realty.

Ce discours a de quoi séduire certains clients potentiels, par exemple des gens qui sont pressés de vendre ou qui souhaitent s’éviter les frais de commission de courtage qui peuvent représenter en moyenne environ 5 % du prix de la transaction.

Le pari de la vente sans intermédiaire

Il y a clairement un marché pour ce type de vente directe, comme en témoigne la place importante qu’occupe déjà Duproprio.com dans le secteur immobilier. Par exemple, alors qu’on trouve 289 propriétés inscrites sur la plateforme Centris.ca dans Ahuntsic-Cartierville, 89 sont affichées sur Duproprio.

La vente sans intermédiaire peut permettre d’éviter des frais, mais elle n’est pas sans risque. Sur Centris, qui répertorie toutes les propriétés inscrites par des coutriers immobiliers, on met en garde les vendeurs que l’un des principaux risques associés à vendre sa maison par soi-même est qu’il peut être difficile d’obtenir un juste prix de vente sans avoir une connaissance fine du marché.

Certains investisseurs immobiliers ne se cachent d’ailleurs pas d’offrir des prix jusqu’à 20 % inférieurs à la valeur marchande pour une propriété.

« Le but c’est de la payer le moins cher possible pour un investisseur », note Johanne Arnould, conseillère à l’ACEF du Nord.

Elle s’inquiète de voir les investisseurs immobiliers se lancer à l’offensive comme des «cowboys » dans le « Far West ».

« C’est une business comme une autre, sauf que c’est une business qui n’est pas encadrée comme tel », souligne-t-elle.

Un secteur sans règles?

Comme nous l’avions souligné dans notre premier article à ce sujet, les transactions sans intermédiaires ne sont pas assujetties à la Loi sur le courtage immobilier. Les activités des investisseurs immobiliers ne sont pas non plus régies par la Loi sur l’encadrement du secteur financier ni par la Loi sur l’Autorité des marchés financiers.

« Bien que les démarches que vous décrivez sont pour le moins douteuses et à la limite de la légalité, le tout ne relève d’aucune des lois ou règlements que l’Autorité administre », observe Sylvain Théberge, directeur des relations médias à la direction des Affaires publiques et des communications de l’AMF, qui a référé le JDV à l’Office de la protection du consommateur (OPC).

Or, il semble que l’investissement immobilier échappe également à la Loi sur la protection du consommateur (LPC).

« L’article 6 exclut de l’application de la LPC les pratiques de commerce et les contrats concernant la vente, la location ou la construction d’un immeuble. Le sujet est donc en dehors de notre juridiction », fait savoir Charles Tanguay, responsable des partenariats stratégiques et des relations avec les médias à l’Office de la protection du consommateur.

Il s’agit donc d’un secteur entièrement dérégulé qui prend de l’ampleur depuis quelques années, comme en témoigne un billet de blogue publié en 2016 sur le site Mieux investir qui vante les méthodes impitoyables de ces « cowboys de l’immobilier [qui] ne jurent que par un seul mantra: le profit se fait à l’achat! »

L’article détaille les diverses stratégies utilisées par ces « chasseurs de DEALS » qui vivent selon l’adage « le malheur des uns fait le bonheur des autres » et pour qui tous les moyens sont bons pour faire accepter des « offres d’achats dérisoires » par des «propriétaires en détresse ».

Bliss Realty se défend d’utiliser de telles pratiques et assure chercher des solutions «gagnant-gagnant ».

« Nous ne cherchons pas à profiter des gens, ce n’est pas ce que nous faisons, notre modèle d’entreprise, notre éthos**, c’est d’aider les gens », assure David Jenkins.

Questionné à savoir pourquoi son entreprise dit notamment se spécialiser dans l’acquisition de propriétés auprès des gens en « situation de détresse », le porte-parole de Bliss Realty indique simplement que « c’est typiquement le type de personne qui vient vers nous », souvent faute d’avoir d’autre solution.

Si des gens se trouvent ainsi coincés, « c’est parce qu’il n’y a pas d’autres recours », convient Johanne Arnould qui met en garde les personnes qui pourraient être tentées de faire affaire avec des investisseurs immobiliers leur promettant d’économiser temps et argent.

« Quelqu’un qui est moindrement pressé ou qui est aux abois parce qu’effectivement la situation financière (s’)est dégradée pour toutes sortes de raisons, c’est sûr que ça peut conduire à accepter une offre qui ne serait pas à la pleine valeur qu’on pourrait aller chercher si on avait un petit peu de temps », s’inquiète la conseillère à l’ACEF. « La personne qui vend sa maison en désespoir de cause, c’est clair qu’elle n’a pas les protections auxquelles elle aurait droit si elle passe par ce type de personne-là », ajoute-t-elle.

Plutôt que de saisir une offre d’achat « comme une bouée de sauvetage », elle invite les gens à réfléchir à leurs options et à « trouver les bons spécialistes à consulter », en soulignant par exemple que certains notaires offrent des services juridiques gratuits.

Si l’ACEF n’a pas eu à traiter de ce genre de dossiers jusqu’à présent, la conseillère n’en demeure pas moins préoccupée par cette nouvelle tendance qui vient s’ajouter à des phénomènes déjà connus de sollicitation offrant des prêts rapides à forts taux d’intérêt et sans vérification de dossier à des ménages déjà fort endettés ou encore des offres d’hypothèques inversées ciblant les personnes plus âgées.

« Les aînés risquent d’être sur-sollicités », prévient Johanne Arnould en réitérant l’importance de se renseigner et, surtout, de bien prendre le temps de peser le pour et le contre avant d’accepter quelque offre que ce soit.

* Un flip immobilier consiste à acheter une propriété, souvent à prix d’aubaine, pour la rénover et la revendre rapidement dans le but de faire un profit. (Source: Guide habitation)

** L’éthos (ou ethos, du grec ancien ἦθος ễthos, pluriel ἤθη ếthê) est un mot grec qui peut être traduit par « coutume », il renvoie au caractère habituel, la manière d’être, les habitudes d’une personne, pouvant en ce sens être rendu par « comportement ». (Source: Wikipédia)



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