Grâce à la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain (CCMM), des commerçants allophones d’Ahuntsic-Cartierville peuvent maintenant apprendre le français gratuitement durant leurs heures de travail. Depuis, ils sont de plus en plus nombreux à délaisser la langue de Shakespeare. Portrait.
L’équipe du Japango, un petit restaurant de sushis près du Métro Henri-Bourassa, s’active déjà en ce jeudi matin de juin. L’une des employées, une femme de 42 ans originaire de Chine, nous accueille en souriant.
Vivant au Québec depuis six ans avec son mari et ses enfants, Xueting Tian n’a jamais appris l’anglais ni le français. Pour converser avec ses enfants et ses clients en français, elle s’inscrit à « J’apprends le français », un programme de jumelage linguistique de la Chambre de Commerce du Montréal Métropolitain (CCMM).
Il ne sera pas question de sushis pour aujourd’hui.
« J’aime ça ici. J’aime [le] français. J’aime beaucoup [les] écoles pour [mes] enfants, et qu’ils apprennent [les] deux langues », confie-t-elle.
Après six mois de cours, elle dit avoir fait de grands progrès.
« Mon client me dit que je parle français mieux qu’avant », affirme-t-elle.
Une démarche pédagogique unique
Xueting entame présentement la session d’été. Sur la porte, une affichette rouge qui dit « J’apprends, le français, encouragez-moi !» invite d’ailleurs ses clients à utiliser la langue de Molière pour communiquer avec Xueting et lui apprendre de nouveaux mots.
« Ce cours là [c’est] très bon pour moi. Mon petit professeur, Alice, elle laisse un petit devoir chaque cours. Je dois écrire un petit texte pour le prochain cours », s’esclaffe-t-elle.
Son « petit professeur » c’est Alice Leroux-Chartier, une étudiante à la maîtrise à l’UQAM, bientôt future enseignante en littérature. Elle fait partie de 120 étudiants employés comme tuteurs cet été.
« C’est [Xueting] une élève un peu plus volubile que les autres, le côté «gêne», ça n’a pas été difficile avec elle, nous explique la tutrice. Je voyais qu’elle essayait de dire ce qu’elle avait à dire même si elle n’avait pas tout les mots pour le faire. »
La plupart des étudiants basent leurs exercices en s’inspirant du vécu de leurs apprenants et de leur environnement de travail commerce. De la conjugaison au vocabulaire, tout passe par la pratique et la conversation.
« J’ai fait des exercices à partir du menu, explique Alice. Lorsqu’on travaillait le vocabulaire du goût, je posais plein de questions sur les ingrédients; c’est salé, sucré, etc. […] »
Alice utilise même le mime pour communiquer.
« Souvent, ce sont des mises en situation, indique-t-elle. Je vais aller dans la cuisine comme si j’étais une nouvelle employée et qu’elle doit me former. Là, on apprend l’impératif […] »
Alice enseigne deux heures de français à trois ou quatre étudiants par semaine. Chaque cours ne prend qu’une heure à préparer.
« Pour déterminer les horaires, c’est beaucoup par la négociation, précise Alice. Le commerçant me dit -ce qui convient le mieux pour lui et on trouve un compromis. Je me rends à leurs commerces durant les heures de travail. »
Popularité grandissante
Démarré en 2016, dans Côte-des-Neiges comme projet pilote, « J’apprends le français » a fait son entrée à Ahuntsic-Cartierville il y a quelques mois. Le programme a été bonifié en 2017 et est offert dans tous les arrondissements, avec l’appui du Ministère de la Culture et des Communications du Québec.
« L’objectif, c’est d’enseigner le français aux commerçants et de sensibiliser la population à l’importance du français […| », souligne Guy-Jobin, vice-président Services aux entreprises à la CCMM.
Depuis janvier 2017, près de 590 jumelages ont été réalisés dans la grande région métropolitaine.
« On a recruté pendant six semaines et 700 commerçants ont manifesté leur intérêt », explique-t-il.
Un programme apprécié pour son accessibilité et son cursus basé sur l’étudiant.
« L’idée derrière, c’est que les commerçants apprennent un français adapté à leur particularité, mentionne M. Jobin. Par exemple, un nettoyeur apprendra le mot « ourlet », ce qu’il ne verrait pas nécessairement à l’école ».
D’après la CCMM, les participants apprennent le français plus efficacement qu’en classe.
« Les commerçants travaillent souvent 10 à 12 heures par jour, ils n’ont pas le temps d’aller dans les écoles apprendre le français», le soir, déclare M. Jobin.
Faire preuve d’ouverture
Selon Alice, le programme lui donne l’occasion de rencontrer des gens nouveaux comme Xueting, avec qui elle partage maintenant une sincère amitié.
« Je l’adore, elle est tellement drôle. C’est vraiment chouette de donner des cours avec elle , conclut-elle. On s’attache à nos commerçants et ils s’attachent à nous. On a une belle [relations de] proximité et ça fait toute la beauté du programme. »
Pour M. Jobin, l’apprentissage du français passe également par les liens entre francophones et allophones.
« On ne les aide pas quand on leur répond en anglais, surtout s’ils s’adressent à nous en français, déplore-t-il. Mais les Québécois, on a tendance à faire ça en général. On veut être gentils, on veut pratiquer notre anglais. »
Selon des données datant de 2018, au moins 10 000 personnes utilisent encore l’anglais comme seule langue de commerce dans Ahuntsic-Cartierville.
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