L’application ChatGPT répond à toutes les questions, même lorsqu’on lui demande de faire une parodie dans le style de Michel Tremblay. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

L’application ChatGPT, lancée par OpenAI en novembre 2022, vient-elle de donner un second souffle à «l’école de papier»? 

Beaucoup de professeurs, devant les prouesses de ce dialogueur, vont recommencer à donner de bonnes vieilles évaluations sur papier, et en classe, à leurs étudiants. C’est ce que j’ai moi-même fait cette session en remplaçant deux carnets de lecture, à rédiger à la maison, par deux examens de connaissances à faire en classe. 

ChatGPT peut facilement résumer un livre, comparer la pensée de deux auteurs, rédiger un texte d’opinion nuancé ou un texte de création littéraire (avec tout de même quelques lieux communs) et parodier le style d’un auteur. Il n’est pas parfait, mais il est un bon élève! 

Quand je lui ai demandé de parodier le style de Michel Tremblay, ChatGPT m’a répondu avec une touche d’humour : «Bonjour, mon nom est Jean-Claude. J’habite dans un bel appartement au Plateau Mont-Royal. Les voisins sont tous des Québécois comme moi, sauf pour le vieux monsieur qui habite au bout du corridor, c’est un Ontarien. Mais c’est un bon gars malgré tout.» 

ChatGPT vient donc multiplier les probabilités que nos étudiants plagient. 

Le problème le plus grave qu’entraîne le plagiat, outre le fait que l’étudiant se voit attribuer un «zéro», est bien sûr le fait qu’aucun apprentissage n’a eu lieu. Prenons l’exemple de la préparation à un exposé oral: ChatGPT peut aisément produire le texte de l’exposé en quelques secondes, mais il exacerbera sans doute les exposés oraux mécaniques, qui ressemblent davantage à la récitation d’une liste d’épicerie qu’à un véritable exposé, que nos étudiants nous servent malheureusement trop souvent. ChatGPT va sans doute aussi exacerber l’absentéisme des étudiants: si une application hyper puissante a réponse à toutes mes questions, pourquoi me donner la peine d’aller suivre un cours? 

L’arrivée de l’application ChatGPT aura-t-elle un impact dans les écoles? (Image: Alexandra Koch, courtoisie Pixabay.com)

Apprendre

Comme professeur, notre objectif n’est pas que nos étudiants arrivent à la bonne réponse dans le moins de temps possible, ce que permet l’utilisation ChatGPT, mais bien qu’ils parviennent à la réponse par eux-mêmes, ce qui demande bien sûr du temps et un déploiement considérable de leur intelligence. C’est ainsi seulement que le savoir devient un savoir incarné ou, pour le dire autrement, que les connaissances entrent profondément en nous. C’est alors que nous cessons de faire une simple récitation et que nous parlons de façon naturelle de ce qui est déjà en nous. 

Les souvenirs de mon bac en psychologie ne sont pas assez loin pour que je ne me rappelle pas les études que nous avons vues à propos de la mémoire. La règle de base est fort simple: plus on investit d’effort intellectuel, plus on se souvient. On se souvient ainsi bien davantage d’une liste de mots dont on aura cherché la définition que de la même liste qu’on aura lue une seule fois. 

Mon objectif est que les étudiants se souviennent un peu de mon cours dans cinq ans, voire dans dix ans (soyons un peu idéalistes!). Pour ce faire, l’étudiant doit être présent aux cours en chair, en os et en pensée. 

Il est tout de même aberrant que les directions d’écoles, de collèges et d’universités n’aient imposé, sauf exception, aucun règlement régissant l’utilisation du cellulaire en classe. On laisse les profs se débrouiller seuls avec ce problème. Le cellulaire est pourtant l’agent de désincarnation le plus puissant que je connaisse: l’étudiant quitte le cours pour flotter dans le monde merveilleux des écrans.

Ici, maintenant

Au premier cours de la session, je conseille vivement à mes étudiants d’habiter «l’ici et le maintenant» pour mener à bien leurs études et, oserais-je dire, pour vivre heureux, tout simplement. 

«Quand vous étudiez, vous étudiez à 100 %. Quand vous faites le party, vous le faites à 100 % (soyez quand même prudents sur les routes). Quand vous dormez, vous dormez à 100 %.» Car s’il n’est pas souhaitable que le monde extérieur s’immisce dans l’école, il n’est pas plus souhaitable que l’école s’immisce dans le monde extérieur. 

Réfléchissant aux effets d’Omnivox et de Léa, systèmes qui permettent aux étudiants d’avoir accès à toute heure du jour ou de la nuit à des informations relatives à leurs cours, le professeur Raphaël Artaud McNeil écrit avec justesse: «L’effet collatéral est une temporalité scolaire indéfinie où se confondent la classe et la maison, les évaluations et les loisirs, l’effort et le repos.» 

Cellulaire, ChatGPT et autres Omnivox sont des engins très puissants qui, s’ils ne sont pas maîtrisés, peuvent avoir pour conséquence de désincarner l’école. On demande souvent aux professeurs d’adapter leur enseignement en fonction de ces technologies, mais il faudrait commencer à se demander si ces technologies favorisent toujours l’apprentissage. 

Ce texte de la chronique Dans la tête du prof a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février 2023, à la page 8.



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