L’œuvre « Promenades prolétaires » signée Julien Bilodeau, présentée en première mondiale l’été dernier aux Concerts Ahuntsic en fugue, a créé la surprise lors du Gala des Prix Opus 2020 en figurant parmi les finalistes dans la catégorie « Création de l’année ».
Pour le compositeur, cette nomination du Conseil québécois de la musique (CQM), parmi des œuvres signées par de grosses pointures de la scène montréalaise, est déjà une consécration.
« L’objectif visé par cet effort collectif de création originale est déjà atteint avec cette pièce commandée par un organisme local (Ahuntsic en fugue) et qui a pu se démarquer à l’échelle de toute la province », estime Julien Bilodeau.
Le compositeur affirme que cette distinction est aussi une très belle reconnaissance de l’effort déployé, saison après saison, par Ahuntsic en fugue pour combler un manque et permettre aux gens du quartier de découvrir les merveilles de la musique classique.
« Ce qui atteste du niveau de maturité atteint par le festival Ahuntsic en fugue qui réussit l’exploit d’amener la musique classique dans l’arrondissement avec tous les standards d’excellence. »
De l’audace artistique!
Parlant de la genèse des « Promenades prolétaires », qui est un hommage aux âmes ouvrières du quartier Chabanel, il tient à souligner que c’était absolument audacieux de la part de la direction d’Ahuntsic en fugue de faire une commande d’une création avec la participation de deux ensembles : le Quatuor Andara et le quintette Choros avec la soprano Andréanne Brisson Paquin.
Il raconte comment sa première visite du quartier en compagnie de Clément Canac-Marquis, cofondateur et directeur artistique d’Ahuntsic en fugue, l’a énormément inspiré. La vue des grandes bâtisses et, notamment, celle d’une ancienne manufacture de munitions, a enclenché en lui un processus de communication avec les lieux chargés d’histoire du quartier.
La conception de l’œuvre mène notre compositeur à la Bibliothèque et archives nationales du Québec (BANQ) et ses collections d’anthologies de la poésie québécoise de la première moitié du 20e siècle.
« Je me souviens de ces après-midis passés à la BANQ à la recherche d’une œuvre poétique qui soit plus pastorale, une illustration de la condition humaine des ouvriers et ouvrières de l’industrie du textile à l’époque, mais avec un regard doux et compatissant pour qu’on puisse ressentir ce que vivaient ces hommes et ces femmes qui travaillent sans relâche, du lever au coucher du soleil », dit-il.
Il décrit la joie intense qu’il a ressentie en découvrant le poème « Les prolétaires » de l’auteur québécois Clément Marchand, décrivant avec une grande profondeur et dans une portée universelle cette condition humaine.
Contrastes du quartier en musique
C’est ainsi que fut créée cette œuvre, pour conclure le concert déambulatoire intitulé « D’espace et de temps », c’est-à-dire qu’il entraînait les spectateurs sur les traces du parcours migratoire des travailleuses des manufactures de Chabanel dans une scénographie de Clément Canac-Marquis et une mise en lumière signée Studio N.A.M.E.
« C’était un moment d’émotion que je n’oublierai jamais! », s’exclame Julien Bilodeau pour décrire son sentiment à l’issue de l’interprétation de l’œuvre dans l’immense loft industriel.
Ce voyage à travers le temps et les espaces retraçait l’évolution du territoire du quartier Chabanel dans sa traversée du temps pour rendre un hommage hautement symphonique aux vaillantes couturières de l’industrie du vêtement.
Abordant le style qu’il a adopté dans la composition de l’œuvre, Julien Bilodeau indique que la musique a été grandement inspirée par ses promenades dans le quartier qui lui ont permis de s’apercevoir, en premier lieu, de la grande diversité ethnoculturelle qui caractérise tous les aspects de la vie du quartier.
Le compositeur souligne aussi le contraste saisissant entre l’activité débordante et la vie très animée du jour et le calme total qui règne quand la nuit tombe et que tout s’arrête.
Pour traduire musicalement ce contraste saisissant, le compositeur a divisé la pièce en deux parties. Une première partie instrumentale, sans voix, qui évoque l’ambiance dans les usines quand commence le quart de travail et s’enclenche le rythme saccadé.
Dans cette première partie, on est happé par le flot incessant dans le rythme de la musique et, soudain, tout s’arrête et devient extrêmement lyrique. Apparaît alors la chanteuse, telle une ouvrière qui, pendant que tout se meut autour d’elle, se met à méditer sa condition humaine à elle et à ses collègues, chantant le texte de Clément Marchand dans une ambiance de rêve éthéré.
LE POÈME
LES PROLÉTAIRES VI
(extraits)
de Clément Marchand
Publié dans « Les soirs rouges » aux éditions Les herbes rouges,
collection « Five O’clock ».
Là-bas aux noirs retraits des quartiers,
hors des bruits,
Au long des vieux pavés où la gêne chemine,
Voici leurs toits groupés en essaim,
que domine
Le jet des gratte-ciel immergés dans la nuit.
Glauques, à flanc des murs, les fenêtres ont l’air
De sourciller devant le roi de paysage
Qui, tacheté du vert rarescent des feuillages
S’inscrit sous le ciel gris en graphiques de fer.
Ces horizons barrés de pans d’acier sont leurs,
Et cet amas compact de murs roux, c’est l’usine
Où, chaque jour aux doigts crocheteurs des machines
Ils laissent un lambeau palpitant de leur cœur.
Cette chronique « Par ici la culture » a été publiée originalement en page 9 dans l’édition papier de février 2020 (PDF ici) du journaldesvoisins.com
Cette chronique a mérité le deuxième prix au Gala des Prix de l’Association des médias écrits communautaires du Québec, édition 2021, dans la catégorie « Critique ».
Voyez ici les prix des années précédentes remportés par le journaldesvoisins.com
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