Journaux locaux médias
La Ville comme les artisans des médias locaux recherchent un modèle d’affaires viable pour continuer d’informer les citoyens. (Photo : Archives JDV)

Un très discret appel d’offres lancé sur invitation par la Ville de Montréal a permis de recruter un chargé de projet pour la consultation des membres du Comité consultatif sur les médias locaux de la Ville de Montréal. Une avancée concrète pour la phase qui suivra la fin probable du Publisac qui distribuait l’essentiel des journaux locaux papier en ville. Toutefois, rien n’indique comment la Ville tiendra compte des journaux indépendants distribués hors du Publisac dans sa consultation.

C’est l’entreprise MCE conseils qui a décroché le contrat. Elle faisait partie des destinataires de l’appel d’offres, lancé le 31 mai. La compagnie connaît bien le milieu de la presse et des médias pour avoir notamment notamment piloté la transformation des anciens journaux locaux du Groupe Capitales Médias (Le Soleil, La Tribune, Le Droit, Le Quotidien, Le Progrès, La Voix de l’Est et Le Nouvelliste) en coopératives. Ils étaient anciennement propriétés de Gesca, filiale de la Power Corporation du Canada, avant leur vente à Martin Cauchon.

Les objectifs de cette consultation semblent clairs. La Ville chercherait un modèle de collaboration en concertation avec les médias. Des investissements des arrondissements et une aide financière municipale pour soutenir ces médias sont à trouver, stipule l’appel d’offres.

Selon l’échéancier publié dans le document de la Ville, les consultations devaient commencer le 27 juin et s‘étendre jusqu’au 18 juillet. Le rapport final devrait être déposé à la mi-août. Il n’est pas dit si son contenu sera rendu public.

Dans la description de l’appel d’offres, on comprend qu’un « Comité consultatif sur le développement du nouveau modèle d’affaires des journaux locaux » doit être mis en place, mais rien n’indique de qui il sera formé. Il ne semble pas non plus que ce soit le Comité consultatif sur les journaux locaux mis sur pied par la Ville l’automne passé, en prévision du changement de mode de distribution du Publisac, qui le constituera. Cette instance, qui a rendu son rapport ce printemps, avait recommandé de consulter les acteurs de l’industrie pour élaborer un modèle d’affaires viable visant à préserver les médias locaux à Montréal.

« Le comité consultatif permettra de mobiliser et de mettre à contribution les acteurs du milieu afin de proposer des nouveaux modèles d’affaires et de distribution plus adaptés à la réalité actuelle et future des journaux locaux », lit-on dans l’appel d’offres.

Le plus important éditeur de journaux locaux à Montréal, Andrew Mulé, président-directeur général de Métro Média, est le principal intéressé par le changement de mode de distribution des circulaires, puisque ses hebdomadaires sont diffusés dans le Publisac.

Il a déjà anticipé le changement de modèle et a commencé à faire distribuer un de ses hebdomadaires, celui de Verdun et de l’Île des Sœurs, par Postes Canada. Il n’a cependant pas voulu répondre aux questions du JDV, préférant nous renvoyer vers la Ville.

Le JDV a demandé, entre autres, à des élus de la Ville, concernés par l’appel d’offres ainsi qu’à une attachée politique qui travaille sur ce dossier, si le mandat en question permettra de consulter tous les médias locaux à Montréal et si une liste des acteurs de l’industrie a été élaborée. Nous n’avons reçu aucune réponse.

Certains médias locaux n’étaient pas au courant de ces démarches. André Bérubé, éditeur de Est Media Montréal, a confirmé au JDV qu’il n’avait pas été approché. Karine Joly, éditrice de Nouvelles d’ici, a assuré qu’elle n’a pas été contactée non plus. Son journal couvre trois arrondissements de l’ouest de Montréal et est présenté « comme l’avenir de la presse locale » dans le rapport du Comité conseiller sur les journaux locaux de la Ville de Montréal.

La bonne voie

Même si la transparence du processus laisse planer beaucoup de questions, il reste que l’initiative est perçue avec bienveillance, voire enthousiasme, par ceux qui sont au courant de l’appel d’offres.

L’éditeur de Journaldesvoisins.com, Simon Van Vliet, se réjouit de voir la Ville de Montréal s’engager dans un processus de consultation sur l’avenir des journaux locaux. « Mais il n’est pas rassurant de constater que ce processus démarre dans une certaine opacité », dit-il. Il rappelle que le média qu’il dirige existe depuis 10 ans.

« Le JDV a fait la preuve que des modèles de distribution indépendante existent et fonctionnent. Si la Ville souhaite soutenir les journaux locaux, elle pourrait commencer par adopter une politique de placement média qui priorise les médias locaux sur les médias sociaux dans l’achat de publicité sur le Web et s’assurer que les arrondissements en fassent de même », espère M. Van Vliet.

Journaliste et éditeur de @PlateauCom, Bruno Boutot trouve que « c’est un projet extraordinaire, au bon moment, au bon endroit : cette administration est progressiste, elle est soucieuse du communautaire, de la démocratie et de l’importance du commerce local. Ce sont exactement les facteurs qui entrent en compte dans la création de médias hyperlocaux numériques. »

M. Boutot insiste sur le numérique « parce que c’est là que se trouvent les gens et la possibilité d’offrir des services numériques aux commerces locaux et aux organismes communautaires », écrit-il dans un échange de courriels.

Est-ce pour autant la fin des journaux imprimés?

« Il faudra toujours des extensions imprimées distribuées à des endroits stratégiques. Mais tout modèle d’affaires aujourd’hui ne peut se développer qu’en offrant des services numériques sur des plateformes hyperlocales où l’on accueille les gens. J’espère que ce formidable projet va pouvoir se développer et j’aimerais beaucoup y participer dans mon quartier », relève M. Boutot.

Incertitude

La Ville se donne la possibilité de stopper le projet à n’importe quel moment. Le point 10 de l’appel d’offres précise : « En tout temps, par avis écrit du Directeur, la Ville se réserve le droit d’abandonner ou de suspendre le projet et de résilier la convention intervenue entre elle et l’adjudicataire. »

La clause ressemble à une manière de « tirer la plogue ». Cependant, cela n’étonne pas Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

« Ce n’est pas une subvention, mais une commande. Et le commanditaire peut mettre des conditions et des clauses de confidentialité, par exemple », souligne-t-elle.

Des modalités comme celles-là rassureraient les parties si la confiance était rompue et cela peut prévaloir autant chez le commanditaire que chez le chercheur ou le chargé de projet.

« Il faut comprendre que c’est un sujet sensible. Cela touche les médias. C’est un secteur très délicat », relève-t-elle.

Comme nous l’avons indiqué plus haut, cette consultation a été mise en branle en réponse aux recommandations formulées par le comité consultatif sur les médias locaux mis sur pied par la Ville à l’automne 2021, dont le rapport a été rendu – mais qui n’est pas public – en avril. Il était présidé par M. Mulé.

Pour Danielle Pilette, professeure en gestion municipale à l’UQAM, la mise en place d’une telle instance ne diffère pas de la pratique générale. Il y a d’autres comités consultatifs « à la Ville de Montréal, comme dans l’ensemble du Québec, concernant des matières précises, notamment sur l’urbanisme ou le développement économique, par exemple les comités sur le développement économique, sur la taxation non résidentielle, etc. Ou même pour la protection du patrimoine, avec le comité Jacques-Viger de la Ville de Montréal, et d’autres », affirme-t-elle.

Selon Mme Pilette, la Ville a choisi de mettre en place un comité consultatif composé de parties prenantes qu’elle estime représentatives des trois aspects de la question. Elle énumère le développement durable, impliquant le social. « Les gens veulent s’informer et ils sont représentés par des groupes communautaires », souligne-t-elle.

Puis elle évoque l’aspect économique : « Les commerçants et aussi les journaux veulent promouvoir leurs produits et services. » Enfin, elle cite les questions d’environnement, « pour mettre fin au papier et au sac de plastique au profit de véhicules publicitaires moins invasifs », relève-t-elle.

Le comité étudiera la question et présentera des solutions ou différents scénarios de solutions. « Éventuellement le conseil adoptera une position applicable et bénéfique aux trois aspects relevés. Le conseil assume l’entière responsabilité de ses choix, conformes ou pas aux avis reçus d’un comité », prévient Danielle Pilette.

Ancien modèle

Il faut rappeler que durant des décennies les journaux locaux de Montréal n’ont prospéré que grâce à la publicité locale et aux avis publics des villes et des arrondissements.

À partir de 2017, les arrondissements sous la férule de Projet Montréal, avaient annoncé la fin de la publication des avis publics dans les journaux et stoppé l’achat des espaces publicitaires pour les règlements de zonages, permis de démolition ou de construction, préférant leur diffusion sur le site Internet de la Ville.

Cela étant, à cette époque, ce n’est pas tous les médias locaux qui pouvaient prétendre à ces contrats commerciaux. Le JDV n’a jamais reçu de contrats payants pour diffuser les avis publics ou les appels d’offres de la part de l’arrondissement ou de la Ville.

« Depuis des années, le JDV se fait un devoir de publier gratuitement les avis publics que la Ville et l’arrondissement ont cessé de publier dans les médias locaux. Une administration qui se soucie de ses médias locaux – et de la démocratie locale – devrait payer les journaux locaux pour diffuser les avis publics, plutôt que de se contenter de les mettre en ligne dans une section obscure de son site Internet, rappelle Simon Van Vliet. Il ne faudrait pas réduire l’industrie des journaux locaux à ce qu’il reste du réseau des hebdomadaires distribués dans le Publisac ni chercher à développer une solution sur mesure pour ces journaux qui laisserait en plan les autres acteurs de l’industrie. »



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