Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration à l’Université du Québec (TÉLUQ). Photo : courtoisie Diane-Gabrielle Tremblay

À l’évidence, l’emploi a beaucoup changé depuis quelques années, mais une question reste d’actualité : qu’est-ce qui attend les employeurs et les employés dans un avenir rapproché ?

 Le gouvernement du Québec a publié en février dernier un bulletin du marché du travail indiquant qu’à Montréal, 16 % de la population active est vulnérable à l’automatisation et à l’intelligence artificielle (IA). Plus des deux tiers de la population vulnérable de Montréal travaillent dans la catégorie professionnelle Vente et services et dans la catégorie Affaires, finance et administration. Ces catégories professionnelles représentent 46 % de la main-d’œuvre active à Montréal. En ajoutant la catégorie Fabrication et services d’utilité publique aux deux catégories précédentes, la part de la population active vulnérable monte à 82 % à Montréal (ces trois catégories représentent 50 % de la main-d’œuvre active totale). C’est donc dire qu’il y a beaucoup de défis à venir.

Les entreprises depuis la pandémie

Diane-Gabrielle Tremblay, professeure à l’École des sciences de l’administration à l’Université du Québec (TÉLUQ), confirme que la pénurie de main-d’œuvre est encore réelle malgré le fait qu’il y ait des pertes d’emplois dans certains secteurs. La rareté dans les services comme les CPE, les services sociaux, les soins, l’hôtellerie, la restauration et les autres services aux personnes est très visible et affecte notre vie quotidienne. « Cela se traduit par le fait que les restaurants ont changé leurs heures d’ouverture, que les hôtels nous demandent de ne pas changer nos serviettes tous les jours et qu’ils changent les draps moins fréquemment », note Mme Tremblay.

 Les enjeux

Les nouvelles formes de travail, le télétravail et le travail hybride, sont encore un enjeu important. On constate que le transfert de connaissances se fait en milieu de travail, entre les salariés. Quand les gens y sont deux ou trois jours par semaine, il n’y a pas nécessairement autant de personnes sur place qui ont les compétences dont on a besoin pour transférer les trucs du métier. « Il est aussi plus difficile de créer une forme d’attachement lorsqu’on ne connaît pas vraiment nos collègues et nos patrons », explique la professeure.

La rétention est un autre enjeu important pour l’employeur, souligne-t-elle : « Il ne fait pas toujours tout ce qu’il faut pour reconnaître l’apport des employés à l’entreprise et faire en sorte qu’ils restent à son emploi. »

Selon Mme Tremblay, la rétention veut dire répondre aux demandes des salariés et rendre le milieu de travail plus agréable, plus intéressant. Beaucoup d’employeurs ont choisi de passer à des aires ouvertes que la plupart des salariés n’apprécient pas trop. C’est une stratégie contradictoire, l’employeur veut que vous veniez au bureau, mais dépersonnalise les bureaux en faisant des aires ouvertes où il est plus difficile de se concentrer pour plusieurs travailleurs.

 La conciliation travail-famille

Il y a eu des améliorations au Québec dans la prise en compte de la conciliation vie personnelle et professionnelle, qui est la demande no 1 des salariés.

« L’enjeu de parentalité, même avec le congé de maternité ou de paternité, est encore présent, y compris pour les hommes, notamment chez les professionnels, souligne Diane-Gabrielle. Ce ne sont pas tous les employeurs qui reconnaissent et acceptent que les hommes ont aussi des engagements de pères. On craint encore un jugement négatif et de la discrimination de la part de son supérieur ou de son employeur. »

De plus en plus, on constate que les enjeux des proches aidants sont la cause d’une conciliation plus complexe encore que les enjeux de parentalité. « Souvent, les proches aidants ne mettent pas de l’avant leur situation par crainte des effets négatifs sur leur carrière. Ce serait une bonne façon de créer une reconnaissance pour ces personnes de la part de l’employeur, de faire preuve de solidarité et de susciter un attachement à l’entreprise », suggère Mme Tremblay.

Et d’ajouter : « Les personnes qui ont entre 25 et 45 ans sont dans ce qu’on appelle la génération sandwich entre enfants et parents, ou avec enfant à besoins particuliers. L’État, quant à lui, est bien content que nous nous occupions de nos parents, car les services sont difficiles à obtenir, mais encore faut-il que l’employeur y mette du sien. L’offre de bonnes conditions constitue d’ailleurs une excellente façon de créer de la loyauté. Des personnes qui quittent, c’est coûteux. »

La suggestion de la professeure aux employeurs pour retenir leurs employés est relativement simple : « Être à l’écoute des besoins et offrir des mesures de conciliation, de la formation et de la reconnaissance pour le travail bien fait. Cependant, le discours des employeurs est souvent contradictoire : on veut retenir la main-d’œuvre, mais on n’offre pas les conditions nécessaires, par exemple pour retenir les personnes en âge de prendre leur retraite. »

 Le défi de la formation

Ce défi devient de plus en plus urgent à surmonter, et il va s’imposer aux entrepreneurs sous peu si ce n’est pas déjà commencé. Cela signifie que la transformation numérique, l’IA et l’adaptation des compétences sont devenues des incontournables. « La plupart des gens ne sont pas formés ou se forment en cours d’emploi. Il va donc falloir que les entreprises dégagent du temps pour les formations », conclut Diane-Gabrielle Tremblay.

Cet article a été publié dans l’édition papier du JDV de juin 2025.



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