Le Collège Ahuntsic organise chaque année un voyage immersif dans le Nitaskinan, territoire traditionnel Atikamekw. Organisé par Julie Gauthier, enseignante en anthropologie, ce séjour vise à réhumaniser les liens entre les peuples.
Le 9 août, c’est la Journée internationale des populations autochtones. Si la colonisation est souvent associée à la Nouvelle-France et aux grands événements historiques, elle n’est pourtant pas chose du passé. Encore présente dans les mentalités, elle s’immisce toujours de façon insidieuse dans les discours, les comportements et l’enseignement.
Les savoirs autochtones sont par exemple peu considérés au Canada, bien qu’ils soient détenus par les premiers habitants de l’Amérique. Pourtant, les Premières Nations ont survécu sur le continent durant des millénaires! Science, savoir-être, gouvernance et gestion du territoire… nombreux sont les apprentissages que les Autochtones peuvent nous enseigner.
«Il y a beaucoup de choses que les premières nations ont besoin de dire. À leur façon et à leur rythme. Quand ce besoin se manifeste, nous de notre côté, il faut s’asseoir et écouter», explique Julie Gauthier, enseignante en anthropologie au Collège Ahuntsic.
Voilà quinze ans, Julie Gauthier lance le projet Rencontres autochtones, en collaboration avec ses collègues du département de sciences sociales. Unique dans le réseau collégial, ce séjour d’une dizaine de jours dans le Nitaskinan, en Mauricie, veut restructurer le regard posé sur les Premiers Peuples.
Des préjugés bien vivants
Voyage anthropologique, le projet de Julie Gauthier s’éloigne néanmoins de l’approche descriptive et exotique des Autochtones, souvent réduits à leur culture matérielle et considérés d’une perspective externe.
Tout comme ses élèves, l’enseignante témoigne de l’éducation qu’elle a reçue autour des Premiers Peuples. Sans cesse considérées au passé, la colonisation et ses injustices y sont bien souvent minimisées et enterrées.
Lorsque la résistance de Kanesatake se met en place durant l’été 1990, Julie Gauthier dit au contraire réaliser qu’elle vit dans un «pays raciste». Cet événement brise en effet les relations, et les préjugés envers les Premières Nations s’installent dans les mentalités.
Enseignante au Collège Ahuntsic depuis 1998, Julie Gauthier témoigne alors à l’époque d’une forte réticence de ses élèves à en apprendre davantage sur les Autochtones. Cette méfiance s’amenuise finalement à partir des années 2000, et d’autant plus avec les nouvelles générations.
Le projet Rencontres autochtones se met ainsi en place, après une invitation lancée par la nation Atikamekw, lors d’une visite de l’enseignante dans la communauté d’Obedjiwan.
Rite de passage
Rencontres autochtones est un voyage en plein cœur du territoire traditionnel Atikamekw, le Nitaskinan. Mené durant le mois d’août et mobilisant une dizaine d’élèves, le séjour emmène toute la troupe en forêt et à la découverte de soi.
Les étudiants participants doivent suivre le cours d’anthropologie, en amont du voyage, ainsi que des journées préparatoires sur le terrain. À l’extérieur de Montréal, leur comportement est observé par l’enseignante et des activités sont menées en présence d’Autochtones.
«C’est un âge ou on se cherche beaucoup, on cherche du sens à ce qu’on fait. Tout est possible et tout peut aussi être anxiogène. Rencontres autochtones semble leur donner conscience, les solidifier d’une certaine façon», témoigne l’enseignante qui précise la force de la «pédagogie du lieu».
Julie Gauthier explique qu’il faut du temps aux étudiants pour s’habituer au silence, par exemple. La routine pour les toilettes ou pour se laver en forêt peut aussi être un défi pour ces purs citadins. Là, dans la nature profonde, les étudiants doivent éviter de poser des questions ou de chercher des réponses. Le silence rejoint l’écoute, deux éléments indispensables à la réconciliation.
Sur place, les élèves vivent tous le choc d’une colonisation encore présente, bien que plus insidieuse car moins frontale et moins violente. Rassemblés en communauté avec les Autochtones, dont deux survivantes des pensionnats, ils écoutent alors nombre d’histoires terribles.
Pour les jeunes issus de famille migrantes, ce racisme raconté résonne avec leurs propres expériences. Pour les autres, un certain sentiment de culpabilité coloniale n’est pas rare. L’expérience, transformatrice pour tous, constitue même un «rite de passage» pour certains d’entre eux, selon Julie Gauthier. Les Québécois, souvent positionnés comme victimes des Anglais à travers l’Histoire, réalisent en effet leur rôle d’oppresseurs.
Asha et Déborah, anciennes étudiantes ayant participé au projet, racontent avoir été touchées par «la bienveillance» et l’accueil chaleureux des Atikamekw malgré ce lourd passé qui les affecte encore aujourd’hui.
Un voyage fondateur
Yannick Parent, aujourd’hui intervenant dans une maison de thérapie pour les Premières Nations, raconte que Rencontres autochtones a «changé sa vie». Lorsqu’il était étudiant au Collège Ahuntsic, Yannick n’avait pas la cote. Élève à problèmes, largement critiqué par les enseignants, il se souvient avoir voulu quitter l’école et être tombé dans la consommation.
«La première fois que je me suis senti à ma place et accepté, c’est grâce aux Premières Nations», sourit-il. Celui qui a tapé à la porte de Julie Gauthier par hasard dédie aujourd’hui sa vie à la Relation d’aide avec les Autochtones.
Yannick Parent sort alors d’une formation sur les mouvements nationalistes, et témoigne vivre un «gros choc» sur le territoire Atikamekw: «On vit sur un territoire qu’on ne connaît pas, en parallèle avec des gens qu’on ne connaît absolument pas. Ce qui m’a le plus bouleversé dans l’histoire, c’est de juste m’asseoir avec ces gens-là et sortir de la rhétorique. Tomber dans son cœur et cesser de parler avec sa tête.»
Tissant des liens particuliers avec une famille Atikamekw, Yannick se rend compte de ses compétences et qu’il est possible d’utiliser ses talents ailleurs. Aujourd’hui, il vit à La Tuque et côtoie les Premières Nations au jour le jour. Il participe à un processus de guérison au quotidien par son travail, mais aussi par l’éducation de ses enfants qui vivent proches des réalités de leurs voisins.
Un geste décolonial
Julie Gauthier explique voir Rencontres autochtones comme un «geste décolonial». Une visite de dix jours dans le bois pour s’asseoir et écouter, sans intérêt personnel d’une quelconque recherche de réponse ou de données.
L’enseignante parle de ce projet comme une «petite goutte d’eau dans l’océan» qui peut néanmoins permettre aux étudiants de s’éveiller (au meilleur âge) et d’agir différemment dans leur vie, quel que soit leur métier.
«Travailleurs sociaux, enseignants, travailleurs forestiers, travailleurs de la santé, peu importe. Cela risque de faire la différence entre un geste ou un autre. Une parole ou une autre», assure Julie Gauthier qui estime avoir touché 150 élèves par le projet.
L’enseignante déplore en effet l’existence d’un «racisme structurel, présent dans les programmes, les cours et les attitudes», citant notamment la difficulté du gouvernement à assouplir certaines choses telles que le processus d’embauche des Premières Nations. «Juste la façon dont ils sont reçus dans les hôpitaux! Les écoles! Il y a beaucoup de travail à faire», déplore-t-elle, affirmant être témoin de ce racisme au jour le jour.
Le Collège Ahuntsic met au cœur de ses actions la cause autochtone depuis de nombreuses années. Une démarche d’autochtonisation de l’enseignement apporte plus d’auteurs, de chercheurs et de savoirs des autochtones au programme scolaire. Le Collège a également mis sur pied un espace autochtone. Plusieurs événements en lien avec les Premières Nations rythment aussi l’année scolaire.
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Bravo à cette enseignante d’avoir mis en place ce programme.
Si d’autres pourraient faire pareil, on verrait peut-être les attitudes racistes persistantes effacées avec le temps.
J’ai été très touchée par cet article et par l’action apportée par cette professeure. Son objectif est des plus inspirant pour amener un meilleur vécu entre les autochtones et les gens d’ici et envers nous tous dans nos relations.
Un immense merci.