Les aînés vulnérables d’Ahuntsic-Cartierville ont été affectés brutalement par la réforme Barette, affirment les dirigeants de Tellement mieux à la maison!
En plus d’offrir des services d’aide à domicile, cet OBNL offrait, jusqu’à l’an dernier, des services d’assistance personnelle et, selon le jargon du milieu de la santé, des «actes confiés» selon la Loi 90 (par exemple : donner des médicaments, contrôler la glycémie, effectuer des touchers rectaux).
L’organisme a perdu ce contrat stratégique dans le sillage de la réforme Barette. Ses dirigeants ont du même coup constaté la rapide détérioration de la qualité des soins offerts à une clientèle très vulnérable, surtout des femmes seules de 80 ans et plus vivant à domicile (à la maison ou en résidence, mais pas en CHSLD).
La réforme Barette est celle de l’ancien ministre de la Santé et des Services sociaux Gaétan Barrette, réforme qu’il a pilotée sous le gouvernement libéral de Philippe Couillard. La réforme, adoptée en 2015 en pleine période d’austérité budgétaire, a profondément réorganisé les réseaux de la santé.
Québec a centralisé le processus de décision aux mains du ministre et fusionné des centaines d’établissements en une quinzaine de CIUSSS régionaux, effectuant au passage des centaines de millions de dollars de compressions budgétaires. Très centrée sur le curatif, la réforme implique lourdement le secteur privé dans l’offre de soins.
C’est dans ce contexte que l’organisme Tellement mieux à la maison! a perdu son contrat, au profit d’une agence de santé privée.
Retour en arrière
Mais revenons un peu en arrière : en 2007, le CLSC Ahuntsic (depuis fusionné au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal) demande à l’organisme d’offrir un service de soins à domicile pour les personnes vulnérables avec des auxiliaires en santé et en services sociaux.
L’OBNL l’implante et l’offre pendant douze ans.
« Pendant toutes ces années, nous n’avons eu que des commentaires positifs des responsables du CLSC, explique Anne Gélinas, directrice générale de Tellement mieux à la Maison! Le CLSC considérait que nous étions top qualité. »
Pendant cette période, l’organisme d’économie sociale a mobilisé 88 employés syndiqués à temps plein, partiel et occasionnel et procuré 94 000 heures de services d’assistance personnelle. Le service, qui a commencé à Ahuntsic, s’est rapidement élargi aux territoires d’autres CLSC des environs.
Appels d’offres
Après la réforme Barrette, en 2017, le ministère impose des appels d’offres : après avoir établi le service, l’avoir offert pendant plus d’une décennie et s’être fait apprécier pour la qualité de la prestation, l’OBNL doit se mesurer à des agences privées pour conserver son contrat.
« Nous étions un organisme d’économie sociale qui offrait de très bonnes conditions de travail à du personnel syndiqué, reprend Mme Gélinas. Nos compétiteurs sont des agences privées qui payaient beaucoup moins bien que nous. Leurs coûts d’opération sont moindres. »
La mécanique des appels d’offres est avant tout basée sur la règle du plus bas soumissionnaire. Selon Mme Gélinas, l’expérience acquise et la qualité des soins ne compte pas. L’OBNL remporte tout de même le contrat de deux ans (avec option de renouvellement pour deux autres années) même s’il se classe en dernière position parmi les neuf organismes soumissionnaires, car son offre était la plus chère.
Mais les problèmes de qualité de service s’accumulent partout dans la province et, en 2019, Québec renonce à renouveler les contrats existants et procède à une nouvelle ronde d’appels d’offres. Cette fois, Tellement mieux à la maison! en sort perdant.
« Nous avons perdu des points à deux questions sur quinze, pour des raisons que nous considérons comme des peccadilles, reprend Mme Gélinas. Par exemple, le questionnaire demandait si nous avions une politique de gestion des ressources humaines qui permettait la gradation des sanctions en cas de dossier disciplinaire. Nous avons répondu par l’affirmative, mais nous n’avons pas expliqué le détail de cette politique. Ils nous ont demandé si nous évaluions notre personnel. On a dit oui sans préciser la mécanique. Ces détails ont fait toute la différence. Quand ils ont appris que nous avions perdu le contrat, nos personnes-contact au CLSC étaient dévastées. »
Mme Gélinas explique que son organisme a songé à lancer des recours devant les tribunaux, jugeant que le traitement de son dossier avait été injuste. Mais devant l’Everest juridique et bureaucratique, il y a renoncé.
Déshumanisation
Depuis la réforme, elle souligne que la qualité des soins s’est de beaucoup détériorée.
« Quand notre organisme offrait le service, on passait pratiquement une à deux heures avec chaque bénéficiaire, dit-elle. C’est une clientèle très vulnérable, qui a besoin d’être rassurée. Certains n’ont jamais de visite, sauf la nôtre. Avec la réforme, nous avons été contraints d’écourter progressivement les visites. À la fin, elles ne duraient que 15 minutes. Le côté humain a pris le bord : tout ce qui compte, c’est l’argent, les budgets. C’est complètement aberrant. »
Anne Gélinas décrit l’organisation de ces soins comme du Taylorisme.
« Le personnel n’a pas le temps d’instaurer un lien avec les bénéficiaires et passe d’un client à l’autre à toute vitesse. Pour moi, c’est scandaleux. Surtout à une époque où on entend valoriser le maintien à domicile des aînés en perte d’autonomie. »
Avec la perte de ce contrat, Tellement mieux à la maison! a dû licencier une soixantaine d’employés.
Pas de réponse!
Le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal a préféré ne pas commenter le dossier et nous a référé à sa société Sigma Santé, qui était responsable de la gestion des appels d’offres.
Au moment de publier ces lignes, cette dernière n’avait pas répondu à nos demandes de commentaires.
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