Vous connaissez des histoires, des défunts, des anecdotes sur le cimetière Back River? Vous avez des documents à partager? Des chercheurs de l’Université Concordia aimeraient vous entendre.
Le Cimetière Back River est cet espace vert situé au métro Sauvé. Il tire son nom d’un noyau villageois construit autour du premier pont Viau, avant que le quartier ne s’appelle Ahuntsic. Il fait référence à la rivière des Prairies, que les Anglais appelaient la rivière d’en arrière. En fait, le cimetière Back River est un des plus vieux cimetières juifs au pays, après celui de Trois-Rivières, où les premiers Juifs se sont installés au pays, et ceux des quartiers centraux de Montréal.
Celui de Back River aurait été fondé en 1892, mais la date n’a pas été confirmée. C’est une des données que tente de préciser Anna Sheftel, historienne et directrice de l’École des affaires publiques de l’Université Concordia, dans une série de travaux qui s’intéressent à l’histoire sociale du lieu. Mme Sheftel et son équipe ont installé des panneaux autour du cimetière, invitant la population à faire part de ce qu’ils connaissent sur ce lieu historique. On peut aussi participer en remplissant un formulaire en ligne (https://bit.ly/3zhYiRf).
« Nous essayons de comprendre la place de ce cimetière dans l’histoire d’Ahuntsic et de la communauté juive de Montréal, explique la chercheuse. Cet endroit est à la rencontre de deux communautés qui ne se fréquentent pas souvent. J’ai discuté avec de nombreux voisins, qui se demandent comment se fait-il qu’il y ait un cimetière juif dans leur quartier. »
En fait, la création du cimetière remonte aux années 1850. À l’époque, la communauté juive montréalaise était essentiellement rassemblée autour du port. Avec la révolution industrielle et le développement du boulevard Saint-Laurent, où les Juifs de Montréal ont créé de nombreuses manufactures de textile et y ont massivement travaillé, la communauté a migré vers le nord.
Durant cette période, notamment pour des raisons de salubrité et de développement, tous les cimetières situés dans l’actuel arrondissement de Ville-Marie ont été déménagés à la campagne ou sur le mont Royal.
Une ancienne ferme
La communauté juive cherchait alors un endroit accessible et un fermier de Back River aurait accepté de vendre sa terre. C’est ce qui explique qu’il y ait un cimetière juif dans un quartier où cette communauté est à peu près absente.
Dans la tradition juive, les sépultures sont perpétuelles. Longtemps, les différentes parties du cimetière ont été entretenues par des sociétés charitables ou des synagogues. « Chacune prenait soin de son coin de cimetière et cette gestion était très décentralisée, reprend Mme Sheftel. Avec le temps, plusieurs sociétés ont disparu et la direction des synagogues a changé. Peu à peu, le cimetière fut laissé à l’abandon. Cette situation complique singulièrement nos recherches de documents, qui sont éparpillés un peu partout, souvent dans des endroits que nous ne connaissons pas. C’est pourquoi nous faisons appel au public pour nous aider. »
Il y a de nombreuses années, le cimetière connaissait pourtant une certaine notoriété. Des personnages importants de la communauté y ont été enterrés, comme Moishe Lighter, qui a fondé un des plus anciens restaurants de Montréal, Moishes Steakhouse (il l’aurait acquis lors d’une partie de poker), qui a eu pignon sur rue pendant 83 ans sur le boulevard Saint-Laurent, près de la rue Duluth (à l’automne 2022, après une fermeture due à la COVID-19, il rouvrira dans le siège de la Caisse de dépôt et placement du Québec, avenue Viger).
Après avoir été pratiquement laissé à lui-même, il est administré par l’organisme sans but lucratif (OSBL) du Baron de Hirsch depuis les années 1990. Puis, en 2013, il passe officiellement sous le giron de cet organisme, qui administre également un autre cimetière juif montréalais, rue de la Savane, fondé en 1905.
Les deux cimetières sont maintenant nommés en l’honneur du Baron de Hirsch, un très riche banquier juif d’origine autrichienne, qui avait donné une fortune il y a plus d’un siècle au cimetière montréalais rue de la Savane. Maurice de Hirsch a longtemps vécu à Bruxelles et à Paris (son hôtel particulier est aujourd’hui une annexe du Palais de l’Élysée, siège de la présidence française). Il est connu pour avoir financé l’émigration massive de juifs russes, victimes de pogroms à la fin des années 1800, vers plusieurs pays, notamment le Canada, mais surtout l’Argentine.
Renouveau
Il y a 25 ans, l’équipe qui gère le cimetière a mené une grande campagne de souscription auprès de la communauté juive pour effectuer d’importants travaux de rénovation. De nombreux Juifs de Montréal découvrent alors avec stupéfaction l’existence de ce cimetière.
« À l’époque, il était en très mauvais état, confirme son directeur général, Jonathan Wise. Il a fallu beaucoup de travail pour le restaurer et ce n’est pas encore terminé. » On y trouve d’ailleurs aujourd’hui plusieurs sépultures dont les noms ont été effacés. Malheureusement, il n’existe pas d’archives qui permettraient de les restaurer.
Le cimetière est également une affaire de famille. « Mes grands-parents ont été enterrés ici, affirme M. Wise. On a un garde de sécurité qui a travaillé ici pendant des décennies et qui vivait tout près. Nous en sommes à la quatrième génération de contremaîtres. C’est comme une entreprise familiale et tout le monde y est très bien traité. »
M. Wise mentionne que l’endroit regorge de bonnes histoires.
« Par exemple, mes arrière-grands-parents ont été enterrés ici côte à côte, dit-il. Or j’ai su que mon arrière-grand-mère avait passé sa vie à rabaisser son mari. Un matin, ma grand-mère reçoit un appel du cimetière l’avisant que le monument de sa mère s’était affaissé : celui de son père était désormais plus élevé que celui de sa mère. La direction lui demande si elle veut que soient réalisés des travaux pour égaliser les deux sépultures. Elle répond, du tac au tac, de laisser les lieux en l’état actuel, car après toutes ces années, il fallait bien qu’au moins une fois, mon arrière-grand-père ait le dessus sur sa femme! »
Les recherches d’Anna Sheftel permettront peut-être de savoir pourquoi le cimetière a été abandonné pendant des années : « Ma théorie, c’est que l’endroit est éloigné des quartiers où les juifs de Montréal sont regroupés et que c’est un petit cimetière. Peu de personnes étaient incitées à le fréquenter… Pourtant, dans notre culture, on prend grand soin de nos cimetières. Certains ont été choqués de découvrir qu’il avait été pratiquement oublié. »
Aujourd’hui, la chercheuse aimerait discuter avec quiconque a un lien avec cet endroit tout de même spécial dans l’histoire de la ville et du quartier : des gens qui ont de la famille enterrée ici, des voisins, des personnes qui ont des souvenirs liés à cet endroit, qui pourraient nous éclairer sur son évolution. À sa grande surprise, elle a eu beaucoup de réactions grâce à ses affiches. Et elle s’en réjouit.
Les cimetières de la Savane et Back River abritent environ 65 000 sépultures et une quarantaine d’enterrements ont lieu chaque année dans celui d’Ahuntsic.
La communauté juive de Montréal est la deuxième en importance au pays et représente 2,4 % de la population montréalaise. Elle se classe au onzième rang des groupes ethniques de la ville, avec près de 91 000 personnes. Le quart des juifs montréalais sont sépharades. Les Juifs de Montréal proviennent historiquement d’Europe, de Russie, du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Les premiers juifs ont immigré au Québec dans les années 1760 à Trois-Rivières, à Québec et au port de Montréal. Ils sont donc installés ici depuis plus de 260 ans. Fait à noter, en 2011, le tiers des Juifs âgés de Montréal étaient des survivants de l’Holocauste.
La communauté compte à son actif plusieurs icônes de l’économie québécoise : Aldo, Brown’s, Seagram’s, Steinberg, Wise, Schwartz’s, Jarislowsky Fraser, Reitman, Dorel, Pascal, Peerless, Greenberg, Studios Mels, etc. Plusieurs créateurs juifs montréalais ont une renommée nationale et internationale comme Leonard Cohen, Mordecai Richler, Naïm Kattan, Alexander Brott, Saul Bellow, Sonia Benezra, Emile Berliner, Moshe Safdie, William Shatner, Socalled, Corey Hart, Betty Goodwin, Phyllis Lambert…
Enfin, tout le monde connaît l’apport de la communauté juive à la gastronomie québécoise, avec le smoked meat et les bagels.
[Rectificatif : La version originale de ce texte mentionnait que la communauté juive de Montréal représentait 23,2% de la population de Montréal. En fait, elle représente 2,4% de la population de la métropole du Québec, mais 23,2% de la population juive du pays est établie à Montréal, selon la Fédération CJA. ]
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