Fleurs et chandelles déposées par des des citoyens du quartier en hommage au propriétaire du dépanneur De Lille tué le 6 novembre dernier. (Photo : jdv – Philippe Rachiele)

Le SPVM semble avoir fait un effort pour tenter de comprendre le phénomène de la violence chez les jeunes à Montréal. En 2008, des chercheurs du SPVM ont lancé une étude pour tenter de cerner quelle part de cette violence était attribuable aux gangs de rue. Le SPVM a publié l’année suivante un portrait chiffré de la délinquance et de la victimisation chez les jeunes (1) qui devait permettre d’orienter ses interventions futures.

Des efforts de recherche

Certains constats de cette étude ont de quoi surprendre, notamment lorsque l’analyse conclut que « les caractéristiques des quartiers montréalais ont une faible incidence sur les taux de criminalité chez les jeunes ». On y apprend aussi que la proportion des crimes violents commis par les jeunes qui sont associés aux gangs de rue s’élève à peine à 10 % de l’ensemble des crimes de violents juvéniles.

En 2009, le SPVM s’est également associé au Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (CJM-IU) et à d’autres partenaires institutionnels et communautaires pour mettre sur pied le Programme de suivi intensif de Montréal – Gangs de rue (PSI/GDR).

Inspiré d’un modèle mis au point aux États-Unis, le projet visait à intervenir auprès de jeunes contrevenants associés aux gangs de rue à haut risque de récidive ou à des jeunes à risque d’être impliqués dans les activités criminelles reliées aux gangs de rue.

« Il y avait beaucoup de meurtres qui étaient liés aux activités de gangs de rue puis au trafic de drogue », explique le criminologue Pierre Cloutier qui a dirigé le PSI de 2011 à 2014.

Le phénomène, particulièrement marqué aux États-Unis vers le milieu des années 2000, semblait bien en voie de prendre racine à Montréal et le PSI s’inscrivait donc dans une volonté de freiner la progression des gangs de rue à Montréal.

« On avait une bonne idée des grands facteurs qui font que ces jeunes-là se maintiennent dans des activités criminelles et on avait développé un suivi individuel et des programmes de groupe pour contrer ces facteurs-là, ou à tout le moins leur offrir des facteurs de protection en remplacement des facteurs de risque que les jeunes avaient dans leurs vies », explique Pierre Cloutier, faisant écho à un volumineux rapport de la Société de criminologie du Québec sur le travail auprès jeunes impliqués ou à risque d’être impliqués dans les gangs de rue publié en 2007.

L’expérience, financée par le gouvernement fédéral, s’est soldée par un résultat mitigé. Selon un sommaire de recherche publié en 2017 par Sécurité publique Canada, un jeune ayant participé au programme se trouvait à avoir « trois fois plus de chances d’être condamné pour n’importe quel délit ou un délit violent, et jusqu’à treize fois plus de risque d’avoir une nouvelle condamnation pour un manquement aux conditions de surveillance » qu’un jeune n’y ayant pas participé.

Ces constats sont en phase avec des constats de recherches publiés en 2015 dans la revue Criminologie. Les auteurs, une équipe formée de membres du SPVM et de chercheurs en criminologie, soulignaient que la « délinquance accrue fait en sorte que les membres de gangs sont plus surveillés et [que] les quartiers où opèrent ces groupes font l’objet d’une attention toute particulière des autorités policières ».

Qui plus est, les jeunes judiciarisés « font aussi l’objet de préoccupations particulières de la part des juges et des procureurs », et ont davantage tendance à être reconnus coupables, à subir des peines plus sévères, à faire l’objet d’une surveillance plus stricte en détention, à se voir refuser des allègements de sentence et à être pris en violation de leurs conditions de libération.

Néanmoins, dit Pierre Cloutier, le programme a ouvert une piste intéressante pour assurer un meilleur suivi auprès des jeunes à risque en décloisonnant les interventions des intervenants policiers, judiciaires et communautaires. Ce type d’action permet, selon lui, d’assurer que les jeunes puissent obtenir les services dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin.

« Souvent, c’était important de saisir le moment opportun, parce que la demande d’aide, elle ne viendra pas deux, trois fois », dit le criminologue.

Il donne l’exemple d’un jeune très impliqué dans les gangs de rues qui refusait l’aide qui lui était offerte pour sortir de son milieu criminel où il jouissait d’un statut et d’une reconnaissance. Ce n’est que lorsque l’intervenant s’est rendu à son chevet à l’hôpital un samedi soir alors que le jeune avait été grièvement blessé d’un coup de couteau, que celui-ci a saisi la main tendue par l’intervenant pour l’aider à mettre fin à son association avec les gangs de rue.

Au-delà des résultats mitigés du programme dans son ensemble, c’est ce type d’intervention personnalisée, hors des heures de bureau et hors des murs des institutions et organismes qui interviennent auprès des jeunes contrevenants, que favorisait la mise en commun des ressources et d’information rendue possible par le PSI, estime Pierre Cloutier.

« On augmente la disponibilité du réseau pour venir en aide à ces jeunes-là, puis en les suivant intensivement par ce réseau-là, on reste informé de leurs faits et gestes et de ce qui leur arrive rapidement, pour pouvoir intervenir en aval en prévention, plutôt que seulement d’intervenir en situation de crise », résume Pierre Cloutier qui pense qu’on pourrait s’inspirer de l’expérience du PSI pour développer de nouvelles approches d’intervention.

Le sommaire de recherche de Sécurité publique Canada présentait d’ailleurs quelques pistes qui permettraient d’améliorer l’efficacité d’une stratégie de suivi intensif auprès des jeunes contrevenants.

Le document évoque notamment une prise en charge qui traiterait également des enjeux psychosociaux comme la toxicomanie, les loisirs, l’éducation ou l’emploi et qui ne s’intéresse pas uniquement à limiter la fréquentation de pairs délinquants ou à réprimer les comportements et les orientations pro-criminelles des jeunes visés.

Réduire les méfaits… et les préjugés

 Kenny Thomas pense pour sa part que toute stratégie de prévention de la violence doit miser avant tout sur une approche de réduction des méfaits.

« Je pense que ça a été prouvé à bien des endroits à travers le monde que ça fonctionne plus que la répression », dit l’intervenant.

Cette approche, élaborée au départ dans l’intervention auprès de personnes aux prises avec des problèmes de toxicomanie, s’adapte bien au travail avec les jeunes criminalisés, parce qu’elle ne leur demande pas d’emblée de renoncer à l’ensemble de leurs comportements criminels, mais les encourage plutôt à réduire progressivement les méfaits en vue de les éliminer.

Contrairement à la surveillance et aux frappes policières ponctuelles, une telle approche ne cherche pas à déstabiliser les gangs enfermant derrière les barreaux les têtes dirigeantes ou les exécutants, qui finissent d’ailleurs toujours par ressortir – parfois encore plus endurcis.

La réduction des méfaits cherche plutôt à offrir aux jeunes des pistes de sorties pour se libérer, peu à peu, de l’univers des gangs.

Les coups d’éclats policiers contribuent peut-être à rassurer la population, mais ils ne semblent pas particulièrement efficaces pour réduire notablement la violence liée aux gangs de rue. Pire, ils peuvent parfois contribuer à faire monter la tension et mener à des débordements tragiques.

« Des fois ce n’est même pas justifié », dit Kenny Thomas, qui souligne qu’il arrive fréquemment que la police intervienne, sans motif précis, auprès de jeunes qui sont «tout à fait dans leurs droits ».

En plus de ne répondre à aucun impératif stratégique, ce type d’intervention contribue à créer, dans l’esprit des gens, des amalgames entre jeunes et gangs de rue. Ces raccourcis trompeurs sont trop souvent relayés dans le traitement médiatique réservé à ce genre d’incidents.

Les amalgames sont légion dans les nombreux articles consacrés à la violence associée aux gangs de rue.

On peut penser à d’anciens reportages en immersion avec la police, comme un article paru dans La Presse en 2013 qui nous mène « sur la trace du crime organisé » : d’un bar de la rue Fleury Ouest jusqu’à une rencontre avec le chef de gang notoire Gregory Woolley en passant par un complexe de HLM d’Ahuntsic.

Mais ce traitement persiste aussi dans des reportages plus récents, comme ceux qui font suite à l’arrestation d’un intervenant jeunesse dans la foulée d’une rafle policière dans un secteur de Montréal-Nord que les policiers surnomment « le Bronx ».

« Le traitement médiatique, c’est comment on décrit les choses, comment on décrit les gens. Pourquoi est-ce qu’il faut absolument qu’il y ait un lien avec les gangs de rue quand il y a eu une altercation entre voisins qui n’a rien à voir avec de la dope, qui n’a rien à voir avec le proxénétisme, qui n’a rien à voir avec des activités criminelles? Des fois, c’est juste du monde qui faisait du bruit [et] la personne arrêtée, elle n’était pas membre des gangs de rue », souligne l’intervenant.

Au-delà du traitement médiatique, ce type de discours nuit surtout à la cohésion sociale dans les quartiers, déplore Kenny Thomas.

« C’est un cercle vicieux », dit-il.

Parce que le sentiment d’insécurité prend racine, en partie, dans les préjugés qui sont entretenus par les actions et la visibilité policière renforcées dans certains secteurs.

« Tu n’es pas nécessairement porté à vouloir connaitre tes voisins, s’il y toujours la police qui débarque », observe-t-il.

Cette question de la cohabitation semble évacuée du discours public entourant la récente annonce de la création de l’ELTA.

 « Au cours des derniers mois, nous avons malheureusement constaté, dans plusieurs secteurs de Montréal, une recrudescence d’incidents impliquant des armes à feu. Cette situation nous préoccupe énormément. La sécurité de la population est au cœur de nos priorités », affirme la mairesse de Montréal, Valérie Plante, par voie de communiqué.

Alors que le SPVM promet de « remonter vers le problème à la source, soit les têtes dirigeantes des réseaux de trafic d’armes », une question demeure ouverte.

« Pourquoi, là, actuellement les jeunes qui prennent la relève [dans les gangs de rue] se sentent obligés de s’armer un petit peu plus? Est-ce que c’est simplement de la dissuasion ou ça va être un phénomène d’accélération ou d’escalade de la violence? », demande Pierre Cloutier.

Et en définitive, analyse Kenny Thomas, si après tout ce temps la paix est troublée par des problèmes de violence et de délinquance qui persistent chez les jeunes dans Ahuntsic-Cartierville, comme ailleurs dans le Nord de l’Île, c’est peut-être parce que trop peu d’attention a été portée aux dynamiques liées à la défavorisation, qui sont souvent en cause dans l’émergence des phénomènes criminels associés aux gangs de rue et, plus largement, à l’insécurité urbaine.

 

(1) Source : Violence chez les jeunes : Portrait chiffré de la délinquance et de la victimisation, SPVM, 2009



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