La réédition d’un livre qui raconte l’histoire du Canada et de la Nouvelle France dans la langue avec laquelle il a été écrit il y a 400 ans permet de se faire une idée plus précise de la vie à cette époque. Paradoxalement, cela permet de mieux connaître le mode de vie des peuples autochtones.
L’auteur, Gabriel Sagard, mort vers 1640, est un missionnaire français de Nouvelle-France. Il a séjourné au Canada entre 1623 et 1624. Il a laissé quelques ouvrages dont un dictionnaire huron-français, mais aussi Histoire du Canada et voyages que les Frères Mineurs Recollects y ont faicts pour la conversion des Infidelles.
Les Récollets (Recollects en vieux français) sont des missionnaires d’un ordre dérivé des Franciscains, arrivés en Nouvelle-France en 1615.
Le livre du frère Sagard vient d’être réédité cette année chez Septentrion (Québec). Il reprend la publication de 1636, parue à Paris chez Claude Sonnius. Celle-ci est enrichie du travail minutieux de Marie-Christine Pioffet, professeure titulaire à l’Université York de Toronto.
Ce n’est pas un livre de chevet, si ce n’est pour des spécialistes. Toutefois, à la manière des chroniqueurs du Moyen Âge, Sagard compile une richesse de détails dans les descriptions et dans la narration des événements vécus. Il parle des mœurs, de la façon de vivre, mais aussi de l’habitat, des vêtements, de la cuisine et même de la faune et de la flore. Il offre au bout du compte un véritable voyage dans le temps.
Origines
Même si des copies du livre existent et qu’une version numérisée est accessible, cette parution présente sous un jour nouveau un ouvrage majeur pour la compréhension de l’histoire du Canada.
« Effectivement, l’ouvrage est disponible; l’édition qui date de 1636 est en ligne, mais elle est très difficile à lire », indique d’emblée Marie-Christine Pioffet.
Le livre avait été réédité aussi en 1866, mais dans ce cas c’était un ouvrage brut.
« Cette édition ne comporte aucune note. Pour les lecteurs, c’est un peu difficile à lire. Sagard a une prose très alambiquée. Donc je pense que les notes facilitent grandement la lecture. D’autre part, j’ai fait un travail d’édition critique », souligne Mme Pioffet.
La chercheuse a comparé le texte original avec d’autres sources, dont les ouvrages d’autres auteurs qui ont raconté leurs voyages au Canada, ainsi qu’avec les écrits de Champlain, pour vérifier le contenu et déterminer notamment ce qui appartient à Sagard et ce qui émane d’autres écrivains.
« Sagard a puisé chez un grand nombre d’auteurs et, d’ailleurs, tous les historiens de l’époque le faisaient. Il n’y avait pas de pudeur à aller prendre chez les uns, chez les autres », relève la professeure.
En l’absence de copyright et de protection des droits d’auteurs, la question ne se posait pas.
« Il y a tout cet effort que je pourrais qualifier de travail sur la génétique de l’œuvre, affirme Mme Pioffet. Je pense que le regard neuf était utile pour montrer justement l’apport de ce texte-là [pour l’étude de l’histoire] qui a été longtemps dans un long purgatoire, à mon avis. »
Le livre est publié dans sa langue originelle, le français du 17e siècle avec des conjugaisons étonnantes et des formulations qui surprennent. Un choix délibéré, car pour Mme Pioffet c’est une langue qui est facile à déchiffrer.
« Un glossaire permet de comprendre les mots et, quelquefois, quand c’est très difficile à comprendre, j’ai ajouté des notes. Il y a des phrases qui sont très ambiguës et je donne parfois des interprétations. »
Retrouver Ahuntsic
Sagard, qui était un frère récollet, s’est intéressé à la disparition du père Nicolas Viel et de son compagnon Ahuntsic (cité sous le nom de Auhaitsique), celui qui a donné son nom au quartier.
La grande question concerne leur mort, présentée comme un assassinat commis par les Hurons.
Pour Mme Pioffet, Sagard reprend à son compte la version de Paul Lejeune, un prêtre jésuite et missionnaire français qui a décrit le Canada à son époque. Toutefois, Sagard apporte des éléments qui contredisent aussi cette version.
« Je pense en fait que c’est une noyade accidentelle. Dans Le grand voyage [autre livre de Sagard] il a parlé de la noyade, donc un accident. Et puis, dans Histoire du Canada, comme je l’ai dit, je pense à la page 424 », observe Mme Pioffet. Sagard évoque effectivement le danger des saults, les chutes d’eau dans la rivière.
Je ne fay point icy mention de tous les hazards et dangers que nous courusmes en chemin, ny de tous les sauts où il nous fallut porter tous nos paquets par de très longs et fascheux chemins, ny comme beaucoup de fois nous courusmes risque de nostre vie, et d’estre submergez dans des cheutes et abysmes d’eau, comme a esté du depuis le bon Pere Nicolas et un jeune garçon François nostre disciple, qui le suyvoit de près dans un autre Canot, pour ce que ces dangers et perils sont tellement frequents et journaliers, qu’en les descrivans tous, ils sembleraient des redites par trop rebatues…(Extrait du livre Histoire du Canada)
Pour Mme Pioffet, la mort de Nicolas Viel et d’Ahuntsic a eu des utilités politiques autant pour les Hurons que pour les Récollets.
« À mon avis, Lejeune rapporte un témoignage d’un autochtone qui ne souhaitait pas que les Français viennent pour des raisons commerciales. Alors que les Récollets, en 1636, avaient tout avantage à avoir Nicolas Viel comme un premier martyr. En le présentant comme quelqu’un qu’on aurait tué intentionnellement, c’était beaucoup plus rentable politiquement pour permettre leur retour en Nouvelle-France. »
Revisiter l’histoire
À l’heure de la réconciliation avec les Premières Nations, la parution d’un livre qui présente les autochtones comme des infidèles à convertir pourrait susciter un âpre débat. C’est après tout ces idées cultivées durant des siècles qui ont favorisé une relation de domination et exclu le dialogue.
« C’est paradoxal, parce que Sagard est un homme paradoxal. C’est quelqu’un qui a son franc-parler, un personnage attachant. Il était très attaché aux Hurons, comme on appelait à l’époque les Wendat. Il les aimait particulièrement et on sent son affection tout au long du livre », observe Mme Pioffet.
Selon elle, il faut voir Sagard comme un religieux du 17e siècle. C’est ce qui a prévalu chez lui et ce n’est pas pour de mauvaises raisons, à ses yeux.
« Il a eu cette vocation de missionnaire dès sa jeunesse quand il aperçut pour la première fois le tableau du jugement dernier à l’Église du Saint-Esprit en Lorraine. Il a vu dans sa petite tête d’enfant que les infidèles, comme on les appelait, iraient en enfer. Alors ça l’a ému et il s’est dit, je vais devenir missionnaire pour les sauver. »
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