Michel Stringer, enseignant de français à l’école Sophie-Barat, s’est fait connaître en 2022 quand il a dû se battre pour obtenir un purificateur d’air en classe et un masque N95, prescrits par son médecin. À la veille de la rentrée des classes, le Journal des voisins revient avec lui sur ce désir d’enseigner qui rend malade.
Journal des voisins: D’abord, comment allez-vous?
Michel Stringer: Ça va beaucoup mieux, en fait. C’est sûr que j’aurais des séquelles pour le restant de mes jours parce que je souffre d’une fibrose pulmonaire dite interstitielle d’hypersensibilité. C’est une maladie qui semble peu connue et cela s’est passé dans le contexte de la COVID. J’ai pensé que c’était essentiellement la COVID qui était responsable de ça, mais on a appris à force de consulter des médecins en santé et sécurité au travail ainsi que des pneumologues que j’avais une maladie sous-jacente avant d’attraper la COVID qui a accéléré le processus.
Donc la maladie était là et elle s’est manifestée quand vous avez attrapé la COVID?
En fait, ma maladie serait liée à une exposition à un contaminant, sur plusieurs années, dans mon milieu de travail, donc dans l’école.
Est-ce qu’on sait comment cela s’est passé?
C’est difficile d’identifier de quelle façon précisément j’ai été exposé au contaminant, mais il ne fait aucun doute que c’est dans le milieu de travail.
Il faut dire une chose: la grande majorité des écoles du Québec a un déficit d’entretien. Pendant des décennies, le personnel des écoles et les élèves se trouvaient dans des milieux où la qualité de l’air était suspecte et moi, j’en suis une victime. C’est malheureux, mais c’est ainsi. Avec cette pneumonie et l’hypersensibilité, je suis plus vulnérable que la grande majorité des personnes à des contaminants. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres personnes qui développent d’autres types de maladies dans le cadre de leur travail.
Le public vous a connu pour avoir revendiqué de meilleures conditions, un purificateur d’air notamment, pour pouvoir continuer de travailler. Vous auriez pu vous prévaloir d’une incapacité et demander une indemnité et rentrer chez vous. Au contraire, vous vous êtes battu pour pouvoir continuer à enseigner.
Je ne suis pas un héros. C’est vrai que les conditions de travail se sont détériorées avec les années pour toutes sortes de mauvaises raisons. Mais enseigner demeure un métier exceptionnel, que j’aimerais pouvoir pratiquer encore de nombreuses années. Je n’ai pas voulu prendre une retraite anticipée parce que je suis malade. J’ai aussi eu l’accord de mes médecins pour cela. Ce n’est pas si compliqué, au fond. Le consensus médical, c’est avoir une qualité de l’air acceptable. Cela devrait être une norme pour tous les bâtiments publics.
Ce qui m’a beaucoup rassuré et a permis mon retour aussi, c’est l’engagement de la santé publique et de la CNESST [Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail], qui sont un peu comme des chiens de garde même face à des actions du gouvernement du Québec qui est propriétaire des immeubles. Sans cela je n’aurais probablement pas eu l’accord des médecins pour retourner à Sophie-Barat.
Qu’est-ce que vous aimez tant dans ce travail pour que vous vous battiez de cette manière?
Enseigner, c’est avoir une tribune et c’est simplement extraordinaire. On nous confie des jeunes, c’est précieux. C’est un privilège de transmettre le savoir, peu importe la matière. C’est extrêmement important, surtout dans le monde dans lequel nous vivons. On doit combattre l’ignorance de toutes les manières possibles.
J’ai la chance d’enseigner le français, qui est la langue officielle du Québec et ma langue maternelle. C’est une occasion pour moi d’expliquer non seulement comment fonctionne la langue, mais aussi de voir à quel point elle permet de rentrer en relation avec les autres quand on la possède, quand on l’aime. Moi, j’adore faire le lien entre l’enseignement de la langue française et l’enseignement des sciences humaines. À partir de la littérature et des textes, on peut aller du côté de l’histoire, de la sociologie, des sciences politiques, etc. Quand on voit les élèves découvrir tous ces univers-là, grâce à des textes papier, j’insiste là-dessus, on finit par vivre dans une forme de communion.
Quelles satisfactions tirez-vous de ce travail qui vous rend malade?
On vit personnellement quelque chose parce qu’on se sent utile. On a le sentiment de participer à la marche du monde [avec des moyens très simples]. Cela peut paraître grandiose de dire une chose comme celle-là, mais il faut se rappeler que dans les pays défavorisés, parfois, il n’y a que la parole qui permet d’inculquer du savoir. Une craie et un tableau, on n’a pas besoin de moyens technologiques énormes pour arriver à transmettre [la connaissance] si on est capable d’avoir l’attention.
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