Plusieurs mesures ont été prises, très récemment, par différents ordres de gouvernement (fédéral, provincial et municipal), pour faire face à l’urgence imposée par la crise du logement. L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, dont le faible taux d’inoccupation des logements locatifs s’accorde mal avec l’afflux sur son territoire de nombreuses familles, doit résoudre une équation complexe : comment satisfaire une demande en forte croissance tandis que l’offre de logements se raréfie?
Vécue individuellement sur le terrain, parfois avec violence, la pénurie de logements s’explique par un faisceau d’éléments multifactoriels, parfois systémiques. Aussi, la riposte viendra vraisemblablement de solutions et de ressources elles aussi multiples, provenant de l’arrondissement, mais aussi d’ailleurs.
Les origines de la crise
«Historiquement, l’origine de la crise se situe au milieu des années 1990, lorsque les gouvernements successifs se sont retirés des programmes de construction de logements sociaux et communautaires, confirme Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). On ne s’en est jamais remis.»
Logement social démuni
Dans ce contexte, les listes d’attente pour accéder à des logements sociaux ou communautaires s’allongent. D’après l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM), le temps d’attente moyen, en 2023, pour une habitation à loyer modique (HLM) était de 5,8 ans à Montréal. La statistique relative à l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville n’est malheureusement pas disponible.
«Pour résoudre la crise, la question prioritaire reste l’accès à un plus grand nombre de logements hors marché, c’est-à-dire les appartements communautaires et sociaux, propose Guillaume Hébert de l’IRIS. Ils ne représentent qu’environ 10 % des logements locatifs au Québec, si l’on se fie aux différentes données fédérales et québécoises. Ce pourcentage devrait au moins doubler pour régler la crise du logement.»
Constructions de HLM stoppées au profit d’autres programmes
La faible augmentation de HLM durant les dernières années (+ 1260 logements en 16 ans) s’explique par le fait que les nouvelles constructions sont stoppées, sauf au Nunavik.
Plus largement, le nombre de logements sociaux, communautaires et abordables a augmenté de 30 % pour atteindre 135 760 logements, sur cette même période, en ajoutant tous les autres programmes d’aide au logement : Programme de supplément au loyer (PSL), AccèsLogis (ACL) et Logements abordables Québec (LAQ).
En dépit de mesures récentes, telles que le moratoire de trois ans sur les évictions dans le parc locatif privé (projet de loi 65), pour le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), la responsabilité de la pénurie de logements incombe d’abord au gouvernement, car il ne donnerait aucune visibilité pour la «réalisation sur plusieurs années de ce nécessaire grand chantier» dans le parc locatif social.
Projet de loi 65 : un moratoire de trois ans sur les évictions
Présenté le 22 mai dernier à l’Assemblée nationale, le projet de loi no 65 limite les pratiques spéculatives utilisées par certains propriétaires. Il instaure un moratoire de trois ans sur tout nouveau processus d’éviction amorcé à la suite de la présentation du texte de loi. Néanmoins, durant cette période, si le taux d’inoccupation publié par la SCHL pour l’ensemble du Québec atteint 3 %, ce moratoire prendra fin dès la publication d’un avis dans la Gazette officielle.
Quels financements?
La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, a annoncé des subventions d’un montant totalisant 87,5 M$, en décembre dernier, répartis à parts égales au Fonds de solidarité FTQ et à Desjardins pour la construction de 500 nouvelles unités de logements sociaux et abordables. Ces sommes s’ajoutent aux 175 M$ déjà consentis pour réaliser à terme 2000 logements.
Pourtant, le budget présenté en mars dernier par le ministre des Finances Éric Girard pour 2024-2025 inquiète le monde associatif. «La mise à jour économique de novembre prévoyait le financement de 8000 nouveaux logements sociaux et abordables pour lesquels 4000 suppléments au loyer sont réservés consécutivement à une entente avec Ottawa, rappelle Mme Laflamme, porte-parole du FRAPRU. Cela est un pas dans la bonne direction, mais sans programme adéquat pour les développer et sans la garantie qu’ils seront réservés au secteur sans but lucratif, les incertitudes perdurent.»
Et la Ville?
Si la Ville estime à 7,5 % la part de logements sociaux et abordables, dits hors marché, à Montréal, elle a annoncé récemment l’objectif de porter ce taux à 20 % à l’horizon 2050. D’autres chiffres circulent tendant à montrer que la métropole n’est pas à la hauteur du défi. Selon le graphique publié récemment par Centraide, une organisation philanthropique, la part de logement social équivaudrait à 4,9 % et la placerait, par conséquent, en mauvaise position par rapport aux pays de l’OCDE. Cet écart provient de la méthode de calcul : le logement social n’englobe pas tout le logement hors marché.
Insalubrité dans les parcs locatifs privé et public
Par ailleurs, il n’est pas rare que les résidents du parc locatif social, notamment dans la zone de revitalisation urbaine intégrée (RUI) à Bordeaux-Cartierville, mais aussi dans les logements du privé, dénoncent les conditions d’insalubrité dans lesquelles ils vivent.
Zone RUI : 60 % des locataires interrogés signalent un problème d’insalubrité
«Selon notre expertise de terrain, l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville présente un problème d’insalubrité qui tarde à se résorber», pointe Yvan Dinel, organisateur communautaire au Comité logement d’Ahuntsic-Cartierville (CLAC).
La situation est particulièrement marquante avec 60 % des 862 locataires rencontrés, entre avril 2023 et mars 2024, qui présentent au moins un problème d’insalubrité dans la zone de revitalisation urbaine intégrée (RUI) de Cartierville. À Ahuntsic, 32 % des 1148 locataires rencontrés, entre décembre 2022 et novembre 2023, se plaignent d’un problème d’insalubrité, selon les chiffres du CLAC.
Coquerelles en zone RUI
Le parc locatif social n’est guère mieux loti ! De son côté, l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) a relevé plusieurs problèmes : les coquerelles (51 %), la moisissure et l’infiltration d’eau (16 %), les rats et souris (15 %), les punaises de lit (11 %) et d’autres aléas (7 %).
Le mauvais entretien des habitations incombe aussi aux propriétaires. Certains sont soupçonnés d’exercer des pratiques abusives et spéculatives.
Registre des baux pérenne
Par conséquent, parallèlement à la question du logement abordable, un deuxième levier à actionner serait l’instauration d’un registre des baux visant à recenser tous les loyers. C’est l’avis de Guillaume Hébert.
«L’État doit gérer le registre des baux, plaide le chercheur. Et ce, même si l’expérience montréalaise de Vivre en ville, qui est un OBNL [organisme à but non lucratif], constitue une avancée tout à fait appréciable.»
À Montréal, depuis mai 2023, il existe un tel instrument, le Registre des loyers de l’organisme Vivre en ville. Cet outil numérique donne accès aux prix moyens des loyers de 20 000 logements par secteur. Néanmoins, il repose sur une inscription volontaire de la population.
Selon le chercheur, les mesures seraient d’autant plus dissuasives, si le «gouvernement du Québec légiférait». Les mesures résisteraient mieux aux pressions éventuelles d’entreprises transnationales qui évoluent dans ce secteur d’activité.
Chute des mises en chantier
Pour d’autres observateurs, la crise provient d’abord des entraves réglementaires qui freinent les projets de construction. En effet, en 2023, les mises en chantier ont diminué de 38 % dans le Grand Montréal, selon les données les plus récentes de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
«La pénurie de logements à Ahuntsic-Cartierville, comme partout à Montréal, provient du déséquilibre entre l’offre et la demande», note pour sa part Gabriel Giguère, analyste en politiques publiques à l’Institut économique de Montréal (IEDM). Selon lui, comme les logements disponibles ne sont pas assez nombreux, il faut bâtir plus. «Plus on bâtit et plus un rééquilibrage se fait entre ceux qui peuvent se loger, car ils ont les moyens et, du même coup, libèrent des appartements moins chers pour ceux qui n’ont pas les mêmes moyens, argumente-t-il. Cette interaction illustre le phénomène de chaîne de déplacement, théorisé par Yvan Mast.»
Chaîne de déplacement
Cette théorie d’inspiration libérale s’appuie sur une étude d’Evan Mast [« JUE Insight: The effect of new market-rate housing construction on the low-income housing market », Journal of Urban Economics, vol. 133, janvier 2023, p. 4] reposant sur l’observation de la transmission entre l’offre de logements de luxe et celle disponible pour la classe moyenne ou les ménages en situation précaire. Selon cette théorie, la construction de 100 logements haut de gamme est associée à une augmentation à concurrence de 45 unités dans les quartiers dont le revenu moyen est inférieur au revenu médian.
Dans cette perspective, le zonage et les délais de délivrance des permis de construire peuvent constituer «des freins puissants à la mise en chantier des programmes de construction», assène-t-il.
Zonage indispensable
Ce à quoi, Emilie Thuillier rétorque : «Un règlement de zonage est indispensable, car il protège tout le monde. Sans zonage, sur une rue, certains immeubles de quinze étages en côtoieraient d’autres de quatre étages, puis de deux; d’autres seraient collés au bord de la rue. […] Des promoteurs immobiliers privés voudraient n’avoir aucune restriction, construire des immeubles très hauts sans contraintes, mais ce n’est pas ce que souhaite la population, car les habitants nous disent qu’ils ne veulent pas d’un bâtiment de quinze étages collé à leur habitation.»
Par ailleurs, le Règlement pour une métropole mixte (RMM) de Montréal, entré en vigueur le 1er avril 2021, a été assoupli récemment. Il vise à contraindre les promoteurs résidentiels à inclure environ 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux dans leurs projets.
Pas seulement Montréal
L’objectif est de réduire le fardeau financier des promoteurs en vue d’accélérer la construction de logements sociaux et abordables. Le «20-20-20», tel qu’on le nomme parfois, avait toutefois connu une forte opposition de la part des promoteurs, car si ces derniers ne respectaient pas les exigences, ils devaient payer une compensation à la Ville. Cet argent amassé devait ensuite être réinvesti dans des projets de construction de logements sociaux et abordables.
Pourtant, au regard des statistiques de la SCHL, Montréal n’est pas la seule métropole à avoir vu le nombre des mises en chantiers chuter en 2023 (-37 %). C’est aussi le cas de la Région métropolitaine de recensement de Québec (-40 %).
Par conséquent, il semble que la raison profonde est à chercher ailleurs. Selon l’analyse privilégiée par la SCHL, la «hausse des taux d’intérêt a eu pour effet de freiner plus de projets immobiliers au Québec qu’ailleurs en raison des chantiers, qui sont généralement plus courts et de moindre grande taille». Les conditions économiques liées à l’après-pandémie ont certainement eu un impact également.
Des permis de construire délivrés plus vite?
Néanmoins, l’accélération de la délivrance des permis semble une piste à ne pas mésestimer. En moyenne, en 2023, à Ahuntsic-Cartierville, le délai pour obtenir un permis était de 282 jours. Dans certains arrondissements (Mercier—Hochelaga-Maisonneuve, Lachine et Ville-Marie), il dépasse 500 jours! C’est pourquoi, dernièrement, Valérie Plante, la mairesse de Montréal, a fixé comme objectif aux mairies d’arrondissement un délai cible de 120 jours pour la délivrance des permis les plus simples.
Pour sa part, la mairesse de l’arrondissement indique qu’il est important de respecter les personnes qui l’obligent à «veiller à la préservation du patrimoine bâti et naturel. Cela nécessite du temps.»
Enfin, en vue de résorber cette crise du logement, la Ville s’appuie désormais sur un instrument de taille : son Plan d’urbanisme et de mobilité (PUM) 2050 qui va être adopté au Conseil municipal en 2025 dans sa version préliminaire. Il prévoit 200 000 nouveaux logements dont 20 % seront «hors marché». Il sera suivi d’une consultation publique par le truchement de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), visant à l’amender éventuellement. Cette «conversation avec tout le monde», comme l’appelle Emilie Thuillier, avec notamment les promoteurs, la population, les défenseurs du patrimoine ou des arbres, doit permettre à chacun de «pouvoir s’exprimer sur ce PUM et dire s’il veut changer certaines choses».
À bon entendeur…
Cet article a été tiré du numéro d’été du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré au logement.
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