Les Soeurs de la Providence sont présentes dans Cartierville depuis 1926, où elles ont notamment un musée mettant en valeur les œuvres que poursuivent leur congrégation depuis 1843. Elles ne semblent toutefois pas vouloir faire face à un pan de leur passé. Premier d’une série de trois textes.
Bien qu’elles affichent fièrement le rôle de la congrégation fondée par Émilie Gamelin dans des œuvres locales – comme la fondation de plusieurs organismes encore actifs auprès des personnes dans le besoin comme Cartier Émilie, la Corbeille, le Centre d’appui aux communautés immigrantes (CACI), la Maison des Parents de Bordeaux-Cartierville ou l’Hôtellerie Providence – les sœurs préfèrent apparemment passer sous silence la participation de leur communauté religieuse au système des pensionnats autochtones.
Le système des écoles résidentielles, mis sur pied à la fin du 19e siècle, était un rouage central de la stratégie d’assimilation forcée des autochtones au Canada, qui a depuis été reconnue comme étant une tentative de génocide culturel.
Pendant un peu plus d’un siècle, environ 150 000 enfants autochtones ont été privés de liens avec leurs familles, leurs langues, leurs cultures, leurs traditions et leurs territoires en étant obligés de fréquenter des écoles résidentielles gérées par des communautés religieuses et financées par le gouvernement fédéral.
Un vœu de silence?
Outre un bref passage dans l’historique de la congrégation, où l’on note que les sœurs qui se sont établies dans l’Ouest canadien à la fin du 19e siècle « enseignent aussi dans les écoles indiennes », on ne trouve aucune référence directe à l’implication des Sœurs de la Providence dans la création et la gestion d’écoles résidentielles autochtones.
Les demandes d’entrevue du JDV auprès de la congrégation sont restées lettre morte.
« Les Sœurs de la Providence ici dans l’Est du Canada n’ont pas participé [aux pensionnats] », s’est contentée d’indiquer au téléphone une porte-parole de la maison-mère de Cartierville.
Elle dit avoir référé notre demande « à qui de droit », tout en nous revoyant vers le chapitre albertain des Sisters of Providence Holy Province, à Edmonton.
On ne trouve aucune mention des pensionnats autochtones dans la section « Our history » du chapitre d’Edmonton, qui comme la maison-mère de Montréal n’a pas retourné notre demande d’entrevue.
Une archiviste des Sisters of Providence à qui nous avons pu parler au téléphone nous a poliment redirigés vers le Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR) à Winnipeg, où les Sœurs de la Providence disent avoir transféré, dans la foulée de la Commission de vérité et de réconciliation (CVR), toutes leurs archives en lien avec les écoles résidentielles autochtones.
Un voile d’opacité
Un article publié par la CBC en 2018 relevait toutefois que la congrégation tardait, comme plusieurs autres groupes catholiques, à transmettre certains documents.
Plusieurs de ces documents semblent toujours manquer dans les archives du CNVR, dont les chroniques détaillées de quatre des huit écoles résidentielles où ont été impliquées les Sœurs de la Providence.
Les Oblats de Marie Immaculée ont récemment offert leur pleine collaboration au CNVR dans la foulée de la découverte de tombes anonymes près de pensionnats qu’ils ont opéré, souligne Karen Ashbury, assistante en référence et en accès aux archives an centre.
Rien n’indique que les Sœurs de la Providence en ont fait autant. Il est possible que certains des documents manquants soient en voie d’être numérisés et inclus dans les archives du CNVR, mais le JDV n’avait pas été en mesure de le confirmer au moment de publier ce premier texte.
« Les communautés de confession catholique romaine ont été les moins coopératives parmi toutes celles qui ont été impliquées dans les écoles résidentielles », souligne l’historien Jim Miller, professeur émérite à l’université de Saskatchewan.
Spécialiste de l’histoire des relations entre colons et autochtones, le professeur Miller n’est pas étonné du peu d’empressement des Sœurs de la Providence à répondre aux demandes du JDV concernant leur implication dans les pensionnats.
« Je ne suis pas surpris que certaines des sœurs soient en déni, ou qu’elles tentent de se dérober plutôt que de faire face ou de parler de ça. Ce serait plutôt typique », dit-il.
L’épreuve des faits
L’assertion que les sœurs de l’Est n’ont pas été impliquées dans les pensionnats est fausse. Le fait est établi noir sur blanc dès les premières pages du rapport de la CVR.
« Trois ordres ayant leur siège à Montréal, les Sœurs de la Charité (appelées aussi sœurs grises), les Sœurs de la Providence et les Sœurs de Sainte-Anne, fournissent aux missions leur contingent d’enseignantes et d’infirmières », lit-on dans le premier volume du rapport intitulé Pensionnats du Canada : L’histoire, partie 1 des origines à 1939.
Aucun doute ne peut subsister quant au lien direct avec la maison-mère québécoise. La plupart des écoles résidentielles administrées par les Sœurs de la Providence ont d’ailleurs été fondées bien avant la création de la province Holy Angels, le chapitre qui regroupe les sœurs de l’Ouest, incorporé en 1912.
Ce sont des sœurs de Montréal qui ont été dépêchées, en 1901, pour ouvrir la St Martin’s Mission, apprend-t-on dans la chronique détaillée de cette école établie à Wabaska-Desmarais, dans le nord de l’Alberta.
« En 1893, mère Marie-Godefroy, supérieure générale des Sœurs de la Providence, s’engage à fournir à l’évêque Émile Girouard du personnel pour les pensionnats des oblats dans la région d’Athabaska, en Alberta », précise-t-on vers la fin du premier volume du rapport de la CVR.
Si l’on peut être tenté d’en déduire que les Sœurs de la Providence n’ont joué qu’un rôle subalterne dans le système des écoles résidentielles, des recherches plus poussées dans les archives du CNRV montrent qu’il n’en est rien.
Dans la chronique de l’école résidentielle St. Eugene’s Mission, on rapporte que ce sont les Sœurs de la Providence qui ont fondé ce pensionnat à Cranbrook, en Colombie-Britannique, en 1890 et qu’elles l’ont administré jusqu’en 1929.
Le pensionnat de Cranbrook dans le sud-est de la Colombie-Britannique a été fondé par les Sœurs de la Providence de Montréal en 1890 (source : CNVR).
« L’école était sous la direction des Sœurs de la Providence, un père Oblat en était le directeur, mais nominalement », indique le document.
Ce type d’arrangement était plutôt habituel, souligne Jim Miller. Il explique que les autorités fédérales avaient l’habitude de traiter avec les prêtres, même si dans les faits ce sont principalement les religieuses qui géraient les écoles.
« Qu’elles aient été officiellement responsables ou pas, les écoles catholiques n’auraient pas pu fonctionner sans s’appuyer très, très fort sur elles », souligne l’historien.
Ceci ne laisse aucun doute sur le rôle central joué par les sœurs dans ce pensionnat, où la présence de tombes non marquées a été confirmée par radar au début de l’été.
Lire la suite le jeudi 5 août…
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J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour le Journal des voisins qui est un modèle de journal de quartier et je l’ai souvent recommandé à des amis.
Mais que vient faire ce torchon d’article dans votre journal de quartier ? Quel est l’intérêt pour le quartier de procéder ainsi au harcèlement de ces religieuses du quartier (pour des événements antérieurs à la naissance de la plupart d’entre elles)?
Je ne vois pas l’intérêt local pour votre journal de mettre votre grain de sel dans cette campagne nationale de désinformation et de christianophobie contre les religieuses qui nous se sont dévouées toute leur vie et auxquelles nous devons beaucoup.
J’espère qu’il n’y aura pas de suite à ce malheureux article.
Contrairement à M. Lemire, je trouve pertinent cet article et j’espère qu’il aura des suites et que celles-ci contiendront des réponses de la direction des sœurs de la Providence.
Je crois que les lecteurs sauront faire la différence entre les gestes posées envers les autochtones dans un autre siècle, dans un contexte fort différent, et les contributions des religieuses de cette communauté dans le nord de Montréal depuis des décennies. Les écoles résidentielles ont eu un impact qui perdure sur les communautés autochtones mais aussi sur nos relations avec elles.
Je suis d’accord avec les 3 articles. Il faut faire la différence entre l’évangélisation et l’éducation. Moi j’ai passé 11 ans chez les Soeurs de La Providence à Saint-Vincent-de-Paul et je ne regrette rien. J’ai eu une bonne éducation. Quant à l’évangélisation j’ai pu m’en sortir moi-même. Mais cela m’a fait quand même sursauter de voir cette congrégation liée à ces événements, même lointains en temps et en distance pour nous.