Cette chronique de Jacques Lebleu, président de la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville, est tirée du numéro de la rentrée du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré au climat.

© Mahaut, Valérie (2016). Collecteur Meilleur-Atlantique – 1953-1956. Employés dans le collecteur en construction, rue Meilleur entre boulevard Henri-Bourassa et rue Dazé – prison de Bordeaux en arrière-plan. Archives de Montréal. VM117-SY-SS7-D002_P082. Reproduction d’une épreuve photographique par la Société d’histoire d’Ahuntsic-Cartierville

Saviez-vous que le territoire d’Ahuntsic-Cartierville était autrefois riche en zones humides naturelles ou façonnées par les humains? Pensez aux ruisseaux, aux zones marécageuses printanières, aux berges naturelles inondables ou aux prairies agricoles irriguées.

Avec leur disparition, les nombreux avantages qu’ils nous procuraient s’amenuisent également. Ces milieux nous protégeaient des inondations et des sécheresses. Ils jouaient le rôle de régulateurs thermiques en période de canicule. Ils hébergeaient la faune et la flore en offrant à de nombreuses espèces des endroits sûrs pour se nourrir, dormir et se reproduire.

Deux ruisseaux

Ahuntsic-Cartierville étant situé en contrebas du Mont-Royal, deux ruisseaux descendaient des sommets pour couler chez nous. Dans Cartierville, le ruisseau Raimbault recevait les eaux du ruisseau Notre-Dame-des-Neiges. Il ne reste de ce cours d’eau que son embouchure dans la rivière des Prairies devant l’hôpital du Sacré-Cœur de Montréal.

Plus à l’est, le ruisseau Provost jaillissait d’une source encore visible sur une courte distance dans Outremont. Il traversait le Mile End, Villeray, Youville et Ahuntsic. Il n’en reste qu’une trace derrière la station de pompage au 275 boulevard Gouin Est.

Jusqu’aux années 1840, les Montréalais s’adaptaient bien à la présence des ruisseaux et aux inondations saisonnières. La disparition des ruisseaux de l’île a commencé de manière progressive. Ils sont longtemps demeurés en surface, mais leurs cours ont été graduellement modifiés en fonction de l’évolution des usages agricoles et industriels, ou encore du drainage des sols.

 

Cartes des creux et crêtes et des voiries de l’île de Montréal. Document graphique, échelle 1 : 20 000 (détail)
Méfiance autour de l’eau

Les premiers désagréments se sont cependant produits vers la fin du Régime français. Dès 1750, l’utilisation de l’eau des ruisseaux par des tanneries artisanales ou des abattoirs a créé de sérieux problèmes d’hygiène publique qui amenèrent les autorités à amorcer leur canalisation. L’eau, source de vie, était dorénavant considérée avec un regard méfiant.

L’existence des ruisseaux de l’île fut menacée lorsque l’expansion du territoire habité de la ville et l’industrialisation devinrent irréversibles.

En atteignant les prairies du nord de l’île, les cours des ruisseaux Raimbault et Provost devenaient sinueux et se rapprochaient l’un de l’autre dans le secteur peu habité au sud du village de Bordeaux. Lors de la fonte des neiges, il se créait dans cette zone des marécages saisonniers favorables aux oiseaux migrateurs. Pratiquement jusqu’aux années 1950, faute de drainage, la circulation était d’ailleurs peu recommandée au printemps sur le boulevard Persillier, prédécesseur du boulevard de l’Acadie.

Obstacle à l’écoulement des eaux

L’arrivée du premier chemin de fer à Bordeaux en 1875, puis le développement ininterrompu du réseau routier pour accommoder le transport automobile provoquèrent une multiplication des obstacles à l’écoulement naturel des eaux. Les berges de la rivière des Prairies elles-mêmes furent profondément bouleversées au moment de la construction du barrage de la centrale hydroélectrique à l’île de la Visitation en 1928. Le niveau de la rivière fut haussé, des remblais et la construction d’un mur de soutènement devinrent nécessaires pour contenir la rivière.

À la fin des années 1950, le ruisseau Raimbault était devenu tellement pollué par les rejets des entreprises du secteur industriel des avionneries de Cartierville que des feux éclataient à sa surface.

La disparition finale des ruisseaux locaux se produisit dès lors rapidement. Il suffit d’une quinzaine d’années entre 1950 et 1965 pour que leurs cours respectifs soient comblés. Pendant cette période, la Ville de Montréal planifiait et réalisait des travaux importants pour les canaliser. Le territoire qu’ils arrosaient se couvrait de quartiers résidentiels à faible densité. C’est ici que se rejoignirent les premiers segments des deux premières autoroutes du Québec : autoroute des Laurentides en 1958, Métropolitaine en 1960. Des centres d’achats apparurent (Marché Central, Galeries de Normandie). La Ville imposa la construction d’espaces de stationnements pour chaque nouvelle construction. Cette vision de l’urbanisme eut pour conséquence une forte imperméabilisation des sols.

Températures hautes

Le seul secteur l’Acadie-Chabanel compte aujourd’hui plus de 36 000 places de stationnement. Cela contribue à en faire l’un des secteurs qui enregistre les plus hautes températures de l’île de Montréal. Juste à côté, l’échangeur l’Acadie est devenu un des points au cœur de l’île les plus susceptibles de subir des inondations graves en cas d’événements climatiques intenses.

Il nous reste aujourd’hui, pour méditer sur ces disparitions, le ruisseau Bertrand, protégé au sein du parc-nature du Bois-de-Liesse.



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