La rue Lachapelle (Photo : Archives JDV)

En pleine crise du logement, l’ombre d’un géant américain plombe le marché locatif, et il s’agit d’Airbnb. Bien que ses conséquences se fassent moins sentir que dans d’autres arrondissements montréalais, son impact sur Ahuntsic-Cartierville est réel. La vie de quartier est affectée et le manque de logement, lui, est accéléré. Malgré une volonté politique d’agir face à la situation, le non-respect des règlements continue d’être un fléau.  

Créée en 2008, la plateforme de location de logement Airbnb, qui compte désormais plus de six millions de logements répartis dans plus de 220 pays et régions, a révolutionné l’industrie touristique. Prisée par les voyageurs, sa popularité est indéniable, puisqu’elle présente une solution de rechange simple à l’hôtel.

Mariana Valverde, chercheuse à l’Université de Toronto, explique que la forte présence de la plateforme crée toutefois son lot de conséquences :

« Plusieurs recherches ont trouvé que ça enlève énormément de logements sur le marché immobilier. Que ce soient de grandes maisons ou des appartements, ça réduit énormément l’offre pour les locaux. »

Au lieu que ces habitations se trouvent dans les mains de résidants locaux, des touristes y séjournent pour des locations de courte durée, amplifiant la rareté du logement dans le quartier, et ainsi, la hausse des prix de loyers. Attention, on parle ici des logements complets loués aux touristes, et non des chambres dans les résidences principales où demeurent encore les propriétaires ou les locataires d’un appartement.

La présence locale

Selon le site Web d’investigation Inside Airbnb*, qui recueille une foule de statistiques sur la plateforme, Ahuntsic-Cartierville compterait 407 des 12 687 logements disponibles à Montréal. C’est un nombre plus petit que dans les arrondissements du Plateau-Mont-Royal (3060) ou de Ville-Marie (3694), mais il est tout de même significatif.

« Dans Ahuntsic-Cartierville, ce n’est pas un fléau comme c’est le cas dans les quartiers centraux puisque c’est plus loin des attractions populaires. Mais il reste que 407 logements de moins dans le quartier, c’est 407 logements de trop », déplore Karina Montambeault, organisatrice communautaire au Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC).

Elle note que l’arrondissement manque déjà de logements. Même si la présence d’Airbnb dans Ahuntsic-Cartierville est moins forte que dans d’autres quartiers, la soustraction de ces logis du marché pose problème.

Une volonté politique

Emilie Thuillier, mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, admet que la présence d’Airbnb est problématique et qu’elle n’est pas désirée dans l’arrondissement :

« Franchement, il n’y a pas vraiment d’avantages pour nous [Ahuntsic-Cartierville] à avoir des Airbnb en ce moment, surtout avec la crise du logement. Pour les touristes, il y a des hôtels pour ça. »

Elle dit être en accord avec la ligne de son parti :

« L’opinion de Projet Montréal depuis longtemps est qu’une personne qui loue occasionnellement sa résidence principale, quelques fois par année, c’est acceptable. Mais quand une personne achète plusieurs logements et ne fait que ça [louer des Airbnb], c’est problématique. »

Il y a quelques années, l’arrondissement s’est même doté d’un règlement de zonage régissant les locations de courte durée. Selon ce règlement, il est seulement possible d’en avoir dans les édifices de 36 logements et plus, délimité dans les zones rouges de la carte ci-dessous.

Carte représentant les zones dans l’ouest de l’arrondissement où le zonage H7 permet les hôtels et les locations de type Airbnb (indiqué en rouge). (Crédit : Arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville)
Carte représentant les zones dans l’est de l’arrondissement où le zonage H7 permet les hôtels et les locations de type Airbnb (indiqué en rouge). (Crédit: Arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville)

Les difficultés d’application

En pratique, ce règlement est très peu respecté. En observant la liste des logements disponibles dans l’arrondissement sur le site Web de la plateforme, il est facile de noter que plusieurs d’entre eux sont situés à des endroits où, en théorie, ils sont proscrits. Par exemple, cette capture d’écran montre que de nombreuses habitations sont disponibles dans le Domaine Saint-Sulpice, même dans des zones interdites par le règlement municipal.

Carte indiquant les logements de type Airbnb dans le Domaine Saint-Sulpice. Plusieurs sont situés dans des endroits proscrits par le règlement de zonage H7. (Crédit : capture d’écran, Airbnb.ca)

Selon la mairesse, il est très difficile pour l’arrondissement de pénaliser les récalcitrants au règlement de zonage :

« L’arrondissement ne peut pas prendre les informations sur le site et aller aux adresses indiquées pour émettre des contraventions aux logements ne respectant pas le zonage. »

Ce sont plutôt la Corporation de l’industrie touristique du Québec, mandatée par le ministère du Tourisme, et Revenu Québec qui posséderaient les outils nécessaires pour s’attaquer aux Airbnb illégaux. En effet, les hôtes de la plateforme doivent s’enregistrer auprès de ces organismes, pour des raisons fiscales notamment. Plusieurs ne le font cependant pas et les locations à courte durée illégales sont nombreuses sur ce plan.

Mme Thuillier demande donc aux voisins soupçonnant des Airbnb illégaux de contacter Revenu Québec pour voir si les hôtes sont bel et bien enregistrés auprès des deux ministères.

Plus facile à dire qu’à faire

La tâche de faire appliquer tous ces règlements et de s’attaquer aux Airbnb illégaux s’avère plutôt complexe. En effet, selon Mylène Gagnon, porte-parole relationniste à Revenu Québec, ce n’est pas non plus à l’agence gouvernementale de faire respecter les règlements de l’arrondissement :

« Revenu Québec n’a pas le mandat d’appliquer la réglementation municipale. Ainsi, un propriétaire qui effectue la location de sa résidence au moyen d’une plateforme telle Airbnb et qui est conforme à la loi pour Revenu Québec peut, par exemple, être illégal pour l’arrondissement dans lequel il se trouve. »

Toutefois, selon Mme Thuillier, le problème résulte surtout du fait qu’à l’heure actuelle, trop peu d’hôtes sont inscrits sur la plateforme :

« Il est possible que quelqu’un fasse du Airbnb et soit inscrit à Revenu Québec sans que ce soit permis par le zonage. Il se peut que ce soit la situation qui va arriver dans dix ans. Mais en ce moment, les gens ne font même pas la première étape de s’inscrire à Revenu Québec. »

Sans cela, il est extrêmement difficile pour l’arrondissement d’appliquer son règlement, ajoute-t-elle :

« Pour donner une amende, c’est très compliqué. Il faut parfois même aller en cour. On ne peut pas juste utiliser une annonce sur Internet comme preuve. Il faut qu’un inspecteur constate qu’il y a un Airbnb illégal. Alors qu’à Revenu Québec, c’est beaucoup plus simple de voir si les gens sont certifiés ou pas. »

Lentement, le vent commence tout de même à changer. Revenu Québec émet de plus en plus de constats d’infraction et le ministère du Tourisme vient tout juste de se doter de règlements pour s’assurer du respect des règlements municipaux. En effet, Virginie Rompré, coordonnatrice des affaires publiques et des stratégies pour le Ministère, a fait parvenir cette information par courriel au Journaldesvoisins.com :

« [Depuis] le 1er septembre 2022, soit à l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur l’hébergement touristique, les demandeurs, incluant les personnes qui souhaitent louer leur résidence principale à des touristes, devront fournir un document, émanant d’une autorité municipale compétente, démontrant que l’exploitation de l’établissement d’hébergement touristique visé ne contrevient pas à la réglementation d’urbanisme relative aux usages lors de leur demande d’enregistrement. »

Face à cette panoplie de réglementations et la difficulté de les appliquer, il n’est pas surprenant de voir la grande présence d’Airbnb illégaux dans Ahuntsic-Cartierville. En pleine crise du logement, il reste que cette présence ne fait qu’exacerber les problèmes vécus à l’heure actuelle.

*La validité des données d’Inside Airbnb est contestée par Airbnb. Toutefois, plusieurs chercheurs universitaires sont de l’avis qu’elles sont représentatives.



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Martin Bernier
Martin Bernier
1 Année

Excellent article. Je ne savais pas que le Québec a une loi concernant l’hébergement touristique. Merci M. Paiement.

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