Un itinérant devant une tente dans le parc Nicolas-Viel. Photo: JDV / Archives

Le sentiment d’insécurité autour de l’itinérance semble plus lié à un manque de connaissance qu’à une réelle menace.

Récemment, des riverains du pavillon des Bâtisseurs ont exprimé leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux concernant l’ouverture d’un centre d’hébergement pour itinérants à proximité de leurs domiciles, d’une école et d’un centre de la petite enfance.

La Ville a organisé une soirée d’information pour détailler le projet : un site d’hébergement d’urgence pour une cinquantaine d’itinérants dans un ancien centre pour personnes atteintes d’Alzheimer. L’opposition citoyenne a été quasiment unanime, et les propriétaires de l’édifice, les sœurs oblates, ont refusé de le vendre. Le projet a été abandonné.

Peur de l’inconnu

Pour les intervenants sociaux, cette réaction résulte surtout de la peur de l’inconnu. «Ce qu’on ne connaît pas, on le perçoit comme une menace», explique François Poulin, un intervenant à Rue Action Prévention (RAP) Jeunesse, un organisme œuvrant dans le nord de Montréal pour aider les itinérants, entre autres.

«Une personne qui boit de l’alcool en public n’est pas perçue comme un danger, mais si c’est un itinérant, on le considère immédiatement comme une menace», ajoute René Obregon-Ida, directeur de RAP Jeunesse.

Selon lui, cette perception est aussi amplifiée par les médias, qui focalisent sur les incidents au centre-ville, une réalité différente de celle dans le nord de l’île, là où intervient RAP Jeunesse.

À Ahuntsic-Cartierville, l’épisode le plus marquant a été le démantèlement, derrière le chalet de parc du Parcours Gouin, d’un campement d’itinérants en 2023 après des plaintes de citoyens.

«Autrefois, on craignait l’étranger ou ceux souffrant de problèmes mentaux. Aujourd’hui, l’itinérant trouble notre tranquillité», observe M. Poulin.

L’itinérance n’est pas exempte de problèmes. Des actes de violence, des situations de toxicomanie ou des nuisances, des fêtes qui durent la nuit, peuvent survenir.

Mouvement vers des alternatives rémunérées et constructives

RAP Jeunesse s’efforce de briser les préjugés et d’améliorer la cohabitation. Le projet Mouvement vers des alternatives rémunérées et constructives (MARC) permet aux personnes itinérantes de travailler quelques heures et de gagner un peu d’argent.

Le projet Cohabitation, dirigé par François Poulin, cherche à créer des interactions positives entre citoyens et itinérants.

«C’est dans le coin de Cartierville. Cet été, nous avons commencé à faire de la plantation sur le terrain d’un jardin nourricier. Nous sommes arrivés avec des gens sans dire que c’était des itinérants. Il y avait quatre ou cinq citoyens, à un moment, ils se sont mis à leur parler, et plus tard, ils se sont rendu compte qui étaient ces personnes», raconte M. Obregon-Ida.

Selon Benjamin, un autre intervenant de RAP Jeunesse, l’itinérance est souvent traitée comme un symptôme d’un problème plus vaste. «Nous réagissons toujours à des situations visibles, mais interdire l’accès à certains espaces ne réglera pas le problème social», estime-t-il. L’organisme tente de sensibiliser les citoyens et de contrer la peur qu’ils peuvent ressentir face à l’itinérance.

RAP Jeunesse a également organisé un atelier sur l’itinérance pour le personnel des grands parcs de la ville, à la demande de la direction des parcs.

[ENCADRÉ] De l’autre côté de la peur

Face à l’honnête citoyen qui craint l’itinérant, il y a une personne en situation d’extrême vulnérabilité.

«La nuit, cette personne peut être en danger. Elle redoute de perdre sa tente. Si c’est une femme, elle ne dormira pas toute la nuit», explique René Obregon-Ida, responsable de RAP Jeunesse.

Mal s’alimenter et mal dormir plusieurs jours d’affilée accentue les difficultés au fil du temps.

«Les vols, le froid, la violence… La rue, c’est violent, souligne François Polin. Elle peut venir d’autres personnes, de nulle part, ou même du sympathique voisin. L’ignorance, aussi, est une forme de violence insidieuse et continue.»

«Les itinérants vivent quotidiennement des rejets et des interactions négatives», ajoute Benjamin.

Mis à l’écart, les sans-abri n’ont probablement pas les mêmes recours que les autres citoyens.

«Quelle crédibilité a un itinérant lorsqu’il appelle la police ou porte plainte ?» interroge M. Obregon-Ida.

Ces personnes vivent une insécurité constante, parfois source de confrontations.

« La peur modifie tout, des réflexes, habitudes de vie, même la capacité de survie », observe M. Poulin.

Cette situation ne favorise ni le dialogue ni une relation sereine. Seul le temps permettrait de créer un lien de confiance pour les aider efficacement. Cependant, le temps, c’est ce qui manque le plus aux intervenants communautaires, appelés le plus souvent à gérer les urgences.

Cet article est tiré du numéro d’automne du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré à la sécurité à Ahunstic-Cartierville.



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