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Alors que Québec envisage –au retour des Fêtes– de donner plus de mordant à la Charte de la langue française qui date de plusieurs années, récemment, deux conflits concernant le bon usage de la langue française se sont produits dans Ahuntsic-Cartierville. L’un oppose un administrateur d’immeuble à des résidants mécontents de lire des notices sanitaires en langue française tandis que l’autre concerne un établissement scolaire récemment implanté sur Henri-Bourassa peinant à inclure le français dans ses programmes de formation. Ces événements sont l’occasion de faire le point sur la situation du français dans l’arrondissement et, par extension, au Québec.

Directive gouvernementale 

Chaque année, le Québec accueille de nouveaux arrivants dont un certain nombre ne connaît pas le français au moment de leur installation.

Depuis 1977, la Charte de la langue française plus communément appelée loi 101 impose le français comme unique langue officielle de la province. 

Cette législation entend « faire du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires ».

Afin d’appliquer cette loi et enraciner définitivement le français comme langue courante, les moyens se multiplient afin de la promouvoir et faciliter le processus de francisation. 

Néanmoins, des conflits d’ordre linguistique demeurent et perdurent comment en témoignent les deux événements avancés ici. 

Aux yeux d’André Parizeau, candidat du Bloc Québécois dans la circonscription d’Ahuntsic-Cartierville aux dernières élections fédérales, les choses ne vont pas en s’arrangeant. Selon lui, la loi 101 doit urgemment faire l’objet de changements. Il en irait de même pour l’actuelle Loi sur les langues officielles.

Dans le cadre d’un état des lieux de la situation dans l’arrondissement, cet Ahuntsicois mentionne une récente plainte qu’il a déposée auprès de l’Office québécois de la langue française à l’encontre d’un salon de coiffure installé non-loin de son lieu de résidence. Son affichage commercial dissimulerait la langue française au profit des langues anglaise et arabe et contreviendrait à la Charte de la langue française. 

Cependant, les règles concernant les plaintes auraient changé et n’obligeraient désormais plus l’institution à assurer un suivi auprès des citoyens quant au traitement – ou à l’absence de traitement – de celles-ci. Situation que déplore ce fervent défenseur de la langue française. 

En réaction à l’annonce d’une situation semblable, la ministre du Développement économique et des Langues officielles et députée fédérale de la circonscription d’Ahuntsic-Cartierville, Mélanie Joly, a transmis la déclaration suivante au JDV:

« En tant que député montréalaise et fière Québécoise, je trouve le fait que l’on ne puisse pas se faire servir en français à Montréal inacceptable. Le recul du français me préoccupe. C’est pour ça que nous allons continuer de travailler pour défendre la langue française chez nous. C’est une priorité pour moi.»

État de la francophonie à Montréal

En vue d’établir une planification de l’immigration au Québec pour la période 2020-2022, le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion a établi en 2019 un recueil de statistiques sur l’immigration au Québec.

Selon le dernier recensement, la proportion de personnes immigrées présentes dans la région administrative de Montréal était de 34% en 2016.

Concernant la maîtrise de la langue officielle, ce rapport dévoile que seulement 49,5% des immigrants admis en 2018 au Québec connaissaient le français au moment de leur arrivée sur le territoire (voir la provenance géographique des personnes immigrantes dans les graphiques ci-dessous).

Connaissance du français et de l’anglais des personnes immigrantes admises au Québec entre 2009 et 2018 (Source : Recueil de statistiques sur l’immigration au Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion)
Dix principaux pays de naissance des personnes immigrantes admises au Québec, 2014-2018 (Source : (Source : Recueil de statistiques sur l’immigration au Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion)

État de la francophonie à Ahuntsic-Cartierville 

Connaissance des langues officielles dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, 2016 (Source : Profil sociodémographique de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, édition mai 2018)

Selon le profil sociodémographique établi en mai 2018 par l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, près d’un résidant sur dix ne connaît pas le français.

André Parizeau considère que le problème du recul de la langue française sur le territoire de Montréal n’existe pas seulement au centre-ville mais dans l’ensemble des arrondissements.

La francisation étant une question importante pour les autorités, des structures sont donc chargés de remplir cette mission. C’est notamment le cas du Centre d’Appui aux Communautés Immigrantes (CACI) implanté sur le boulevard Laurentien dans le district de Bordeaux-Cartierville. À ce jour, cet organisme enseigne le français à une clientèle à 53% ahuntsicoise. 

Campus anglophone à Ahuntsic

Le Cégep de la Gaspésie et des Îles a fait et continue de faire parler de lui. Dans le cadre d’une entente avec l’établissement privé anglophone Matrix College, il a inauguré l’année dernière un nouveau campus dans Ahuntsic-Cartierville, à deux pas de la station de métro Henri-Bourassa. 

Depuis son implantation, de nombreuses voix s’élèvent contre les responsables de cette antenne auxquels on reproche de n’enseigner qu’en langue anglaise à une majorité d’élèves étrangers se destinant pour la plupart à repartir travailler dans leur pays d’origine. 

Comme l’indique André Parizeau, seulement deux cégeps détiennent un statut bilingue au Québec : celui de la Gaspésie et des Îles, ainsi que celui de Sept-Îles sur la Côte-Nord. La loi 101 prévoit cette exception afin de garantir la possibilité aux communautés anglophones préalablement établies sur le territoire de conserver l’usage de leur langue principale. 

« Ce ne sont pas des cours offerts à la communauté anglophone de Gaspésie mais à des étudiants étrangers, et ça n’était pas prévu au départ dans la loi », lance le membre du Bloc Québécois. 

Le Cégep de Sept-Îles semble offrir au moins un cours en français à ses étudiants étrangers, ce qui fait de la situation du Cégep de la Gaspésie et des Îles un cas unique au Québec qui, étonnament, se produit dans Ahuntsic-Cartierville. 

Le Ministère de l’Enseignement Supérieur attend que cet établissement intègre le français dans ses programmes de formation. Une demande à laquelle ce dernier continue de résister. Neuf mois à la suite d’un premier regard sur cette affaire, la situation n’a pas évolué.

« Je trouve ça assez spécial pour ne pas dire plus. Le ministre demande quelque chose et le campus ne le fait pas », déclare André Parizeau qui qualifie cette situation de « littéralement scandaleuse ».  

Conflit privé 

Dans une chronique pour La Presse publiée en octobre, Mario Girard relate un conflit survenu dans la sphère privée. 

Dans une copropriété de l’arrondissement, un administrateur a placardé une note indiquant les règles sanitaires à respecter dans l’enceinte de l’immeuble. Cette dernière étant rédigée en français, des résidants ne comprenant pas ont exprimé de façon vive leur mécontentement, souhaitant que les informations soient traduites en anglais. Les opposants se sont renvoyés la balle en s’invitant mutuellement à utiliser l’outil de traduction de Google.

Les responsables de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville ont eu vent de l’affaire, mais ne sont pas intervenus dans ce différend qu’ils qualifient d’ « altercation linguistique ». En réponse à cet événement qui s’est produit dans un collectif, la chargée de communication Marlène Ouellet a confirmé que « l’arrondissement n’est pas responsable des communications écrites dans un édifice privé qui se trouve sur le territoire ».

« Techniquement parlant, en ce qui me concerne, les communications de ce genre sont supposées se faire en français. Si elles sont traduites, c’est le français qui doit prédominer », commente André Parizeau en prenant connaissance de cette affaire. 

Québécois inquiets : sondage

Le Mouvement national des québécois (MNQ) ainsi que la Fondation Lionel-Groulx – un organisme qui promeut l’histoire nationale du Québec, la culture québécoise et la langue française – ont récemment mandaté la firme Léger en vue d’obtenir un état des lieux de la situation de la langue française au Québec et du rapport de la population à celle-ci. 

Plus de mille québécois ont répondu à ce sondage entre le 4 et le 6 septembre dernier. 

Selon les résultats, 62% se disent pessimistes ou très pessimistes au regard de la situation du français au Québec, et environ 60% pensent qu’elle est moins bonne qu’il y a dix ans et le sera encore moins dans dix ans. 

Les résultats du sondage ont été développés début novembre dans une vidéo.

André Parizeau souligne un point évocateur au sujet de l’actuelle ministre du Développement économique et des Langues officielles, également députée fédérale de la circonscription d’Ahuntsic-Cartierville :

« Si même Mélanie Joly, qui disait avant que les problèmes venaient essentiellement de l’extérieur du Québec, commence à reconnaître qu’il y a un problème au niveau du français au Québec, c’est indicatif de l’état de détérioration de la situation ». 

Inquiet quant à l’avenir de la langue française, ce dernier profite de l’entrevue avec journaldesvoisins.com pour annoncer sa candidature aux prochaines élections. 

« Je peux vous assurer que la protection du français sera un point central de ma campagne », affirme-t-il avec aplomb.

Pour sa part, l’honorable Mélanie Joly a conclu ainsi son courriel en réponse aux questions du JDV :

« Ce que je sais d’Ahuntsic, c’est que nous pouvons être fiers d’avoir un quartier qui regroupe des gens de partout à travers le monde, qui cohabitent en harmonie les uns avec les autres dans le respect des droits de chacun. En tant que Ministre responsable des langues officielles, je suis fière que pour la première fois de son histoire, le gouvernement fédéral reconnaît que la langue française est une langue minoritaire au Canada et que nous devons la protéger partout au pays, incluant au Québec. Pour ce faire, nous devons reconnaitre de nouveaux droits linguistiques et j’entends présenter une réforme à cet effet dans un avenir rapproché. »

Le poids de l’arrondissement

Des organismes ayant pour mission de protéger la culture québécoise et par conséquent la langue française tels la Fondation Lionel-Groulx demandent notamment que l’ensemble des arrondissements montréalais prennent les mesures nécessaires afin d’obtenir un certificat de conformité à la Charte de la langue française. 

Ahuntsic-Cartierville fait partie des dix arrondissements sur dix-neuf qui ne détiennent pas de certificat et poursuit actuellement ses démarches de francisation afin de l’obtenir.

Les arrondissements sont soumis aux règles établies par la Charte de la Ville de Montréal, elle-même soumise à la Charte de la langue française dont la gestion revient à l’Office québécois de la langue française. 

« L’arrondissement est tenu de communiquer uniquement en français dans ses communications publiques, sauf dans les cas de communications qui visent la santé publique et la sécurité publique », déclare Marlène Ouellet. 

D’ordres public et privé, les événements mentionnés plus haut retiennent l’attention dans la mesure où ils évoquent des problèmes latents qui dérangent un certain nombre de Québécois, notamment l’existence de faiblesses dans le processus de francisation des nouveaux arrivants dans la province. 



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