Scott DeRapp a planté sa tente au parc Basile-Routhier, situé à Ahuntsic-Cartierville, il y a déjà un an. Il a dû se plier à l’ordre de démantèlement du campement d’itinérants. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

Le démantèlement du campement d’itinérants établi près du pavillon d’accueil du Parcours Gouin à Ahuntsic-Cartierville crée la polémique. Un avis de l’arrondissement les somme en effet de quitter les lieux avant ce jeudi 22 juin à 8 h.

Le soleil se reflète sur le clapotis de la rivière des Prairies, les oiseaux chantent, les fleurs embaument, des rires d’adolescents se font entendre… tous les signes d’une fin de journée estivale et douce. C’est pourtant dans ce cadre idyllique du parc Basile-Routhier, à Ahuntsic-Cartierville, que se joue une nouvelle situation dramatique pour les quelques personnes en situation d’itinérance qui y avaient trouvé refuge. Le Journal des voisins est allé à leur rencontre avant leur éviction prévue ce jeudi matin.

Scott DeRapp s’est vu remettre un document officiel lui sommant de défaire son campement, au parc Basile-Routhier. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

Une semaine après le démantèlement d’un autre campement au parc du Mont-Royal, c’est au tour d’Ahuntsic-Cartierville de chasser les sans-abris des parcs municipaux. Alertés par des voisins mécontents et inquiets, la mairie avait lancé une procédure de conciliation la semaine dernière.

Pourtant, lundi 19 juin un «Avertissement de non-conformité en vertu du règlement sur l’occupation du domaine public» a été remis aux itinérants qui ont planté leurs tentes au parc Basile-Routhier.

Entre l’envie de faire entendre leur voix et la résignation, certains prévoient de rester tandis que d’autres ont déjà plié bagage.

«Je demande un compromis»

Plus qu’une nuit. À la veille du démantèlement, Scott DeRapp a finalement décidé de faire de la résistance. «Je ne dérange personne. Cela fait plus d’un an que je me suis installé ici; j’étais le premier. Je ne cherche pas les problèmes, mais je demande un compromis, qu’on me laisse au moins jusqu’au 1er juillet pour trouver une solution», confie celui qui a perdu son logement à la suite d’une accumulation de déboires personnels.

Scott DeRapp nous montre son installation. À droite, une première tente trouée par l’épisode de verglas d’avril dernier est celle dans laquelle il dort. «En hiver je mets trois paires de pantalons par dessus mon caleçon, et mon gros manteau pour passer la nuit», témoigne-t-il.

À gauche, une seconde tente recèle toutes ses affaires, celles qu’il lui reste tout du moins… «C’est pour ça que j’ai besoin de temps pour partir. Je vais essayer de trouver un garage à louer pour le 1er juillet afin de stocker mes affaires. J’ai un peu plus de 700 $ d’aides, donc je ne peux pas payer un appartement, mais j’ai vu des garages dans les 100 $», assure-t-il.

Scott DeRapp est à son poste, près des prises qui lui permettent de charger son téléphone tout en surveillant son campement au parc Basile-Routhier, à Ahuntsic-Cartierville. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

Sans aucune famille depuis le décès de son père durant la pandémie, il peut toutefois compter sur le soutien de ses amis et… de nombreux résidents du quartier. Car si quelques-uns se sont plaints, ils sont aussi nombreux à le défendre. D’ailleurs, il ne se passe pas 10 minutes sans qu’on ne vienne saluer Scott.

«Je passe ici tous les jours et je ne comprends pas. Il est gentil, il ne fait de mal à personne. Et les loyers sont tellement chers, que voulez qu’il fasse?» interroge une voisine qui vit à la Résidence Les Jardins Millen tout près de là. Même constat chez un autre habitant du quartier: «Chaque fois que je passe, mon chien fait un arrêt pour voir Scott, c’est son copain! Je ne savais pas qu’on lui avait demandé de partir, c’est bien triste…»

Autant de signes de réconfort qui ne changent toutefois rien à la précarité de la situation. Un peu plus loin dans le parc, un autre itinérant a quant à lui fait le choix de quitter avant l’arrivée des forces de l’ordre.

«L’été, les tentes dérangent»

Jean* (son nom a été modifié pour respecter son anonymat) ne compte pas lutter. «Il fallait s’y attendre, l’hiver on ne nous voit pas, mais l’été les tentes dérangent. Je vais plier mes affaires demain matin et j’irais ailleurs», témoigne-t-il.

Alors qu’il a fait un dossier pour demander un logement social il y a plus de deux ans, il s’est retrouvé dans l’incapacité de payer son loyer en octobre 2022 et fait «du camping» depuis. Jean est une personnification de la crise du logement qui touche Montréal de plein fouet. «J’espère qu’on m’attribuera un appartement bientôt! En attendant je fais avec, c’est comme ça», souffle-t-il.

Il continue de travailler au jour le jour, en fonction des missions qu’il décroche. Il rêve à des jours meilleurs même s’il a du mal à comprendre les plaintes du voisinage.

Les tentes sont réparties dans différents espaces du parc Basile-Routhier. (Photo: Loubna Chlaikhy, JDV)

«C’est très calme ici, il ne se passe jamais rien. La seule chose c’est qu’il y a une femme qui campe un peu plus loin dans le parc et elle a des troubles psychiatriques. Il lui arrive de se mettre à crier ou d’avoir des comportements bizarres, mais ce n’est pas de sa faute. On aurait pu trouver une solution pour elle, mais on préfère déplacer le problème ailleurs», explique Jean.

Son comportement et celui d’une autre itinérante en proie aux mêmes difficultés seraient en effet à l’origine des plaintes. «Elle a des problèmes de santé mentale. Il est déjà arrivé qu’elle arrache mes prises, ou qu’elle me crie dessus. Une fois elle m’a même déchiré mon chandail. Il y en a une autre qui a aussi des comportements bizarres. Mais il faut les aider, elles ne s’en prennent pas particulièrement aux habitants du quartier, elles sont justes comme ça et avec nous aussi», assure Scott DeRapp.

Scott et Jean ont malgré tout de la peine à comprendre la mobilisation des citoyens pour les faire partir. «Je trouve que c’est très facile pour eux de se plaindre de nous, alors qu’ils sont au chaud dans leurs belles maisons», souffle Scott. Pour Jean, il ne s’agit que d’une triste réalité: «On gêne leur petit confort, ils se plaignent vraiment pour pas grand-chose. Il y a une crise du logement incroyable, mais tout ce qu’ils veulent c’est déplacer le problème, ne pas devoir vivre à côté.»

Contactée par le Journal des voisins, la mairie d’Ahuntsic-Cartierville n’a pas encore fourni de réponse à l’heure où nous publions cet article. Un dossier à suivre.

Voici d’autres images de campements de personnes en situation d’itinérance dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. Faites défiler les photos pour voir la galerie d’images:



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