Une vingtaine de propriétaires riverains d’une ruelle du district d’Ahuntsic ont appris à leurs dépens récemment que la portion de ruelle derrière leurs logis était privée et venait d’être vendue. Le nouveau propriétaire n’entend pas leur faire de cadeaux. Ses riverains sont désormais pris en otage.
Des citoyens de la ruelle privée située entre le boulevard Saint-Laurent et la rue Grande-Allée, au nord du boulevard Henri-Bourassa, se sont retrouvés, du jour au lendemain, devant un fait accompli: ils n’auraient bientôt plus accès à la portion de ruelle derrière leur logis ou leur maison.
Et pour cause. La portion de ruelle qu’ils utilisaient a été vendue récemment –deux fois plutôt qu’une– et le dernier acquéreur a des «plans» pour sa nouvelle «propriété».
Certes, aucun de ces riverains n’était propriétaire de la ruelle, mais d’aucuns semblaient croire que le certificat de localisation de leur logis contenait un droit de passage. Mais la suite de l’histoire démontrera – aussi bizarre que cela puisse paraître – que les ruelles de Montréal n’ont pas toutes le même statut et ne sont pas toutes réglementées de la même manière. Au final, plusieurs riverains de ruelles risquent un jour de se retrouver en mauvaise posture comme le cas qui nous préoccupe aujourd’hui.
Taxes impayées, ruelle vendue : ni vu, ni connu
Au cours de l’été 2021, cette portion de ruelle privée qui donnait entre autres accès aux cours arrière des riverains habitant sur St-Laurent, côté est, et Grande-Allée, côté ouest, au nord du boulevard Gouin, a donc été vendue, sans que ces citoyens n’aient été mis au courant. Parce que les maisons sont bâties en rangée sur Saint-Laurent, notamment, c’est par cette ruelle que les citoyens du boulevard St-Laurent et de Grande-Allée ont accès ou donnent accès à leur cour arrière.
Lea propriétaire précédents (Grigorios Efraimidis, et précédemment la Société immobilière Dagobert Inc.) n’ayant pas payé leurs taxes foncières, au cours des années précédant 2019, cette portion de ruelle privée a donc été mise en vente à l’encan par la Ville, en novembre 2019; c’est la procédure habituelle.
Puis, un contrat notarié entre la Ville et David Perin Maruca, agent immobilier de son état, s’est signé à Laval, le 7 juillet 2021. Contre la somme de 4000$ plus taxes au montant de 448$, le Montréalais non résidant d’Ahuntsic-Cartierville a acquis cette portion de ruelle privée, et cela sans qu’aucun riverain n’en soit informé.
En juin, M. Maruca avait enregistré sa propre société immobilière au Registre des entreprises du Québec, soit quelques jours avant qu’il ne procède à l’achat de cette portion de ruelle.
À peine un mois et des poussières plus tard, soit le 26 août 2021, David Maruca a revendu la ruelle à un commerçant de Laval, Corneliu Tunea, propriétaire de Tire X-Press Service mobile, entreprise à numéro inscrite au Registre des entreprises du Québec, comme exploitant un commerce de détails de pneus, pièces et accessoires neufs pour l’automobile.
Ultimatum et chantage/Tentative d’extorsion?
Ce dernier et actuel propriétaire aurait d’abord mentionné aux riverains rencontrés au hasard de ses visites sur le terrain depuis le mois d’août qu’il comptait garer ses camions dans la portion de ruelle qu’il avait achetée.
Depuis, les riverains, consternés, en ont été quittes pour apprendre de la bouche même du nouveau proprio qu’il entendait leur vendre la ruelle pour la modique somme de 72000$ ou qu’il leur réclamerait une rente annuelle de 7000$. Faute de quoi, le nouveau proprio leur a signifié qu’il allait bloquer la ruelle avec des blocs de béton pour en empêcher l’accès aux riverains dès le 1er octobre prochain.
Déjà, depuis le 24 septembre, des riverains ont observé que des travaux se préparaient sur le terrain de la ruelle.
Selon une des riverains, le propriétaire aurait été prévenu que le groupe de riverains allait déposer une demande d’injonction par l’entremise d’une avocat au cours de cette semaine.
Riverains incrédules et choqués
Le 15 septembre dernier, une des riveraines écrivait ce qui suit au JDV:
«Il est inconcevable pour nous de comprendre la logique de cette nouvelle acquisition, puisque cet entrepreneur n’habite même pas dans le secteur et achète seulement le fond de la ruelle. Il nous a fait croire qu’il voulait y installer ses camions, mais finalement, il veut autre chose. C’est totalement de l’extorsion.»
Une autre riveraine de la ruelle précise à ce sujet :
«Après nous avoir fait croire qu’il voulait y stationner les camions de son entreprise, le nouveau propriétaire de la ruelle menace maintenant de bloquer l’accès avec des blocs de béton. La seule façon de le convaincre de nous laisser le droit de passage est de lui payer 7000 $/année ou 72000 $ pour acheter la ruelle. La date limite est le 1er octobre.»
Et la première riveraine de poursuivre:
«Cette ruelle fait partie de notre milieu de vie à tous et voilà qu’aujourd’hui, nous sommes pris avec cette situation. Comment cela se fait-il que la ville permet ce genre d’acquisition. Comment les résidents auront-ils accès à leur cour arrière? Comment les services tels que Bell, Vidéotron ou même les pompiers pourront-ils passer suite à cette restriction de passage? De plus, nous n’aurons plus accès à nos stationnements privés respectifs….c’est complètement aberrant.»
Plusieurs de ses résidants ont usage de cette ruelle qui existerait depuis 70 ans.
Les élues s’en mêlent
La conseillère de ville du district d’Ahuntsic, Nathalie Goulet, qui a été saisie du dossier à la suite d’une plainte des riverains, a permis d’y voir un peu plus clair, alors que les riverains s’étonnaient qu’une servitude mentionnée sur un des contrats de propriété datant de 1985 spécifiait qu’il y avait un droit de passage, mais que cette mention n’existe plus.
«Le processus de vente de bien immobilier pour non-paiement de taxes est strictement encadré par la Loi sur les cités et les villes et a pour conséquence la suppression des servitudes existantes», a fait valoir Mme Goulet.
Le droit de passage qui existait bel et bien en 1985 n’existerait plus, selon cette interprétation. Sur le contrat notarié entre les deux derniers acheteurs, signé le 26 août, la notaire précise bien à l’article intitulé «Servitude»:
«The title search hasn’t revealed any servitude.»
Toutefois, les riverains de la ruelle sont, pour leur part, persuadés après examen des titres qu’une servitude (ou un droit de passage) existerait toujours, ne serait-ce que pour les services d’utilité publique ou les urgences.
La conseillère du district d’Ahuntsic et la mairesse Thuillier sont à pied d’oeuvre de concert avec les services de l’arrondissement pour essayer de trouver une solution.
«Sachez que depuis que cette problématique a été portée à notre attention, écrit Nathalie Goulet, nous nous renseignons sur les règles qui s’appliquent et les recours possibles. La mairesse de l’arrondissement, Madame Emilie Thuillier, a rencontré la directrice d’arrondissement et le chef de la Division urbanisme, permis et inspection spécifiquement sur ce dossier. Elle en a également discuté avec le service du Greffe de la Ville. (…) Nous comprenons complètement votre colère et votre désarroi face à cette situation. (…) Nous tentons d’identifier des solutions le plus rapidement possible et vous reviendrons avec de l’information dès que nous en aurons.»
La mairesse Thuillier s’est rendue sur place et a rencontré deux des riverains. Alors que l’arrondissement tente de faire des démarches en amont de la vente, Mme Thuillier a suggéré aux riverains qu’ils portent également plainte à l’Ombudsman de la Ville de Montréal, parallèlement, dans un courriel qui leur a été adressé le 24 septembre.
L’arrondissement s’en mêle, donc; mais que pourra-t-il faire? C’est la Ville centre – et non l’arrondissement – qui règlemente la vente de ruelles publiques. Quant à la vente de ruelles privées de la Ville, il semble que l’administration municipale n’ait pas grand chose à y voir, sauf en cas de non-paiement des taxes foncières.
Rencontrée à la Foire des possibles au parc Tolhurst, le samedi 25 septembre, la conseillère Goulet a déclaré que la mairesse avait demandé au Service du contentieux de la Ville de se pencher rapidement sur le dossier.
Et si c’était votre tour, un jour?
Et si au moins les riverains étaient informés d’une éventuelle vente de ruelle privée quand ces dernières sont vendues à l’encan pour non-paiement de taxes. Mais ce n’est pas le cas. Et pourtant, c’est à cette étape cruciale de vente à l’encan que leurs «droits acquis» par l’usage sembleraient spoliés, car ces droits tomberaient alors dans le néant comme l’expliquait la conseillère Goulet.
Il n’est pas dit que d’autres riverains, ailleurs, sur le territoire d’Ahuntsic-Cartierville ne seront jamais aux prises avec une situation semblable. Dans le seul district d’Ahuntsic, il existerait pas loin d’une vingtaine de ruelles privées.
Ces ruelles sont susceptibles un jour d’être vendues au plus offrant, sans que les riverains n’en soient informés. D’autres beaux imbroglios en perspective. À moins que la Ville et l’arrondissement n’y mettent le hola. À suivre.
Riverains privés de leur ruelle: la Ville doit exproprier, selon un expert
Restez informé
en vous abonnant à notre infolettre
Vous appréciez cette publication du Journal des voisins? Nous avons besoin de vous pour continuer à produire de l’information indépendante de qualité et d’intérêt public. Toute adhésion faite au Journal des voisins donne droit à un reçu fiscal.
Nous recueillons des données pour alimenter nos bases de données. Pour plus d’informations, veuillez vous reporter à notre politique de confidentialité.
Tout commentaire sera le bienvenu et publié sous réserve de modération basée sur la Nétiquette du JDV.
Bravo à cet agent immobilier « David Perin Maruca » ! Pourrir la vie de dizaine de famille pour une poignée de $…
Un pourri qui pourrit la vie des autres.
Ben voyons la ville comme on dit exproprier ce bout de ruelle et remettez le $4,000 ç l’acheteur immédiatement comme ça il ne pourra plaider de préjudice…. et laisser-le aller en cour suprême pour contester. Voyons donc ça se règle en quelques minutes cette escroquerie !!! Comme on dit à la veille des élection municipales démontrez-nous que vous êtes au services des citoyens !!
Bravo M. Bruno, je partage votre avis.Le bien commun avant tout.
C’est aussi à la ville, nos représentant, de « prendre soin « de ses citoyens. Ils auraient dû informer les citoyens concernés avant le désastre !. Où étaient ils ces conseillers quand ont a besoin d’eux ?
[Lien retiré]
Voici le site de l’agent en question David Perrin Maruca à qui vous pouvez probablement demander des explications concernant l’éthique de cette transaction.
Pourquoi personne ne parle des riverains qui utilise un terrain privé sans payer de taxes municipales ou autres frais? De plus ils avaient tous l’opportunité d’acheter cette parcelle de terrain à plusieurs reprise. La ville et les riverains sont à blâmer dans cette histoire.
Ce n’est pas vrai qu’une servitude et qu’un droit acquis tombent en changeant de propriétaire, article 1182 du code civil : « Les mutation de propriété […] ne portent pas atteinte à la servitude. Celle-ci suit les immeubles en quelques mains qu’ils passent […]
Ici, les riverains font usage de la ruelle depuis très longtemps, il s’agit peut-être d’un cas de possession par prescription trentenaire acquisitive. Voir le jugement de la cour supérieure rendu le 18 juin 2008, l’affaire André Vanier contre Gérace Ltee ( jugement.qc.ca ).
« Un cultivateur cultivait une portion de terre adjacente à son terrain depuis plus de 30 ans. La Ville de Laval vend le terrain pour taxes impayées […] Un jour, le nouveau propriétaire se réveille et réclame au cultivateur d’acheter la portion de terre qu’il cultive. Celui-ci refuse. La cour supérieure donne raison au cultivateur puisqu’il en est déjà le propriétaire par prescription trentenaire acquisitive »
Riverains et riveraines: administré, citadin, citoyen, gens, locataire, occupant, paroissien, population, propriétaire, résident.