Le Journal des voisins (JDV) a demandé à ses lecteurs quels étaient, selon eux, les édifices vacants qui faisaient affront à la qualité du paysage bâti. Les suggestions furent nombreuses et variées. Voici un florilège d’histoires d’horreur aux quatre coins du territoire. Cliquez sur la galerie de 7 images :
Ahuntsic-Cartierville est un arrondissement qui possède une riche tradition architecturale et historique, un aménagement urbain de qualité dans une fort belle géographie baignée par la rivière des Prairies.
Malheureusement, comme partout ailleurs, des édifices mal entretenus, délabrés, barricadés jettent des touches de laideur dans un tissu urbain relativement homogène et agréable.
De plus, le patrimoine historique n’est pas toujours parfaitement respecté et il est parfois même méprisé.
Lorsque la qualité du paysage et du patrimoine est atteinte, ça devient rapidement un sujet d’intérêt public. C’est pourquoi le JDV a entrepris ce reportage que nous vous présentons aujourd’hui.
Méthodologie
Les informations de ce dossier proviennent de données publiques issues du Rôle d’évaluation foncière de la Ville de Montréal, du Registre foncier du Québec, du Registraire des entreprises du Québec et du moteur de recherche sur les jugements de la Société québécoise d’information juridique (SOQUIJ).
En janvier, nous avons écrit aux sept propriétaires des immeubles que nous avons retenus pour les prier de nous accorder une entrevue, question de leur permettre de faire valoir leur version sur l’état actuel de leur édifice. Nous voulions surtout qu’ils nous expliquent comment ils envisageaient leur réhabilitation. Un seul nous a répondu.
Immeuble # 1
Quartier : Cartierville
Immeuble : 5379, boulevard Gouin Ouest
Propriétaire : Timothy Polysos
Évaluation 2023 : 526 800 $
Taxes 2023 : 12 557 $
Le 29 juin 2007, Mme Lafontaine vend son commerce de fleurs à Mme Bouchoutos. Le 18 mai 2017, cette dernière vend l’édifice et le terrain à Timothy Polysos.
Pour bien comprendre : le père de l’acheteur, Anthony Polysos, est notaire et prêteur. Il a fait l’objet de plusieurs articles dans les médias. Dans ce dossier, il a agi en tant que notaire. De plus, à titre personnel, il avait précédemment prêté de l’argent à Mme Bouchoutos, la propriétaire qui a vendu au fils de M. Polysos. Ce prêt a, en partie, financé l’achat du fils.
Tous les comptes de taxes sont expédiés à la résidence de père du propriétaire, le notaire Anthony Polysos. Le propriétaire (Timothy Polysos) possède également d’autres immeubles, par l’entremise de compagnies à numéro toutes localisées à la même adresse, celle de son père. Le propriétaire officiel, Timothy Polysos, n’a pas répondu à nos demandes d’entrevue. Nous ne savons donc rien sur ses projets à propos de cet immeuble.
Immeuble # 2
Quartier : Cartierville
Immeuble : 12 264, rue Cousineau
Propriétaire : George Soulban
Évaluation 2023 : 417 800 $
Taxes 2023 : 2 611 $
En 2008, Ira Christopoulos achète cette maison, rue Cousineau à Cartierville. En 2014, elle contracte une hypothèque de 205 000 $ avec George Soulban. Le temps passe et Mme Christopoulos ne respecte pas les clauses spécifiques au paiement de cet emprunt. Le prêteur finit par la poursuivre. En septembre 2017, la cour ordonne une prise de paiement judiciaire rétroactive au 29 mars 2016. Mme Christopoulos est sommée de quitter la maison et M. Soulban en devient le propriétaire de plein droit. La maison n’est plus habitée depuis.
M. Soublan est le seul propriétaire ayant répondu à nos questions. Il explique qu’il a proposé à l’arrondissement de démolir la maison pour construire un immeuble de huit logements. Le projet a été refusé parce que trop gros par rapport aux autres immeubles de cette rue. Il vient de mettre la maison en vente. S’il ne la vend pas d’ici quelques mois, il dit vouloir construire un autre immeuble plus petit et conforme aux normes de l’arrondissement.
Immeuble # 3
Quartier : Ahuntsic
Immeuble : 339-341, boulevard Henri-Bourassa Ouest
Propriétaires : Angela et Anastasia Bairaktaris
Évaluation 2023 : 586 700 $
Taxes 2023 : 9 064 $
Le mauvais sort de ce local commercial a commencé en 2002. Son propriétaire, Dimitros Bairaktaris et ses filles, ont voulu faire annuler le bail de l’épicier qui logeait, depuis plusieurs années, au rez-de-chaussée. Le locataire Najah Bouras et son partenaire voulaient se prévaloir de leur droit de renouveler le bail et ensuite de le transférer à un éventuel acheteur de leur commerce.
L’affaire aboutit en cour en août 2002. La stratégie du propriétaire était, selon le juge, bien claire : se débarrasser du bail et de l’option de renouvellement pour louer lui-même à un nouveau locataire, à un prix beaucoup plus élevé. Devant le tribunal, M Bairaktaris fut complètement débouté. Cette cause (Bairaktaris v. 90477993) a fait jurisprudence et est citée dans les manuels de droit au chapitre de la validité et la crédibilité des témoignages.
En 2004, les deux sœurs Bairaktaris héritent de cette maison, au décès de leur père. Le nouveau locataire, un certain Rong Liu, faisait de bonnes affaires selon les voisins : le samedi après-midi, il baissait le prix de la bière et des clients venaient de partout, en voiture, pour s’approvisionner. Mais M. Liu, après les trois premières années de son bail, a dû renégocier un nouveau bail. C’est probablement au moment de cette renégociation, vers 2007, qu’il a quitté les lieux et que le local a été barricadé, selon les voisins immédiats.
Depuis 15 ans, les sœurs Bairaktaris paient les taxes municipales sans aucun revenu. En 2022, leur compte de taxes était de 8 298 $ et de 9 064 $ cette année.
Immeuble # 4
Quartier : Ahuntsic
Immeuble : 355-361A, boulevard Henri-Bourassa Est
Propriétaire : Caroline Parent
Évaluation 2023 : 710 100 $
Taxes 2023 : 3 952 $
Yves Parent a acheté cette maison en 1974, au prix de 30 000 $. Il est décédé en février 2018. Sa fille et unique héritière, Caroline, qui est architecte, est devenue officiellement propriétaire en juin 2018. Le 12 décembre 2020, elle a obtenu un permis de rénovation de la façade de l’édifice. Ce permis est encore affiché sur la porte.
Tous les permis de rénovation sont soumis à un calendrier de départ et de fin des travaux. Dans ce cas-ci, le permis était valide si les travaux commençaient avant le 14 décembre 2021 et se terminaient avant le 14 juin 2022. Or, les travaux se sont arrêtés en cours de route.
En janvier 2023, plusieurs mois après l’échéance affichée au permis, le chantier est inactif. Selon l’article 39 du règlement 11-018 de la Ville de Montréal, le permis est donc périmé.
Immeuble # 5
Quartier : Sault-au-Récollet
Immeuble : 2715, rue Fleury Est
Propriétaire : Xiao Zhang
Évaluation 2023 : 885 700 $
Taxes 2023 : 10 268 $
Ce terrain appartenait à M. Giovanni Ferrucci qui, de 1995 à 2016, le louait à la Coop Fédérée (aujourd’hui Sollio) pour y exploiter un poste d’essence. En 2016, ces activités ont cessé. Le propriétaire et un éventuel acheteur ont fait réaliser une expertise qui a confirmé la contamination du sol. En 2017, le gouvernement du Québec a transmis au propriétaire un avis de contamination.
En octobre 2020, le terrain est vendu pour la somme de 800 000 $ à M. Xiao Zhang. Le contrat de vente précise que l’acheteur est pleinement informé de la contamination, qu’il a pris connaissance du rapport d’expert et de l’avis de contamination. Aucun développement depuis l’achat.
Immeuble # 6
Quartier : Sault-au-Récollet, angle Rancourt
Immeuble : 2320, boulevard Henri-Bourassa Est
Propriétaire : Hugo Boucher-Laframboise
Évaluation 2023 : 933 800 $
Taxes 2023 : 22 122 $
En 1955, Petro-Canada achète le terrain de M. Guy Charbonneau pour la somme de 1 $ et autres considérations (non précisées à l’acte de vente). Trente ans plus tard, en mai 1985, Petro-Canada revend le terrain. De 1985 à 1988, il change de mains à plusieurs reprises.
Il est intéressant de noter que dans l’acte de vente de Petro-Canada de 1985 (ainsi que dans tous les autres qui suivent au fil des ans) les mots «contamination» ou «décontamination» n’apparaissent jamais. En 1988, M. Georges Bozian, son épouse Anahid Basmadjian et Charles Bozian en font l’acquisition pour la somme de 750 000 $. Leur activité consiste à louer des locaux à de petits commerces de proximité. Il y a quelques années, toutes les activités s’arrêtent soudainement. L’édifice est alors barricadé.
L’an dernier (2022), les trois propriétaires le vendent à M. Hugo Boucher-Laframboise pour la somme de 1 400 000 $. Ce dernier est le président de Première Immobilier, une firme spécialisée dans le développement immobilier, notamment dans les résidences pour personnes âgées (RPA). Cette entreprise possède des centaines de logements, dont 1 300 unités pour personnes retraitées à prix abordable, principalement situées dans la grande région métropolitaine.
Première Immobilier possède également le Domaine Salaberry. M. Boucher-Laframboise projette-t-il d’ériger une RPA sur son terrain du Sault-au-Récollet? Il ne nous a pas rappelés pour nous confirmer ses intentions.
Immeuble # 7
Quartier : Ahuntsic
Immeuble : 100, rue Somerville
Propriétaire : Gouvernement de l’Irak
Évaluation 2023 : 2 903 300 $
Taxes 2023 : 30 723 $
Cette ruine est bien connue des citoyens du quartier. En fait, sa réputation dépasse les limites de l’arrondissement et a fait l’objet de quelques reportages dans les médias, notamment dans le JDV, mais de façon plus marquante, à l’émission Infoman, à Radio-Canada. Jean-René Dufort y a tourné un segment particulièrement loufoque où il y proclamait l’indépendance de la république fictive de l’Infomanistan.
Construite en 1962 par l’un des frères Miron, de la célèbre cimenterie, la maison est vendue au gouvernent de l’Irak pour 325 000 $ en 1979. Le consul s’y installe avec sa famille. En 1980, la guerre Iran-Irak est déclarée. Au déclenchement de ce conflit, le consul et sa famille s’enfuient en pleine nuit. La maison est abandonnée depuis.
Au fil des ans, la maison est dévalisée, vandalisée et incendiée. Pendant au moins 20 ans, elle est au centre de longues batailles juridiques, avec plusieurs poursuivants, dont le Koweït et la Ville de Montréal, pour non-paiement de taxes. Tous ces procès se sont réglés hors cour. En 2013, le nouveau consul de l’Irak à Montréal annonce que la maison, qui est considérée comme un bel exemple d’architecture moderne par certains experts, serait bientôt reconstruite. On attend toujours. Mais les taxes sont payées.
Ce texte a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février 2023, à la page 22. Nous l’avons mis à jour après avoir obtenu les données de 2023 (évaluation et taxes). Il fait partie du Dossier Urbanisme, duquel plusieurs autres articles seront reproduits.
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Merci pour ces infos super intéressantes, on se demande ce que deviennent ces bâtiments…