Bernard Drainville, ministre de l’Éducation (Photo : Wikipédia)

Avec sa réforme annoncée en mai, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, s’octroie davantage de pouvoir. Il s’arroge un droit de regard sur la formation continue des enseignants, il veut pouvoir nommer et destituer les directeurs généraux des centres de services scolaires, et il souhaite créer un Institut national d’excellence en éducation.

(Cet article est paru dans la version imprimée du Journal des voisins,
le Mag papier de juin-juillet 2023, aux pages 10-11.)

La réforme Drainville est inspirée par une certaine méfiance envers le travail des enseignants. Le Ministre tente en effet de contrôler davantage la manière dont les profs enseignent, mais l’objectif derrière un tel contrôle reste nébuleux. «J’aimerais aussi, et surtout, qu’on m’explique en quoi le fait que le réseau ait accès aux données (quelles données, d’ailleurs?) aidera à “détecter les élèves qui sont dans le besoin pour venir les aider plus rapidement et plus efficacement”», écrit l’enseignante de primaire Martine Arpin. Les enseignantes ont en effet déjà décelé quels sont les élèves en difficulté et font déjà tout ce qu’elles peuvent pour les aider.

Certains chroniqueurs ont applaudi la création de l’Institut national d’excellence en éducation, car ils déplorent le manque de données probantes sur les pratiques éducatives. Ils estiment notamment qu’on n’a pas mesuré les effets néfastes provoqués par le socioconstructivisme de la réforme de l’éducation du début des années 2000.

Quel avantage?
On se demande pourtant ce que l’Institut national en éducation va apporter de plus que ce que font déjà le ministère de l’Éducation et le Conseil supérieur de l’éducation, un organisme indépendant, qui ont publié de nombreux avis pour éclairer le gouvernement. En 2016, le Conseil a notamment émis un rapport statuant que l’école québécoise était la plus inégalitaire au pays, rapport auquel les ministres qui se sont succédé depuis n’ont pas donné suite. En 2019, les résultats de ce rapport avaient été corroborés par une étude du professeur Pierre Canisius Kamanzi, de l’Université de Montréal, montrant que seulement 15% des élèves qui fréquentent le public «ordinaire» au secondaire iront à l’université. Ce taux passe à 51% pour le public avec sélection et à 60% pour l’école privée.

C’est à se demander si les problèmes les plus criants découlent vraiment du manque de données probantes ou s’ils ne proviennent pas plutôt du manque de volonté politique du Ministre. En entrevue avec la table éditoriale du Devoir, M. Drainville a encore une fois nié l’existence d’une école à trois vitesses au Québec en arguant que cette thèse souffre d’un «biais conceptuel».

En vérité, c’est plutôt le ministre qui souffre d’un «biais conceptuel». La situation est connue depuis longtemps et il faut vraiment se fermer les yeux pour ne pas la voir: les écoles publiques à projet particulier et les écoles privées sont fréquentées très majoritairement par des élèves issus des milieux socio-économiques favorisés. Loin d’être un ascenseur social, l’école reproduit plutôt les inégalités déjà existantes dans la société. Il y a quelque chose de choquant de voir le Ministre créer de nouvelles structures et demander des redditions de compte aux enseignantes pendant que le navire Éducation prend l’eau.

Pénurie
Les écoles publiques québécoises font face présentement à une importante pénurie de main-d’œuvre: au moins 20% des recrues quittent la profession moins de cinq ans après y être entrées et ils sont de plus en plus rares les élèves qui ont la chance de ne pas voir leur enseignante exténuée, quitter son poste au beau milieu de l’année. Pendant que le Ministre concoctait sa réforme centralisatrice, L’école autrement, un documentaire choc produit par Télé-Québec en 2022, lançait un cri d’alarme quant à l’état du système public d’éducation. Des centaines de citoyens se sont aussi réunis ce printemps à l’occasion des forums citoyens «Parlons éducation».

Renée-Claude Lorimier, Benoît Dugas, Florence Lorimier-Dugas, Ghislaine Raymond, Louise Lafrance, Luis Gini, Joanne Guay, Fanny Theurillat-Cloutier et Ana Mejia du Collectif de convergence citoyenne Ahuntsic-Cartierville. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Comme le Ministre n’a pas cru bon de mettre en place une commission Parent 2.0, comme le lui conseillent plusieurs voix, des citoyens ont eu la bonne idée de créer eux-mêmes une vaste réflexion collective sur l’éducation. Ces citoyens (parmi lesquels on retrouve une forte délégation d’Ahuntsic), qui rêvent d’une réforme en profondeur du système d’éducation, ont été déçus de la réforme Drainville. Ils sont nombreux à penser que le Québec n’a pas besoin d’une réforme centralisatrice, mais bien d’un projet qui va enfin assurer l’égalité des chances en éducation.

C’est un euphémisme de dire que Bernard Drainville a très mal débuté son mandat à la tête du ministère de l’Éducation. On se demande non seulement si sa réforme est pertinente, mais s’il est encore digne d’occuper un poste aussi important.



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