Douze ans après le lancement d’une étude sur l’apnée du sommeil et son impact sur le cerveau, l’équipe de la Dre Nadia Gosselin, directrice scientifique du Centre d’études avancées en médecine du sommeil (CÉAMS), a publié au début 2024 des résultats encourageants. Les effets observés pourraient être réversibles.
Une certaine effervescence règne dans les couloirs de l’Hôpital du Sacré-Cœur, qui domine le boulevard Gouin depuis près de cent ans. Des dizaines de personnes, membres du personnel, familles et patients en fauteuil roulant déambulent dans les couloirs étroits.
Effervescence dans les couloirs
A priori, rien d’extraordinaire pour l’un des quatre principaux centres de soins ambulatoires de Montréal : plus de 63 000 patients y sont accueillis et traités annuellement. Toutefois, l’agitation, le tohu-bohu comme les couloirs quasi labyrinthiques peuvent parfois provoquer un vertige initiatique, vite dissipé certes, chez certains visiteurs profanes.
Bonne surprise ! Denis, un agent d’accueil, par ailleurs fervent lecteur du Journal des voisins, propose avec délicatesse de nous accompagner jusqu’à l’ascenseur. En face de nous, un panneau indique « 5e étage : Laboratoires de la clinique du sommeil ».
Clinique du sommeil
Au 5e étage, nous y sommes maintenant. Changement d’atmosphère, un tout autre décor se présente. Le rythme frénétique, lié à l’agitation propre à tout établissement hospitalier doté de 554 lits, a totalement disparu.
La clinique du sommeil nous accueille sans tumulte. Chaque année, cette unité reçoit des centaines de patients souffrant de troubles du sommeil variés comme l’insomnie, le syndrome des jambes sans repos, l’hypersomnie, la narcolepsie, le trouble comportemental en sommeil paradoxal et le somnambulisme.
Deux ailes
L’étage se décompose en deux ailes : l’une ouverte aux personnes munies de prescriptions médicales de spécialistes du sommeil, et une autre entièrement dévolue à la recherche. Cette dernière regroupe deux laboratoires, à gauche celui de chronobiologie constitué de trois chambres d’enregistrement, et à droite celui scrutant les rêves comptant autant de pièces.
À première vue, les chambres ressemblent à d’autres : un agencement sans fioritures avec un lit, un fauteuil, une salle de bain englobant toilettes et douche, etc. À y regarder de plus près, le halo apaisant émanant des plafonds incandescents façonne un environnement tout à fait propice à l’objet de l’étude, le sommeil.
Décor sobre
Ce plafond lumineux aux composantes circadiennes [rythme biologique de 24 heures] permet une exposition régulière pendant la période «d’immersion». D’autres éléments distinguent encore ces chambres. D’abord, fixée au mur au-dessus du lit, une petite boîte carrée d’où partent des fils tentaculaires donne des indices sur la spécificité du lieu. Ensuite, à l’extrémité droite de la pièce, au plafond, en surplomb du lit, une caméra circulaire à infrarouge capte tous les mouvements du patient, en contrebas, souvent enveloppé dans les draps.
Une étude longue sur l’apnée du sommeil
Cette étude sur l’apnée du sommeil et ses répercussions sur le cerveau a démarré en 2012. Elle porte sur l’évaluation de la santé du cerveau d’environ 150 personnes, hommes et femmes. Toutes vivent avec de l’apnée du sommeil. Certaines d’entre elles utilisaient un appareil aidant à mieux respirer de type PPC (à pression positive continue) ou CPAP (Continuous Positive Airway Pressure). D’autres ne la traitaient pas, selon leur choix personnel.
Ainsi, l’apnée du sommeil pourrait avoir des conséquences variables d’une personne à l’autre sur la santé générale et sur le cerveau en particulier.
Vieillissement sur le cerveau
«Cette étude nous permet de comprendre comment l’apnée et sa sévérité pourraient avoir un impact sur le risque de développer certaines maladies comme l’Alzheimer ou sur le vieillissement du cerveau», indique Andrée-Ann Baril, chercheuse au Centre d’études avancées en médecine du sommeil, Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal, CIUSSS-NIM.
La première phase, terminée depuis plusieurs mois, a consisté à enregistrer le sommeil. Puis à produire l’imagerie du cerveau et à réaliser des tests cognitifs.
La deuxième phase de la recherche, en cours, se résume à l’analyse des données par les étudiants universitaires. Ceux-ci s’appuient sur des outils, des algorithmes conçus en interne et en externe pour comprendre le sommeil et la structure du cerveau.
Un dispositif léger
«Pour notre recherche, nous disposons des électrodes sur le cuir chevelu des patients reliées à un polysomnographe [la petite boîte carrée]. Il collecte des données de sommeil», précise-t-elle.
Le recueil des signaux émis par le cerveau s’effectue dans la pièce attenante avec du matériel informatique. Les ordinateurs avec précision l’état de la personne. Dort-elle profondément? Ou bien est-elle simplement dans un stade plus léger de sommeil?
«Si une électrode se débranche, ajoute-t-elle, nous sommes informés en temps réel pendant l’observation. Ainsi, nous pouvons aller dans la chambre pour la replacer sur le crâne de la personne.»
Le laboratoire de chronobiologie pratique plusieurs protocoles en fonction de l’heure de la journée ou de la nuit. L’un est destiné à l’étude des siestes et l’autre s’applique aux personnes faisant l’objet d’une observation nocturne.
Lien entre âge et apnée du sommeil
«Nous conservons toutes les données puis nous les analysons, précise la professeure. En cas de somnambulisme, par exemple, nous avons besoin de savoir si les déplacements de la personne sont liés au sommeil ou non, si la personne est vraiment endormie ou non. Si elle est réveillée, les ondes du cerveau produites sur nos écrans sont alors plus rapides.»
Si vous ne souffrez pas de trouble du sommeil et que vous êtes âgé(e) de moins de 60 ans, le CEAMS pourrait avoir besoin de vous pour mener à bien ses recherches.
Pour plus d’informations : http://ceams-carsm.ca/participants/
L’équipe de recherche établit ensuite, parmi les quatre stades de sommeil, où se situe la personne endormie : le stade le plus léger (N1), le stade de transition entre le sommeil léger et le sommeil profond (N2), le sommeil profond (N3) ou le sommeil paradoxal. Cette dernière phase correspond aussi à un moment où l’imagerie mentale est plus vive; c’est celle durant laquelle nous produisons la majorité de nos rêves.
D’après la science, nos périodes de sommeil se décomposent en plusieurs cycles d’environ 90 minutes. Chacun d’entre eux est constitué des quatre stades cités précédemment.
Sommeil profond
Par ailleurs, plus la personne est âgée, plus le troisième stade se raréfie. Néanmoins, assure la chercheuse, «les résultats varient d’une personne à l’autre et les hypothèses sont multiples». «On peut penser que le cerveau est moins apte à produire le sommeil profond, poursuit-elle. La plupart des gens montrent une réduction variable du N3.» De plus, il existe une relation entre l’âge et l’apnée du sommeil.
Des effets réversibles sur le cerveau
Les premiers résultats de l’analyse des données ont fait l’objet de plusieurs publications. La dernière publiée au début 2024 a montré que les signes observés en imagerie du cerveau pourraient être réversibles.
Certaines études ont révélé, par ailleurs, la présence d’œdème dans le cerveau des personnes atteintes d’une apnée légère. Ainsi, chez les patients qui ont plusieurs facteurs de risque de démence, une apnée légère ou modérée devient un risque supplémentaire. Celui-ci peut être prévenu puisque l’étude de la Dre Gosselin vient de montrer que des changements peuvent s’opérer au niveau de la structure du cerveau après un traitement adapté (CPAP ou autre).
Lire aussi : Le Médecin du Québec
Cet article est tiré du numéro d’été du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré au logement.
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