La qualité du logement s’est-elle améliorée depuis l’arrivée de Projet Montréal à la mairie d’Ahuntsic-Cartierville, en 2017? Oui, mais trop lentement selon ceux et celles qui se préoccupent de la question. Premier d’une série de trois textes.
Pour les défenseurs du logement de bonne qualité à un prix accessible, la situation du logement s’améliore un peu dans Cartierville, où se retrouve l’écrasante majorité des logements problématiques. Mais ça évolue très lentement. Trop aux yeux de certains.
« C’est du long terme, expliquait Bertrand Pouyet, en juin, alors directeur du Conseil local des intervenants communautaires de Bordeaux-Cartierville (CLIC). Pendant des années, on était conscient du problème. Mais on ne trouvait pas de solution. Les plaintes étaient difficiles à gérer, car la moitié des locataires déménagent au bout de cinq ans ou moins. »
Selon M. Pouyet, les choses avaient commencé à changer avant l’élection.
«On avait mis en place le projet Zoom sur la salubrité, une ressource du Comité logement qui organisait des visites sur demande des locataires. On bénéficie aussi d’un accès rapide aux inspecteurs. »
Certains aspects du problème ont changé depuis l’élection, ajoutait-il. Avant, les plaintes étaient nominatives et tombaient quand le locataire quittait son logement. Après l’élection, les élus ont fait en sorte que la plainte soit associée à un logement. Avec Zoom sur la salubrité, le nombre de plaintes a augmenté. L’insalubrité est davantage visible.
Depuis l’élection de Projet Montréal, si un immeuble complet est jugé insalubre, c’est la Ville-centre qui prend le dossier en main.
« Une dizaine de multiplex dans le secteur de la RUI ont été visés depuis le printemps », poursuivait M. Pouyet, au moment de notre entretien.
La RUI est une zone de Revitalisation urbaine intégrée, un concept de développement urbain et de lutte contre la pauvreté appliqué à tous les arrondissements de Montréal. Ahuntsic-Cartierville compte une seule RUI, dont le territoire, qui forme un L autour de l’hôpital du Sacré-Cœur et de la maison-mère des Sœurs de la Providence, s’étend de Gouin jusqu’au futur REM (l’ancien train de banlieue au nord de la rue Dudemaine), et de Laurentien jusqu’à O’Brien. Cette zone d’environ 1 km carré compte 11 000 personnes, soit un habitant de Cartierville sur cinq. On y retrouve essentiellement des immeubles multilogements. C’est l’une des plus fortes densités urbaines au pays.
Beaucoup d’immeubles sont en piteux état, dont quelques-uns peuvent être qualifiés de taudis. Quelques propriétaires représentent de véritables délinquants. Mais d’autres ont effectué des rénovations.
« La rue Michel-Sarrazin est particulièrement problématique, ajoutait M. Pouyet. Les infestations de punaises de lit et de coquerelles se multiplient. »
D’autres artères à problèmes : Dudemaine, Saint-Évariste, Ranger, Grenet, Louisbourg et Salaberry.
En mai 2018, le CLIC publiait un bilan des dix ans de la RUI. Près d’une centaine d’actions ont mené à la construction de 370 logements sociaux et communautaires et généré des investissements de 5,5 millions$. Malgré tout, la situation du logement ne s’est guère améliorée, selon plusieurs.
Signalons que la population de la RUI est particulièrement vulnérable : 43% des résidants ont moins de 25 ans; 67% sont nés à l’extérieur du pays (46% proviennent d’Afrique du Nord et 41% d’Asie du Sud); et les langues les plus parlées à la maison sont l’arabe (23%), l’ourdou (13%) et l’espagnol (13%), selon un profil sociodémographique réalisé par le CLIC.
« La pyramide des âges de la RUI s’apparente même à celle d’un pays en développement », constate l’organisme, qui retient que 38,6% des familles y sont monoparentales, une proportion nettement plus élevée que pour le reste de l’arrondissement (18,7%) ou de Montréal (32,8%). Et 77,7% des chefs de famille monoparentale sont des femmes, ce qui représente en soi un indice de pauvreté.
Autre donnée révélatrice : 91% des habitants de la RUI sont locataires (62% pour Montréal). Cette proportion grimpe à 100% dans certaines rues. De plus, 58% disposent d’un faible revenu (comparé à 28% pour Montréal) et une personne active sur cinq est au chômage. Et le taux de faible revenu est de 1,5 à 2,5 fois plus élevé qu’à Montréal.
Peu de changements
« Il n’y a pas eu d’amélioration notable dans le dossier logement depuis 2017, explique pour sa part Jessica Dumervil, chargée de projet pour Zoom sur la salubrité dans la zone RUI, pour le Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC). Il y a certes plus d’inspecteurs municipaux. Mais les immeubles sont encore en très mauvais état et il subsiste un très fort taux de roulement chez les locataires. De ceux que j’ai visités depuis 2017, la moitié ne sont plus là. Une majorité a déménagé pour des problèmes de salubrité. Ceux qui sont restés vivent encore les mêmes problèmes. »
Mme Dumervil recense des infestations de coquerelles, punaises de lit, des moisissures et infiltrations d’eau :
« Il y a un grand nombre de propriétaires délinquants, dit-elle. Même si on avertit la Ville, ils s’en sortent trop facilement. Il n’y a pas de conséquences pour eux. »
Il y a deux ans, Mme Dumervil a dénoncé une situation intolérable : une locataire dont les enfants se sont fait mordre par des rats. Au début de l’été, les rats étaient toujours là.
Elle donne aussi l’exemple de quatre immeubles, rue Dudemaine, appartenant au même propriétaire, où l’insalubrité est chronique et où les ascenseurs ne fonctionnent guère.
« Les concierges ne se présentent plus dans ces immeubles à cause de la Covid-19, ils sont dans un état épouvantable, dit-elle. La Ville est au courant, mais ces immeubles ne sont pas nettoyés et désinfectés. »
Plusieurs immeubles ont été vendus au fil des ans. Aux problèmes de salubrité s’ajoute celui de l’accessibilité : les loyers ont souvent augmenté.
« Certains propriétaires font du profilage social, dit-elle. Ceux qui ont rénové acceptent surtout des gens de moins de 40 ans, sans enfant, souvent des professionnels. »
Mme Dumervil recense beaucoup d’évictions pour des motifs douteux. Et des propriétaires qui rénovent et augmentent ensuite fortement le loyer.
« Là où il y a eu des rénovations, les locataires à statut précaire sont allés vivre ailleurs », ajoute-t-elle.
Les élus ont agi
« On a fait de nombreuses interventions depuis notre arrivée pour que les gens aient un toit décent sur leur tête, explique Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. On a mis en place une équipe d’une trentaine d’inspecteurs complémentaires à ceux de la Ville-centre. La Ville de Montréal a conçu un indice de probabilité d’insalubrité utilisé dans les inspections. Notre arrondissement a eu une aide supplémentaire de la Ville-centre quand un immeuble comprend plusieurs logements insalubres. »
Mme Thuillier explique que, depuis l’élection, l’arrondissement a mis en place un nouveau mécanisme de plaintes impliquant des insectes : un exterminateur, qui a un contrat spécifique, se déplace rapidement pour en faire le constat.
« On a développé un lien privilégié avec le CLAC, reprend la mairesse, pour mieux aider les citoyens qui hésitent à porter plainte. Quand ils nous envoient un dossier, on le traite rapidement. »
Les autorités doivent composer avec des propriétaires délinquants, qui représentent souvent une cause perdue.
« C’est pourquoi on effectue des inspections proactives et des suivis serrés, reprend-elle. Et on multiplie les amendes. On veut inciter les propriétaires à rénover les logements. Surtout s’ils sont insalubres. »
Pour l’ex-directeur du CLIC, Bertrand Pouyet, c’est une évidence : le dossier de l’insalubrité ne se réglera pas avant la prochaine élection. Mais il demeurait optimiste :
«Le bilan va dans le bon sens », conclut-il.
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Effectivement on ne voit pas grande amélioration et pas seulement dans le secteur indiqué mais dans tout l’arrondissement et surtout sur les grands axes routiers. On devrait publier la liste de délinquants ce qui devrait être plus efficace que des amendes.