Pauvreté Zone RUI Laurentien-Grenet
L’image de la RUI c’est souvent des logements insalubres. Il y’en a d’autres à Ahuntsic-Cartierville. (Archives, JDV)

La mise en service du REM, en 2022 ou 2023, qui comptera une gare intermodale, Bois-Francs, angle Grenet et Dudemaine, se traduira-t-elle par la gentrification du sud de Cartierville? Troisième partie de notre dossier de trois textes sur le logement.

Partout dans le monde et notamment à Montréal, la présence ou l’implantation d’infrastructures majeures de transport en commun, comme le métro, se traduit presque systématiquement par un embourgeoisement des quartiers pauvres qu’ils desservent, surtout autour des gares. La RUI, ou zone de Revitalisation urbaine intégrée, est située directement au nord de la gare Bois-Francs du futur REM, qui doit aussi être un jour desservie par la ligne orange du métro.

La RUI, un territoire d’un kilomètre carré abritant 11 000 personnes, compte une écrasante majorité de locataires à très faibles revenus, dont plusieurs nouveaux arrivants au pays et familles monoparentales. Une population très vulnérable.

Journaldesvoisins.com suit depuis longtemps l’embourgeoisement appréhendé de ce territoire, avec la venue du REM. Les avis sont partagés à ce sujet.

« Il existe des mécanismes pour éviter cette gentrification, affirme Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville. Ceux-ci sont les redevances imposées par la construction du REM et le règlement de notre administration sur la métropole mixte. »

Avec le projet du REM, le gouvernement a introduit le principe de redevances imposées aux promoteurs et aux propriétaires qui construisent des immeubles ou des logements à proximité des gares du REM. Le gouvernement cherche ainsi à diversifier les sources de revenus pour financer en partie la construction du REM, qui pourrait coûter, selon certaines estimations, jusqu’à 11 milliards de dollars. Les redevances, elles, pourraient rapporter jusqu’à 600 millions, selon l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM).

Les propriétaires et promoteurs immobiliers qui auront effectué des travaux d’une valeur supérieure à 656 150$ pour une superficie de plancher de plus de 186 mètres carrés ou plus, dans un rayon d’un kilomètre à partir d’une gare du REM, verseront donc des redevances annuelles à l’ARTM. Les projets de logements sociaux et communautaires n’en paieront pas.

Dans le cas de la gare Bois-Franc, les redevances concernent tout le territoire de la RUI.

D’autre part, Mme Thuillier évoque le règlement piloté par l’administration Plante d’imposer un quota de logements abordables à tout nouveau projet de développement domiciliaire à Montréal.

Ce règlement controversé devait être adopté cet automne. Les promoteurs devront donc offrir un certain pourcentage de logements abordables dans chacun de leurs projets pour favoriser la mixité sociale :

« Un promoteur ne pourra plus se contenter de bâtir de luxueux condos », ajoute Mme Thuillier.

La mairesse indique que l’arrondissement a effectué un relevé des terrains disponibles (ou sous-utilisés) pour la construction domiciliaire dans le secteur.

« Il y a beaucoup de place pour construire du logement abordable », dit-elle.

Gentrification en marche

Pour Jessica Dumervil, chargée de projet pour Zoom sur la salubrité dans la zone RUI, pour le Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC), la gentrification du quartier est déjà commencée.

« Plusieurs propriétaires qui rénovent volontairement ou parce qu’ils ont été forcés par la Ville, font du profilage social une fois les travaux terminés, dit-elle. Ils priorisent des jeunes couples ou des gens seuls, sans enfants, aux revenus plus élevés, souvent des professionnels. On a vu des propriétaires augmenter de 150$ le loyer d’un appartement fraîchement rénové. »

Pour sa part, Bertrand Pouyet, ex-directeur du Conseil local des intervenants communautaires de Bordeaux-Cartierville (CLIC), commentait cet enjeu ainsi, en juin dernier:

« La gentrification est un enjeu, mais je suis optimiste qu’elle ne menacera pas la mixité sociale de la RUI.  Le meilleur moyen de lutter contre l’embourgeoisement, c’est de multiplier la construction de logements sociaux. Dans le quartier, ces dernières années, trois bâtiments ont été achetés et rénovés par des OBNL. D’autres projets sont en cours.»

Le manque de fonds pour la construction de logements sociaux constitue par contre un frein indéniable.

« C’est un enjeu politique », reconnaissait M. Pouyet, qui demeurait optimiste.

Pour lui, l’arrivée du REM se traduira avant tout par une meilleure mobilité dans le quartier, donc une amélioration de la qualité de vie.

Mme Thuillier reconnaît qu’il faut accélérer la construction de logements sociaux et abordables. Montréal a acheté plusieurs immeubles pour les rénover, dont un dans l’arrondissement.

« Mais rénover des immeubles complets demande beaucoup de planification, dit-elle. Ça ne se fait pas en quelques semaines. Il faut relocaliser les résidants. Et parfois, on doit reconstruire, pas juste réparer. »

Dans le dossier du logement, la mairesse soutient que les élus municipaux n’ont pas tous les leviers :

« Ça prend l’implication des gouvernements supérieurs, dit-elle. Le parc de logements est vieillissant, on n’a pas tous les budgets pour rénover ou construire des logements abordables. »

L’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville compte 7,1% des logements sociaux et communautaires de Montréal, soit 4455 unités, selon un rapport du Service de l’habitation de la Ville de Montréal datant de décembre 2019. L’arrondissement vient en sixième place, derrière le Sud-Ouest (14,4%), Ville-Marie (13,1%), Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (12,0%), Rosemont-La Petite-Patrie (8,9%) et Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (8,8%).

Dans l’arrondissement, Saint-Sulpice compte 1218 logements sociaux, suivi de Cartierville (1050), Sault-au-Récollet (899), La Visitation (498), Nouveaux-Bordeaux (477) et Nicolas-Viel (313).

Malgré la précarité souvent extrême de sa population, Cartierville abrite le moins grand nombre de HLM de l’arrondissement, qui sont majoritairement situés dans Saint-Sulpice. La majorité des coopératives d’habitation se retrouvent dans Sault-au-Récollet.



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