Rassemblés devant la prison de Bordeaux, le 13 août, puis le 14 août devant l’Établissement de détention de Rivière-des-Prairies, une quinzaine d’infirmières et d’infirmiers ont protesté contre leurs conditions de travail jugées «indignes». Une procédure auprès de la CNESST est même envisagée.
Parmi les infirmières et infirmiers, réunis devant la prison de Bordeaux, certains brandissent le Journal d’une infirmière en milieu carcéral, tout juste paru. Cet ouvrage se base sur le récit de plusieurs professionnels en soins travaillant en milieu carcéral à Montréal. Déterminés, ceux-ci souhaitent faire connaître leurs conditions de travail jugées «indignes».
Au moment de l’édition du Journal, «les infirmières des deux prisons présentes sur notre territoire, celle de Bordeaux et celle de Rivière-des-Prairies nous ont interpellés», relate Isabelle Roy.
Meilleure reconnaissance
D’après la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ)-Syndicat des professionnelles en soins du Nord-de-l’Île-de-Montréal (FIQ-SPSNIM), il existe de «gros enjeux en matière de santé et de sécurité au travail et de rétention de personnel».
«Elles veulent une reconnaissance du gouvernement vis-à-vis de la spécificité du travail infirmier en milieu carcéral. Actuellement, elles gagnent le salaire de base d’une infirmière. Une collègue qui travaille en CHSLD [centre d’hébergement et de soins de longue durée] va toucher des primes [ce n’est pas le cas] en milieu carcéral. Il n’existe pas de reconnaissance. Pourtant, elles ont affaire parfois à de grosses émeutes, avec gaz lacrymogène.»
Pas de négociation spécifique
Ce à quoi le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal (CIUSSS-NIM) rétorque : «Notre établissement reconnaît tout à fait la spécificité des soins en milieu carcéral. Plusieurs pistes sont explorées. Mais à titre d’établissement de santé, nous devons nous conformer aux modalités de rémunération négociées au niveau national. Le CIUSSS-NIM poursuit ses travaux de réflexion à ce sujet avec ses employés. Il s’appuie sur divers partenaires, incluant le MSSS [ministère de la Santé et des Services sociaux] et les instances syndicales. Dans un précédent message, en réponse au JDV, la direction des communications et relations avec les médias avait précisé que «les conditions salariales et de travail des infirmières qui prévalent sont toutefois déterminées au niveau national».
1) Stabilité de la profession (un personnel plus fidélisé);
2) Bonification des conditions de travail;
3) Meilleur accès au temps supplémentaire rémunéré à taux double;
4) Récupération de la prime rétroactive envisagée;
5) Reconnaissance des responsabilités et des qualifications des infirmières par rapport aux rémunérations des préposées aux bénéficiaires.
Nombreux incidents
«Un professionnel de la santé de Bordeaux a failli perdre la vie, l’an passé, parce qu’il n’y a pas de grillage de protection entre le deuxième et le troisième étage de l’une des ailes du bâtiment, s’insurge Isabelle Roy. Lors d’une intervention auprès d’un détenu agité, un membre du personnel s’est fait pousser et c’est l’agent correctionnel qui l’a rattrapé [in extremis]. Souvent, les filles viennent des soins intensifs ou des services d’urgence et ont un intérêt à venir travailler en milieu carcéral, poursuit-elle. Après un ou deux incidents, elles réalisent l’ampleur de la tâche. On les insulte quotidiennement. Elles reçoivent des menaces de viol de certains détenus. Aussi, elles se rendent compte, en plus, qu’elles perdent des sous en venant travailler en prison, alors, elles repartent.»
Salaire de base
D’après le syndicat, les infirmières ne reçoivent que le salaire de base selon l’échelle salariale de la convention collective nationale. «Elles n’ont pas accès aux primes, pour soins critiques, santé mentale, CHSLD, malgré l’intensité et la difficulté des soins, malgré le type de clientèle soignée.»
Le Journal d’une infirmière en milieu carcéral que le syndicat vient de publier décrit bien la violence quotidienne à laquelle sont confrontés les professionnels de santé en milieu carcéral.
Violence omniprésente
À cet égard, une dizaine de jours après sa prise de poste, une infirmière rapporte des faits survenus en juillet 2022 : «Aujourd’hui, j’ai eu à décrocher pour la première fois un pendu. Ça m’a complètement bouleversée (…) juste la dernière année, elles [les infirmières] en ont décroché 80! » (…) En plus, les ambulanciers ont eu toute la misère du monde à monter à l’étage pour évacuer le détenu décédé. C’est tellement à l’étroit, chaque cage d’escalier, les cellules, sans parler de l’infirmerie, les boîtes sont empilées jusqu’au plafond. On s’accroche les pieds dans les bonbonnes d’oxygène vides qui traînent là depuis des semaines et des mois. »
Retenir le personnel
La FIQ-SPSNIM veut mettre un terme à ce cercle vicieux où le personnel est continuellement formé, mais ne reste pas. Selon le syndicat, des discussions ont eu lieu au printemps avec le CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. «Il était question d’offrir une prime aux infirmières et infirmiers de Bordeaux, mais pas à celles et ceux de Rivière-des-Prairies, pendant la période estivale et de rehausser les titres d’emploi. Ce qui était une façon détournée, hors convention, de reconnaître financièrement les salariés qui travaillent dans ces services-là. Or, les infirmières et infirmiers des deux prisons ont interpellé toutes leurs collègues des prisons du Québec pour demander un soutien. Consécutivement à cette mobilisation, cette prime qui aurait dû être versée rétroactivement depuis mai ne l’a finalement pas été. L’employeur s’est rétracté sur l’ensemble des discussions et renvoie maintenant le dossier au niveau de la négociation de la convention collective qui aura lieu cet automne.»
Convention collective
«En clair, à ce stade, il n’est plus question de reconnaître la spécificité des conditions de travail des infirmières en milieu carcéral», déplore Isabelle Roy.
De fait, la FIQ-SPSNIM aurait souhaité un débouché spécifique, non inclus dans le projet d’entente de principe de la convention collective qui va être déposé en septembre prochain.
Joint par le JDV, de son côté, le Secrétariat du Conseil du trésor ne confirme pas les informations relatives à une prime spéciale pour la période estivale destinée aux infirmières de Bordeaux et rappelle que «considérant que l’entente de principe conclue à la mi-mars a été rejetée par les membres de la FIQ en avril dernier, toute mesure qui aurait été négociée et incluse à celle-ci n’est présentement pas applicable.» De poursuivre : «Par respect pour le processus en cours et les parties impliquées, le gouvernement du Québec n’émettra aucun commentaire sur ces négociations.»
Pourtant, la FIQ-SPSNIM n’établit «aucun rapport avec le rejet de l’entente en mars dernier». «J’avais des discussions avec le CIUSSS-NIM pour trouver des solutions pour le problème de rétention et pénurie de personnel, assure Isabelle Roy. Après l’envoi d’un appel d’appui dans les autres prisons, insiste-t-elle, le CIUSSS a retiré les propositions de primes qui étaient sur la table et la rétroactivité depuis le 1er mai.»
Relations tendues
Actuellement, tandis que le CIUSSS-NIM évoque des «travaux de réflexion», la FIQ-SPSNIM parle de discussions interrompues avec l’employeur qui n’envisage désormais, selon elle, que des «solutions au niveau de la négociation globale de la convention collective. Ces discussions salariales auraient pu déboucher hors convention, regrette-t-elle. Nous sommes dans une impasse au niveau des négociations.»
Ainsi, le syndicat informe le Journal des voisins qu’il va déposer une plainte à la CNESST (Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail) pour «mise en jeu de sécurité au travail et incite les membres à remplir des formulaires de déclaration de situation dangereuse.» Selon le syndicat, une quarantaine d’infirmières et d’infirmiers travaillent en milieu carcéral dans le secteur visé.
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