Ahuntsic-Cartierville a décidé de réserver ses jardins communautaires à ses seuls résidents. Il a expulsé tous les non-résidents des jardins où certains sont inscrits depuis plus d’une décennie, a pu vérifier le Journal des voisins.
Des tomates de couleurs et de calibres différents, des piments, des cerises de terre et probablement plein d’autres légumes difficiles à identifier ainsi sur pied donnent son allure bucolique au désordre organisé qui règne au jardin communautaire Ahuntsic, dans le Sault-au-Récollet. Comme dans tous les autres espaces de ce genre, on respire la quiétude.
Pourtant, en cet après-midi d’été, la colère et la tristesse ont trouvé aussi leur place en ces lieux paisibles.
«On dit juste que le nouveau règlement, qui priorise les gens d’Ahuntsic, il faut savoir l’appliquer avec humanité. Prendre en considération ceux qui étaient-là, en respectant le tissu communautaire», dit Maya Giroux, en entrevue avec le Journal des voisins (JDV).
Ses propos sont mesurés, pourtant ils coulent aussi fluides que coulent ses larmes qu’elle a du mal à retenir. Cette jardinière cultive son lopin de terre depuis 14 ans. Elle a reçu récemment une lettre de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville qui lui interdit de se réinscrire pour la prochaine saison.
La raison de ce bannissement: son code postal. Elle habite une rue après la limite Est d’Ahuntsic, à Montréal-Nord.
«Le jardin, c’est la plus grande part de ma vie. Cela fait 43 ans que je fais cela et je suis ici depuis 14 ans. Je pars mes semis en mars. Je sème en avril, mai. Je récolte en été. Tout d’un coup, je me retrouve sans rien. Sans les gens avec qui je m’occupe de mon jardin. C’est comme se faire arracher un membre», regrette-t-elle.
Ils sont 89 personnes, a appris le JDV, des résidents des arrondissements limitrophes, à avoir reçu la même lettre que Mme Giroux. Pour beaucoup, ce sont des années à cultiver leurs jardinets qui disparaissent et dont il ne subsistera que le souvenir.
«C’est un peu bizarre tout cela parce que la frontière existe administrativement, mais elle n’existe pas entre les gens», observe Monique Laberge, amie de Mme Giroux et cultivatrice. Elle ne quittera pas le jardin communautaire, car elle habite à Ahuntsic-Cartierville.
Priorité aux résidents
À Ahuntsic-Cartierville, on explique que ce changement est motivé par le nombre grandissant de résidents de l’arrondissement qui attendent d’avoir eux aussi un jardinet. La liste d’attente compte 496 personnes.
«Les arrondissements gèrent les programmes des jardins communautaires et certaines règles peuvent être modifiées selon la situation. Il y a plusieurs années, il n’y avait pas de liste d’attente pour des jardins communautaires et l’arrondissement était très souple dans les règles d’attribution des jardinets. Ainsi, plusieurs personnes habitant dans les autres arrondissements – souvent ceux près d’Ahuntsic-Cartierville – pouvaient s’inscrire dans nos jardins communautaires», explique le service des communications de l’arrondissement dans un échange de courriels avec le JDV.
La lettre au ton sec qui expulse Mme Gitroux et des dizaines d’autres personnes expliquait plus ou moins la situation.
«Cette décision a été prise afin de diminuer le temps d’attente pour obtenir un jardinet à l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville», lit-on.
Le courrier indiquait aussi que le financement de ces jardins était assuré par les budgets des arrondissements. Mme Giroux était invitée à demander une place dans un jardin communautaire de son arrondissement.
Il y a 1000 jardinets répartis sur 8 jardins communautaires à Ahuntsic-Cartierville. Selon les informations disponibles publiquement, il existerait tout au plus une centaine de jardinets à Montréal-Nord.
«J’écoutais la nouvelle qui disait que, mon Dieu, Montréal est devenue la capitale de l’agriculture urbaine. Peut-on avoir un plus bel exemple que ces jardins? Tu te pètes les bretelles et en même temps tu mets à la porte les gens qui entretenaient leurs jardins et qui faisaient ta réputation de ville agricole», lance Mme Laberge excédée.
Clause grand-père
Au-delà de l’application du règlement, les jardiniers exclus se demandent pourquoi il n’était pas possible de maintenir les anciens exploitants des jardinets.
«On peut faire cela en réservant les jardinets qui se libèrent aux seuls résidents de l’arrondissement», note Mme Laberge qui vient soutenir son amie.
Pour l’arrondissement, le règlement s’applique depuis trois ans déjà. Tous les nouveaux inscrits pour les jardins communautaires doivent résider à Ahuntsic-Cartierville.
«Les jardins communautaires sont des équipements locaux de proximité et la forte demande des résidents et résidentes de l’arrondissement nous a poussés à leur donner préséance pour avoir accès à un jardin communautaire», indique-t-on.
Alors que l’on tente par tous les moyens de récupérer la moindre parcelle de terre au bénéfice de ses résidents, à Ahuntsic-Cartierville, on poursuit en même temps le développement de nouvelles surfaces à cultiver.
L’administration cite les projets collectifs d’agriculture urbaine. Au courant de l’agriculture, un jardin de production maraîchère éducatif, le potager du Centre culturel et communautaire de Cartierville sera bientôt inauguré. Deux espaces nourriciers sont aménagés aux parcs de Salaberry et Saint-Simon.
«Un troisième projet d’espace nourricier sera réalisé en collaboration avec l’école Évangéline. Prévu pour l’été 2024, il comprendra une zone pour les arbres fruitiers et les petits fruits et des espaces pour la culture potagère», énumère le service des communications de l’arrondissement.
Au moment de publier, l’arrondissement de Montréal-Nord n’avait pas encore expliqué au JDV comment il pourrait répondre aux demandes de ses résidents qui viennent de se faire expulser de leurs jardinets situés à Ahuntsic.
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Oui aux nouvelles règles, mais pourquoi ne pas permettre une clause dite ”grand-père” comme cela est souvent le cas dans d’autres secteurs de la société ? Plusieurs des résidents de ces jardinets sont plus âgés, ont souvent plus de temps à consacrer à du travail bénévole dans les jardinets, ce qui contribue à aider tout le monde. Par ailleurs, un peu plus d’humanité, de sagesse, et de réflexion, de la part de l’arrondissement aurait peut-être permis de trouver une autre solution que celle de montrer la porte (des jardinets) à ces résidents. Et avant qu’on me dise que mon jupon dépasse, je précise être cofondatrice du JDV, toujours chroniqueure, et mon frère possède un jardinet dans un de ces emplacements, lui qui bénévole à qui mieux mieux! Mon paternel, qui fut, il y a une décennie, un élu montréalais, doit se retourner dans sa tombe!