Dans un précédent article, le Journal des voisins (JDV) présentait l’état des lieux des machines de loterie vidéo localisées dans les quartiers pauvres de notre arrondissement. La situation observée aujourd’hui est le résultat d’une lente évolution du jeu lui-même et de la perception que la société peut en avoir.
Jean-François Biron, expert de santé publique sur les jeux de hasard et d’argent à la Direction régionale de santé publique de Montréal, explique dans cette première partie de l’entrevue qu’il a accordée au JDV l’historique de l’apparition de ces machines. Il souligne comment la science a pris conscience de leur danger.
Chose certaine, personne n’a décidé de cibler les quartiers défavorisés quand est venu le moment de déployer les appareils de loterie vidéo.
JDV: Comment en est-on arrivé à proposer des machines de loterie vidéo?
Jean-François Biron: Quand Loto-Québec a été créée, à la fin des années 1960 [NDLR: en 1969], c’était essentiellement des billets avec des prix qui étaient proposés. Les gens achetaient des billets de loterie. C’était des tirages. Il n’y avait pas de casinos et il n’y avait pas ce type de jeu-là [les machines de loteries vidéo]. Il faut quand même se rappeler que cela a été commercialisé dans un contexte où il y avait une acceptabilité sociale, un engouement.
C’était un peu une surprise, comment tout cela a émergé. Des billets de gratteux et des billets de loterie instantanés ont été créés, et des tirages de toutes sortes se sont développés. Et la publicité commençait, mais les gens gagnaient des prix. Donc ce n’était pas vu comme quelque chose de négatif.
Les problèmes de dépendance aux jeux de hasard n’étaient-ils pas connus?
Peu de gens connaissaient les réels problèmes. Il y a toute une culture au départ qui était assez favorable au jeu.
Aucune étude n’avait été publiée?
Oui, il existait des livres qui parlaient de jeux pathologiques, mais c’était quand même considéré comme des cas extrêmes. Il n’y avait pas beaucoup de science de développée autour de ça.
Quand sont apparues les machines de loterie vidéo?
C’est arrivé plus tard. Les casinos sont apparus et la technologie a rendu accessible les appareils électroniques. Tout cela a commencé à se développer. Dans les bars sont apparus les appareils illégaux. Ce n‘était pas comme les appareils qu’on a aujourd’hui. Il y en avait de toutes sortes. C’était un peu le bordel, mais c’était illégal. Des saisies ont commencé à avoir lieu. Puis il y a eu un débat sur la création de casinos. C‘est à partir de ce moment-là qu’un changement a eu lieu. Une tension plus grande s’est révélée entre les gens qui étaient favorables et ceux qui l’étaient moins au début des années 1990.
Qui le premier a parlé des problèmes de dépendances au jeu?
Ce sont surtout des psychologues qui en ont parlé [en premier]. La science a commencé à s’en rendre compte. C’était reconnu dans le DSM [Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Manuel diagnostic et statistique en santé mentale] que c’était comme un problème de santé mentale.
Au début des années 2000, il y a eu vraiment une prise de conscience que beaucoup d’argent est généré par les appareils de loterie vidéo. La stratégie adoptée pour lutter contre le crime organisé, était [de remplacer les machines illégales par] le jeu légal. C’est arrivé graduellement. Les gens ont demandé aussi à ce qu’il y en ait moins. C’est aussi à partir du début des années 2000 que des services d’aide ont commencé à être offerts pour les gens qui ont des problèmes de jeu. Une réflexion a été amorcée pour justement réduire le nombre d’appareils.
Je pense qu’à ce moment-là il y a eu une prise de conscience chez les politiciens et qu’au Québec on était pris un peu avec ça.
Depuis quand la Santé publique alerte-t-elle sur le phénomène?
Cela fait un certain temps qu’on le fait à l’aide de nos publications et de la cartographie qu’on a publiées. Ça a amené à une réduction du nombre de machines, quand même. Avec le temps c’est sûr que notre rôle est de continuer à faire connaître cette problématique pour qu’elle prenne moins d’ampleur.
Si on avait à refaire la chose avec ce qu’on sait maintenant, ce serait probablement fait différemment.
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