Machines de loterie vidéo dans un bar
Machines de loterie vidéo dans un bar d’Ahuntsic-Cartierville. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Face aux jeux d’argent, tout le monde peut être à risque. Cependant, les moins nantis ressentiront les effets négatifs d’une dépendance de manière plus intense. Jean-François Biron, expert de santé publique sur les jeux de hasard et d’argent à la Direction régionale de santé publique de Montréal, poursuit ses explications.

Journal des voisins: Est-ce que les gens défavorisés financièrement ou socialement sont plus à risque que d’autres de tomber dans la dépendance aux jeux de loterie vidéo?

Jean-François Biron: On sait que la proportion est plus élevée dans ces groupes-là [les personnes défavorisées]. Ceci dit, tout le monde est un peu vulnérable. Même une personne qui a des revenus adéquats et suffisants, quand elle va dans un casino, il est possible qu’elle perde plus d’argent que prévu. Les appareils sont programmés pour déjouer les mécanismes de défense habituelle au niveau du cerveau et c’est facile alors de tomber dans le piège, sans devenir dépendant, de dépenser plus qu’on avait prévu.

Comment sont déjoués les mécanismes humains de protection?

Il y a toutes sortes de choses qui sont étudiées dans ces appareils-là. Quand vous perdez des sous, les machines vont émettre les mêmes sons que si vous gagnez. Vous misez 5 $, vous en perdez trois, mais l’appareil considère que vous en avez gagné deux. Il y a aussi la rapidité à laquelle les tours de jeu se font.

Ceux qui ont moins de ressources sont peut-être pris au piège. Le fait de gagner une somme d’argent – parce que ces appareils vont distribuer quand même assez fréquemment des petits gains – est peut-être plus significatif pour eux. À ce moment-là, ils peuvent tomber dans la trappe et essayer de se refaire, de récupérer le peu d’argent qu’ils ont mis là-dedans. C’est sûr aussi que l’attrait de l’argent, c’est la façon d’améliorer sa qualité de vie ou ses conditions. Le jeu est une solution  envisagée plus sérieusement par les gens qui ont moins de ressources. Ce sont toutes sortes de choses comme cela.

Pourquoi continue-t-on de trouver les machines dans les quartiers pauvres?

Si les machines se retrouvent dans ces endroits-là, c’est parce que les gens vont dépenser plus. Ces personnes ont plus de propension à dépenser de l’argent dans ces commerces. Vous comprenez qu’à Ville Mont-Royal, un commerce avec ce type d’appareils n’attirera pas la clientèle.

Il faut que l’accessibilité soit couplée à une certaine vulnérabilité, à un certain intérêt. Si vous les mettez dans un endroit où il y a beaucoup de jeunes adultes, dans un bar, avec des activités qui attirent les jeunes, il va y avoir des gens qui vont tomber dans le panneau et qui vont dépenser beaucoup d’argent, puis qui vont revenir. Je vous dirais que ce n’est pas l’œuf avant la poule ni la poule avant l’œuf, mais c’est l’œuf et la poule. Cela va dans les deux sens.

Comment apparaît le risque de dépendance?

C’est complètement théorique de dire «je vais pouvoir gagner plus d’argent, ou bien un jour je vais gagner suffisamment d’argent pour être dans une meilleure situation». Mais en attendant d’y arriver, le chemin est long et on risque de tomber bien bas justement parce qu’on a dépensé ce qu’on a dans la poche. Pour quelqu’un qui perçoit 150 000 $ par année, gagner 500 $ ou 1000 $ dans un appareil de vidéo c’est moins payant que travailler. Cette personne-là peut tomber dans le piège d’un autre type de jeu, comme jouer au poker.

Pourquoi jouer de l’argent?

Certains mécanismes du cerveau sont stimulés. Les gens aiment jouer, aiment la sensation de jouer. Donc à un moment donné, la petite sensation de dopamine qui est sécrétée à chaque tour de jeu devient plus intéressante que de gagner un petit peu. Que ce soit les appareils de loto vidéo ou les jeux en ligne, c’est le même mécanisme qui est stimulé.

Quel est le profil des gens à risque dans le cas des jeux en ligne?

Il y a des facteurs de vulnérabilité. Il s’agit de gens qui aiment prendre des risques, qui ont moins d’autocontrôle. On trouve ces traits de caractère davantage chez les jeunes individus de sexe masculin. On va en retrouver beaucoup dans le jeu en ligne, par ailleurs. Il commence à y avoir davantage de femmes qui jouent donc, mais les femmes jouent généralement normalement, il leur faut davantage pour tomber dans cet état second induit par la machine.

Est-ce que les jeux d’argent ne sont pas aussi des alternatives à l’ennui?

Vous tombez dans le concept d’environnement favorable à la santé. C’est la même chose pour les écrans. On a eu chez les jeunes une augmentation de l’utilisation des écrans pendant la pandémie parce qu’ils ont été coupés, dans le fond, des autres options. C’était peut-être une expérience naturelle [la pandémie de COVID-19] qui démontrait carrément la pertinence des cadres de santé publique, c’est-à-dire le fait que l’environnement influence le comportement. C’est sûr que si on offre des alternatives, il y a moins de gens qui vont subir des méfaits, qui vont vivre des conséquences négatives.

Comment la Santé publique peut alerter des risques liés aux jeux d’argent dans les bars ou en ligne?

Notre rôle en tant que Santé publique, c’est de faire connaître au départ le fait que ce n’est pas qu’un problème d’individu. C‘est aussi un problème denvironnement. Les appareils sont programmés pour déjouer les mécanismes [de défense] des joueurs.

C’est dans nos recommandations, pour ce qui est du jeu en ligne. Dans notre dernier fascicule, on demande clairement qu’il y ait un encadrement de la promotion actuellement parce qu’on est entré par la promotion d’activités dont on démontre les risques. Mais nous sommes un acteur, on n’est pas les décideurs.

Comment faire passer le message aux personnes concernées avant que ça ne devienne une dépendance trop difficile à combattre?

Bien en fait, c’est ça que nous faisons en général. Nous mettons [les recommandations] sur nos plateformes, dans nos publications comme telles. Nous avons aussi, par exemple, des activités de sensibilisation, de prévention qui se font auprès des jeunes dans les milieux scolaires. Nous avons une collaboration avec la maison Jean Lapointe. Nous avons une activité qui s’appelle la face cachée des écrans. On aborde d’une part un peu le phénomène du jeu en ligne parce que ce sont les jeunes qui sont concernés. Parfois des campagnes sociétales sont faites par le ministère de la Santé sur les dépendances, comme la campagne de prévention de la dépendance, une fois par année. C’est surtout fait auprès des jeunes.

On s’assure qu’il y ait une bonne visibilité pour que le message passe. C’est sûr qu’après ça, nous ne sommes pas dans le bar.


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