Le cloporte. Illustration : Anne Frédérique Préaux / GUEPE

Matin frais et couvert, bruine légère. Le sol détrempé amplifie l’odeur terreuse de la forêt. En m’enfonçant dans le sous-bois, mon regard est attiré par un vieux tronc d’arbre tombé, couvert de mousse.

 À genoux, je soulève doucement un morceau d’écorce pour y découvrir un petit monde en ébullition. Un mille-pattes, qui, malgré son nom, n’a pas mille pattes, se recroqueville sur lui-même. Des dizaines de cloportes restent immobiles, parfaitement camouflés. Cousins des crevettes et des homards, ces crustacés se distinguent par leur mode de vie terrestre, assez rare dans leur groupe. Tout près, un ver de terre s’enroule paresseusement, et de minuscules collemboles sautillent entre les débris. Ils possèdent un long appendice fourchu au bout de leur abdomen qui leur permet de se propulser dans les airs comme sur un ressort. Les filaments blancs du mycélium, la partie souterraine des champignons, forment un réseau dense à travers le bois en décomposition.

Mille-pattes enroulé sur lui-même. Photo prise au parc de la Merci (Ïle Perry). Anne-Frédérique Préaux / GUEPE

Ce rondin, en apparence inutile, est une véritable centrale de recyclage. Les plus gros décomposeurs (ou les détritivores, comme les vers ou les mille-pattes) fragmentent les matières organiques, les rendant plus accessibles aux micro-organismes, soit les bactéries et les champignons, qu’on appelle souvent des moisissures. Ces derniers dégradent ensuite la matière grâce à des enzymes, et transforment le bois, les feuilles, les excréments, les restes d’animaux morts en nutriments essentiels, comme l’azote ou le phosphore, que les racines des plantes pourront absorber. Ce cycle, où rien ne se perd et tout se transforme, c’est le processus de la décomposition.

Champignon schizophylle sur du bois mort. Photo prise au parc naturel du Bois-de-Saraguay par Anne Frédérique Préault /GUEPE

 Les décomposeurs

On sous-estime souvent ce qui se trouve sous nos pieds. Dans la forêt, on lève les yeux vers les arbres, les oiseaux, la canopée. Mais ce sont les fondations invisibles du sol qui assurent la survie de tout le reste. Sans les décomposeurs, les forêts seraient vite ensevelies sous des couches de feuilles mortes, et la vie végétale cesserait peu à peu, faute de nutriments disponibles. Ces organismes discrets rendent un service écosystémique fondamental : ils entretiennent les sols, recyclent la matière et participent à la régulation du carbone.

Ces petites créatures timides sont souvent perçues comme insignifiantes, sales, ou nuisibles. On évite de les regarder, on les écrase sans y penser, ou on les chasse par dégoût. Pourtant, ces décomposeurs jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de la nature.

Cloporte qui récupère de l’eau pour respirer
à l’aide de ses branchies. Photo prise au parc naturel du Bois-de-Liesse par Anne Frédérique Préault / GUEPE

 Le compostage

En quittant la forêt, je pense à mon bac brun. Quand le camion de collecte l’amène au centre de transformation et qu’on y traite son contenu, c’est comme si on imitait ce processus dans la forêt. Dans les tunnels de maturation du compost, bactéries et champignons reprennent le travail : ils décomposent les restes alimentaires, les transformant en gaz et en terreau fertile.

Dans certains secteurs d’Ahuntsic-Cartierville, la collecte des résidus alimentaires est bien implantée, ou elle commence. À l’échelle de Montréal, on redouble d’efforts pour valoriser les matières organiques et réduire l’enfouissement des déchets. Une nouvelle étape débute avec l’ouverture du Centre de traitement des matières organiques (CTMO), qui permettra de transformer les déchets alimentaires en compost à grande échelle. Et tout cela repose sur le travail silencieux de millions de petits êtres.

Ce matin, la forêt m’a rappelé une vérité simple : même les plus petits rendent service et jouent un rôle immense. Et si, au lieu de les ignorer, on s’en inspirait ?

Cet article a été publié dans la version papier du JDV de juin 2025.



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