Il y a 45 ans, le Monde à bicyclette voyait le jour à partir des cyclofrustrations de ses membres fondateurs. C’est le début d’une aventure qui durera plusieurs décennies. Voyez plus loin comment l’un des principaux artisans du Comité logement Ahuntsic-Cartierville (CLAC) y a pris part.
Des archivistes travaillant pour l’organisme Encore du Monde à Bicyclette, sous le parapluie de Cyclo Nord-Sud, multiplient les initiatives pour rappeler la mémoire d’un organisme qui a bouleversé l’histoire de Montréal. Ils proposent une exposition gratuite sur les exploits du Monde à Bicyclette (MAB) à la Maison de la culture Notre-Dame-de-Grâce, jusqu’au 6 juin.
Revenons en arrière. Le MAB voit le jour dans un petit appartement du Plateau Mont-Royal sous l’impulsion d’une poignée de militants cyclistes, surtout Bob Silverman et Claire Morissette, qu’on surnommera plus tard la Jeanne-d’Arc du vélo. La piste cyclable sur le boulevard Maisonneuve, au centre-ville, porte son nom.
Le MAB s’est rapidement fait connaître par de nombreuses manifestations pour le partage de l’espace urbain. Dans les années 1970 et 1980, l’automobile régnait sans partage sur la voie publique. La bicyclette est vue comme un loisir inoffensif. Le mot « vélo » n’est pas encore entré dans le vocabulaire.
Les militants du MAB exigent que les autorités reconnaissent le vélo comme un transport actif, qu’on utilise pour aller au bureau, faire des courses, étudier, voir un spectacle. Ce que le MAB propose, c’est une « vélorution », une expression inventée par Bob Silverman, un juif montréalais anticonformiste et altermondialiste avant la lettre.
Manifs théâtrales
Le MAB se fait rapidement remarquer par des manifestations théâtrales et humoristiques. Il exige notamment un lien cyclable vers la Rive-Sud (absent jusqu’aux années 1990) en se déguisant en Moïse pour fendre les eaux du fleuve, ou en hommes-grenouilles déterminés à nager avec leur vélo jusqu’à l’autre rive. Ils circulent avec des cadres de bois attachés à leur monture, illustrant la place démesurée de l’automobile, comparée au vélo.
Ils installent même des pistes cyclables portatives en déroulant du papier noir sur des voitures stationnées. Ou peignent des pistes temporaires là où il n’y en a que pour la voiture.
Le MAB se fait aussi connaître pour ses fameux die-in à l’heure de pointe, où des centaines de cyclistes font le mort sur le bitume montréalais, question de dénoncer le manque de sécurité et d’égards pour les cyclistes.
Une manif du MAB vise le métro, alors interdit aux vélos. Une quinzaine de manifestants seront incarcérés (dont l’auteur de ces lignes). L’affaire se rendra jusqu’en Cour d’appel, qui consacre la victoire du MAB. Aujourd’hui, tous les cyclistes montréalais ont accès au métro.
L’approche humoristique et poétique attire l’attention des journalistes. Le MAB devient une vedette médiatique. Les politiciens n’auront d’autre choix que d’implanter des pistes cyclables. Parmi les premières : l’axe Nord-Sud, rue Christophe-Colombe, qui traverse Ahuntsic, et celle du boulevard Gouin, qui remonte aux années du maire Jean Drapeau.
Une ambiance unique
« J’avais lu le livre L’ironie du char écrit par Jean-Pierre Dagenais en 1982, rappelle Yvon Dinel, organisateur communautaire au Comité logement d’Ahuntsic-Cartierville (CLAC). Il était militant au MAB et moi, journaliste à Radio-Centre-Ville. Je l’ai interviewé sur les questions des transports alternatifs et je me suis finalement retrouvé au MAB. C’était au début des années 1980, et comme le MAB voulait lancer son journal, j’ai fait partie de l’équipe initiale de rédaction. »
Selon M. Dinel, le MAB a fortement contribué à l’acceptation sociale des moyens de transport plus écolos. En fait, depuis les années 1990, Montréal est reconnue comme la capitale cyclable nord-américaine, et c’est beaucoup grâce au MAB et son « successeur », Vélo Québec.
« J’avais participé à la rédaction du Dossier noir de l’automobile, paru en 1988, signé par plusieurs auteurs, dont Claire Morissette, reprend M. Dinel. On y traitait des problèmes engendrés par la domination de l’auto et le développement de modes de transports alternatifs. Trente ans plus tard, cette question est encore d’actualité. Mais, au moins, les automobilistes sont aujourd’hui conscients qu’ils doivent partager la route avec les cyclistes. »
Yvon Dinel se souvient que l’atmosphère était systématiquement à la blague au sein du MAB, malgré les enjeux très sérieux qui y étaient débattus. Claire Morissette indiquait la voie à suivre, concevait les grandes orientations politiques, Bob Silverman transformait l’action en manif poético-humoristique. Le duo se complétait bien. Les membres provenaient des milieux anglophones et francophones, à une époque où la fracture entre les deux communautés était très grande.
« Les rapports humains étaient particulièrement intéressants au sein du MAB, se souvient M. Dinel. C’étaient des gens passionnés, qui voulaient transformer la société. J’ai appris ce qu’était le journalisme militant et comment s’organiser pour changer les choses. Le MAB poussait des idées audacieuses. Au fil des ans, elles ont fait leur chemin dans l’opinion publique. »
Yvon Dinel a quitté le MAB à la fin des années 1980 pour s’engager au sein d’un organisme d’éducation populaire. Il s’est retrouvé au CLAC en 2016. Le MAB a cessé ses activités en 2000. Par la suite, Claire Morissette a fondé Cyclo Nord-Sud et contribué à la fondation de Communauto. Elle est décédée en 2007 d’un cancer du sein. Bob Silverman coule une paisible retraite à Val-David.
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