Vêtements à vendre dans la friperie Renaissance de la rue Saint-Hubert. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

L’organisme de bienfaisance Renaissance semble s’imposer comme chef de file dans l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville en matière de seconde main, avec la présence de quatre succursales. Le Journal des voisins vous brosse un portrait du marché des articles usagés sur notre territoire, entre monopole et bien commun.

La seconde main fait fureur auprès de nombre de consommateurs. Effet de mode, solution économe, recherche d’articles de collection, ou encore conviction écologique : nombreux sont les leviers de l’achat de vêtements ou d’articles d’occasion.

En 2018, la valeur totale de toutes les transactions de seconde main au Canada s’élevait à 27,3 milliards de dollars, représentant ainsi 1,23 % du PIB du pays. Le 5e indice Kijiji de l’économie de seconde main (issu en 2019) montrait par ailleurs que 82 % de la population nationale avait participé à l’économie de ce marché cette année-là: le nombre d’objets auxquels une seconde vie a été accordée a donc fortement augmenté.

Si la pandémie de la COVID-19 a amené son lot d’enjeux pour bien des foyers, soudainement touchés par l’augmentation du coût de la vie et donc par la pauvreté, le marché des articles usagés ne serait ainsi plus seulement réservé aux plus démunis. L’altruisme et la conscience écologique seraient par ailleurs les deux plus grands facteurs de ce phénomène.

Renaissance

À Ahuntsic-Cartierville, Renaissance connaît une expansion notable depuis l’arrivée de sa première filiale en 2012. L’organisme de bienfaisance compte en effet aujourd’hui quatre succursales réparties sur l’ensemble de notre territoire: un centre de dons rue Fleury (ouvert en 2012), un centre de dons rue Lajeunesse (2014, dont l’adresse a changé entre-temps), une librairie rue Fleury (2015) et enfin la boutique aux Galeries Normandie (2017).

Questionné au sujet de l’expansion de l’organisme, Éric St-Arnaud, directeur général de Renaissance, explique que «le plan de développement est basé sur le besoin»; un travail d’étude sur la consommation du quartier et ses besoins est mené de pair avec les municipalités avant l’implantation d’une filiale.

Comptant 1200 employés à temps plein, Renaissance dénombre 24 succursales à Montréal et s’impose comme le leader des articles usagés dans la métropole. Ces trois dernières années, ce sont quelque 171 000 citoyens qui sont venus faire des dons à l’organisme. Ces dons représentaient en 2020 un poids de plus de 3 millions de kg (6,9 millions de livres, nous a indiqué M. St-Arnaud): l’équivalent de 22 baleines bleues!

Vêtements à vendre dans la friperie Renaissance de la rue Saint-Laurent. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Selon Éric St-Arnaud, l’objectif de Renaissance est de recycler et de travailler au bien commun, assurant qu’«il n’y a pas un organisme à but non lucratif qui soit [un] concurrent».

En 2016, la présence d’une succursale de Renaissance avait pourtant fait des vagues sur le Plateau-Mont-Royal, où des libraires indépendants s’étaient plaints d’une concurrence déloyale. Si les OBNL travaillent tous pour le bien commun, les commerces à but lucratif peuvent en effet perdre de leur oligopole.

Exempté de taxes, d’impôts et de coûts de marchandises, Renaissance a généré plus de 69 millions de dollars de revenus en 2022 (dont une aide gouvernementale de 4,8 millions). L’économie de l’organisme est circulaire: les revenus de chaque succursale sont en effet réimplantés dans la mission sociale de Renaissance, qui offre des programmes de réinsertion sociale et professionnelle.

Qu’en est-il de nos commerces et organismes de bienfaisance ici, à Ahuntsic-Cartierville? Sont-ils affectés par la présence de Renaissance?

Monopole ou bien commun?

À Cartierville, la friperie Cartier Émilie (aujourd’hui située au 4C) occupait auparavant un local aux Galeries Normandie, celles-là mêmes où Renaissance s’installait en 2017.

Anca Niculicioiu, directrice générale de la friperie, s’inquiétait à l’époque de perdre sa clientèle. Au contraire de son nouveau concurrent, la friperie Cartier Émilie ne génère en effet pas assez de recettes pour subvenir à tous ses frais: l’organisme doit même compter sur les levées de fonds pour subsister.

«Ce que j’ai compris, moi qui aime les friperies, c’est quand j’allais au Renaissance rue Saint-Hubert, j’allais aussi à l’Armée du Salut juste à côté», témoigne Anca qui a constaté le même phénomène chez ses clients, expliquant qu’elle est finalement passée au travers avec quelques efforts nécessaires.

Du côté de la Promenade Fleury, c’est au Bazar de Saint-Paul-de-La-Croix que les résidants du quartier font leurs affaires en matière de meubles, vêtements et autres objets d’occasion. Géré par une trentaine de bénévoles répartis sur 19 comptoirs, le bazar représente une source de revenus non négligeable qui permettent à la paroisse de survivre.

«Certaines familles arrivent ici avec une valise et n’ont rien d’autre. Ici, elles peuvent venir trouver l’essentiel, que ce soit une paire de bottes ou un grille-pain à deux dollars», témoigne Daniel Gaudry, responsable du bazar.

Pour lui, Renaissance constitue certes un concurrent mais il tempère: il n’y aucune interférence et le chiffre d’affaires ne s’en est pas retrouvé affecté. Toutefois, une bonne partie des dons de la population n’arrive plus au bazar, par la présence de deux centres de dons Renaissance à proximité. Manuel Fonseca, bénévole depuis 30 ans au bazar, n’a pas l’air d’y voir un problème: «Il y a beaucoup de stock», assure-t-il en écarquillant les yeux autour de lui.

Jean-Charles Pradères, propriétaire du magasin de musique Le Rappel, sur la rue Fleury. (Photo: Toma Iczkovits, collaboration spéciale)

Jean-Charles Pradères, propriétaire du magasin de disques Le Rappel, peut quant à lui compter sur sa clientèle fidèle et spécifique, bien que l’arrivée de la librairie Renaissance à proximité en 2017 ne l’ait pas franchement enchanté:

«C’est sûr que ça affecte, si tu veux aller chercher un revenu. Car c’est départagé maintenant. Et le fait qu’ils [Renaissance] n’aient pas de taxes à payer», commente Jean-Charles Pradères. 

Il ajoute que la mission sociale de l’organisme concurrent est «nécessaire» et qu’il n’a rien contre, constatant toutefois que «si un client a 20 $, il l’aura auparavant dépensé dans des commerces à but lucratif de la Promenade. Un jour, il a toujours ce 20 $, mais il ira le dépenser dans un organisme à but non lucratif».

Jean-Charles Pradères profite de sa réputation et de sa localisation idéale: pas de parcomètre devant sa boutique, qui occupe le local depuis maintenant 28 ans. Pour lui, aucun doute non plus: ses disques sont plus abordables et en meilleur état. Ses clients n’hésiteraient d’ailleurs pas à lui en faire part.

Visée socioécologique

Renaissance se targue d’être un «tremplin» pour les nombreuses personnes qui suivent un parcours d’insertion rémunéré (à 35 h/semaine sur 27 semaines, en vue d’évoluer au sein des magasins Renaissance), autant que pour celles qui visitent ses centres d’aides à l’emploi (dont l’un se trouve aux Galeries Normandie). Le taux de placement de Renaissance affichait en effet 83,5 % sur l’année 2021-2022.

Fort de son expansion, Renaissance travaille aujourd’hui avec plus de 125 partenaires d’OBNL et lance des projets ambitieux, tels que son projet pilote de réduction des déchets textiles. Au Québec, la consommation annuelle de produits textiles neufs est estimée à 343 000 tonnes et à 170 000 tonnes pour les vêtements usagés.

«La force de Renaissance va être d’aider l’employabilité, tandis d’autres organismes peuvent se concentrer sur l’alimentaire. Chacun sa force. Il faut travailler ensemble et s’entraider pour le bien commun», assure Éric St-Arnaud qui explique que son véritable compétiteur, c’est le temps.

«Vous allez toujours aller à l’épicerie […] faire des commissions nécessaires à la vie quotidienne. Mais faire un don, vous allez prendre le temps sur votre temps personnel», explique le directeur général de Renaissance.

Un problème largement réglé par l’implantation de quatre succursales en moins de dix ans, placées stratégiquement aux quatre coins de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville, pour réduire le kilométrage du prochain donateur.



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