L’indifférence ambiante face au patrimoine bâti n’a d’égal que la négligence affligeante avec laquelle on le laisse trop souvent dépérir ou disparaître. À part quelques personnes passionnées, bien peu de gens ont conscience de la richesse et de la diversité patrimoniale dont recèle un arrondissement comme Ahuntsic-Cartierville.
C’est ce qui explique que le «Roi de la porno» ait pu raser des centaines d’arbres matures pour construire un château moderne juste en face du site patrimonial du Bois-de-Saraguay, l’un des derniers témoins de la forêt primitive qui recouvrait jadis l’île de Montréal. C’est ainsi qu’on a autorisé la construction d’imposants immeubles de facture contemporaine en plein cœur du village historique du Sault-au-Récollet, un site patrimonial cité par le ministère de la Culture il y a 30 ans.
Et alors qu’on échoue trop souvent à protéger ce qui devrait l’être, on néglige parfois de faire disparaître les nuisances visuelles qui balafrent le paysage urbain.
Qui n’est pas déjà passé cent fois devant une bâtisse ayant manifestement dépassé sa durée de vie utile, littéralement abandonnée aux éléments, dont les fenêtres sont barricadées de feuilles de contreplaqué couvertes d’affiches ou de graffitis?
Si les propriétaires se croient permis de tout faire, ou de ne rien faire du tout, c’est parce que le cadre légal leur laisse les coudées franches en mettant le droit de propriété devant presque toute autre considération.
Résultat : les laideurs, neuves ou abandonnées, se multiplient dans le paysage urbain.
La plupart du temps incapables de contrer l’appétit des promoteurs avides ou de lutter contre la négligence des propriétaires irresponsables, les autorités municipales disent manquer de moyens financiers ou juridiques. Il faut dire que la réglementation d’urbanisme, qui devrait être un rempart pour protéger notre patrimoine bâti et la qualité de l’environnement urbain, se révèle souvent être un carcan trop étroit face au droit de propriété.
En traitant la propriété privée comme un droit constitutionnel inviolable, notre système légal laisse les propriétaires jouir des privilèges associés à leur statut tout en leur imposant le moins de responsabilités possible.
Quand un immeuble est laissé à l’abandon, il peut se passer des années avant que qui que ce soit n’intervienne, comme ça a été le cas pour la caserne Bois-de-Boulogne. Lorsqu’un immeuble ayant une quelconque valeur est menacé par la spéculation, par l’usure ou par un projet de «redéveloppement» quelconque, tout le monde se renvoie la balle : le propriétaire, l’administration municipale, les gouvernements provincial et fédéral, les experts. Et, finalement, c’est généralement le marché qui a le dernier mot.
La mécanique du marché fait en sorte qu’il est parfois plus avantageux pour un propriétaire de laisser un édifice vacant, quitte à le voir se dégrader jusqu’au point où il n’est plus réparable. Certains immeubles valent en effet plus cher quand on les rase.
Nous ne sommes plus dans les années 1960, où il était de bon ton de faire table rase du passé en faisant disparaître le vieux pour construire du neuf. Mais la recherche du profit nourrit toujours le vieux réflexe de démolir plutôt que de restaurer ou d’entretenir.
Aujourd’hui, on sait pourtant qu’il est moins polluant et plus écologique de revaloriser un vieil édifice que de le démolir pour construire. Du point de vue architectural, on crée ainsi des lieux qui ont du caractère, qui sont rassembleurs, qui font le pont entre le passé, le présent et le futur. Des lieux qui nous ressemblent, car ils sont le reflet de notre culture.
Il existe dans Ahuntsic-Cartierville de nombreux immeubles qui offrent un potentiel immense de valorisation et de nombreux besoins auxquels le marché ne sera jamais à même de répondre.
Certains exemples récents montrent que quand on veut préserver et mettre en valeur le patrimoine urbain, c’est possible. Pensons à l’ancienne résidence des Sœurs de la Providence qui est devenue le Centre culturel et communautaire de Cartierville ou au 545, rue Legendre, dans Chabanel – le District Central –, qui hébergera bientôt des ateliers d’artistes. Comme quoi il suffit parfois d’avoir une vision novatrice et un peu d’ambition pour éviter que notre patrimoine bâti ne soit bradé… ou laissé à dépérir!
Avec la collaboration de Simon Van Vliet, éditeur du JDV
Cet éditorial est paru dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février 2023, à la page 2. Surveillez prochainement les autres textes qui composent le dossier Urbanisme à la dérive.
Restez informé
en vous abonnant à notre infolettre
Vous appréciez cette publication du Journal des voisins? Nous avons besoin de vous pour continuer à produire de l’information indépendante de qualité et d’intérêt public. Toute adhésion faite au Journal des voisins donne droit à un reçu fiscal.
Nous recueillons des données pour alimenter nos bases de données. Pour plus d’informations, veuillez vous reporter à notre politique de confidentialité.
Tout commentaire sera le bienvenu et publié sous réserve de modération basée sur la Nétiquette du JDV.