Dix-huit résident·e·s de L’Amitié Saraguay se mobilisent contre l’arrêt de la prise des commandes téléphoniques dans ses locaux par le magasin IGA, situé sur le boulevard Henri-Bourassa. De gauche à droite : Louise Robin (90 ans), Gisèle Gaudet (88 ans), Jacqueline Newkirk (96 ans) et Véronique Hemmerechts (70 ans). Photo : JDV / Nora Azouz

La décision du magasin IGA, situé sur le boulevard Henri-Bourassa, de stopper  au 1er juin dernier la prise des commandes téléphoniques dans ses locaux a provoqué le désarroi d’une vingtaine de résidents de L’Amitié Saraguay. Et pour cause : ce service en vigueur depuis la pandémie de COVID-19 est devenu «vital» à leurs yeux. Serait-il sacrifié sur l’autel de la «rentabilité économique»?

Pas d’Internet, pas de minibus, pas d’épicerie… ou presque! Depuis le 1er juin dernier, les résidents qui n’ont pas accès à Internet et qui ne peuvent pas utiliser le service hebdomadaire de desserte au magasin IGA par minibus, mis en place par la résidence L’Amitié Saraguay, se sentent encore plus dépendants. Ils et elles veulent garder «leur autonomie et leur dignité», potentiellement menacées par l’arrêt définitif du service de proximité de commandes téléphoniques, décidé par leur supermarché favori. À l’heure où le commerce de proximité connaît quelques soubresauts à Ahuntsic-Cartierville, avec l’ouverture de deux Maxi, les clients âgés de cette résidence se disent «déboussolés», «sans repères». L’employée d’IGA qui recevait et préparait leurs commandes en était un assurément.

Épicerie en ligne

Certains refusent aujourd’hui d’utiliser l’offre alternative proposée : un service centralisé des commandes Web et téléphoniques, par le truchement de l’entrepôt de Voilà, nouveau service d’épicerie en ligne d’IGA, situé à Pointe-Claire. Pour mémoire, le Journal des voisins avait recensé en 2023 les coûts de livraison dans les principaux commerces d’alimentation de l’arrondissement.

Selon Veronica Hemmerechts, présidente du comité Milieu de Vie de la résidence L’Amitié Saraguay, «IGA Duchemin est un excellent magasin! Les employés sont courtois. Le magasin fait énormément de choses pour notre résidence. Néanmoins, la décision qui a été prise d’arrêter de prendre nos commandes téléphoniques sur place, ainsi que [celles] d’une deuxième résidence du secteur, Les Verrières du Golf, est une mauvaise décision.»
Au grand dam d’une demi-douzaine de résidentes réunies autour de la présidente du comité, un jeudi de juillet, cette décision semble irrévocable. À leurs dires, depuis la pandémie de COVID-19, c’est-à-dire depuis presque quatre ans maintenant, «ce service fonctionnait bien».

Voilà par IGA centralise les commandes en ligne et par téléphone, désormais. Photo : Wikimedia Commons

«Je comprends que des critères de rentabilité sont pris en compte, mais le côté humain semble complètement négligé», s’indigne la septuagénaire. «Beaucoup de personnes ont des problèmes de mobilité et dépendent du téléphone pour faire leurs achats, poursuit-elle, parce qu’elles ne sont pas en mesure de les effectuer sur Internet. À nos plaintes, la direction a simplement rétorqué : “Ce n’est plus rentable.” Mais nous dépendons de ce service. C’est cruel!»

Harmonisation des pratiques

Jointe au téléphone, dans le courant de la semaine du 22 juillet, la direction du magasin explique n’avoir fait qu’harmoniser une pratique en vigueur dans la province et valable pour l’ensemble des magasins de l’enseigne.
«IGA a ouvert un entrepôt Voilà, [où des employés] prennent désormais les commandes téléphoniques avec celles passées sur Internet.» «Nous avons contacté [les résidents de L’Amitié Saraguay] bien avant [début juin] pour leur dire que ce service téléphonique s’arrêtait afin de leur donner le temps de s’habituer au nouveau système de commandes, assure la direction. La transition [aurait dû] se faire correctement. On les a même accompagnés et on a même discuté avec la Résidence pour trouver des bénévoles.» D’après la direction d’IGA, Voilà offre un service identique à celui du magasin. «Il existe environ 290 IGA au Québec et plus aucun n’offre ce service [de commandes téléphoniques]!», conclut-elle.
Cependant, Veronica Hemmerechts dément avoir reçu le moindre courrier l’alertant de la fin du service et s’interroge du fait que l’un des deux camions livrant à la résidence soit «encore là », alors que le directeur lui aurait indiqué qu’il allait être vendu.

Résistance et solution transitoire

De plus, selon elle, le service de bénévolat a été mis en place par les résidents eux-mêmes. «Nous sommes trois bénévoles à prendre les commandes au moyen d’un formulaire fourni par IGA pour ceux ou celles qui ne peuvent plus se déplacer. [En dépit de notre] mobilité réduite, nous partons avec la liste et nous faisons l’épicerie pour tout le monde! »
Elle prévient : «Nous préférons cette solution qui ne pourra cependant pas perdurer, car des gens ont essayé le service centralisé à Pointe-Claire avec Voilà et c’est un fiasco! Cela ne fonctionne pas. Les résidents se disent déçus. Les robots utilisés ne comprennent pas tout; les promotions ne sont pas les mêmes qu’au magasin IGA; parfois, ce ne sont pas les commandes souhaitées [quantités différentes]; des difficultés de paiement sont rencontrées aussi; de plus, nous ne pouvons acheter ni vin ni bière, affirme-t-elle. Bref, nous ne sommes plus libres de nos choix!»

Une employée dévouée

«Ce que les résidents aimaient à IGA Duchemin, c’était la relation personnalisée avec Lisette, une employée du magasin qui prenait les commandes par téléphone, précise Mme Hemmerechts. Elle connaissait tout le monde, elle appelait les gens par leur nom.»
«Avec Lisette, nous avions confiance, témoigne de son côté Louise Robin, 90 ans, en prenant appui sur son déambulateur. Nous l’appelions par téléphone et elle nous aidait à faire nos achats. C’était plus intime. C’est une gentille dame. Je faisais mes courses de cette façon tous les quinze jours.»
«Quand c’est glissant, et même en été, nous sommes moins capables de nous déplacer, même ceux qui n’utilisent pas de “marchette” comme c’est mon cas, relate Gisèle Gaudet. Nous sommes obligés de marcher trois quarts d’heure ou une heure pour faire notre épicerie, maintenant, c’est épuisant.» Cette pensionnaire, âgée de 88 ans, avait pour habitude jusqu’au début juin de passer ses commandes par courriel auprès de cette même employée.

IGA Bourassa fin du service téléphonique sur place
Faire son épicerie est devenu plus compliqué pour des habitants à mobilité réduite de la résidence L’Amitié Saraguay. Photo : JDV / Nora Azouz
Plus d’efforts

«Maintenant, je suis très épuisée, ajoute pour sa part Jacqueline Newkirk, une autre résidente âgée de 96 ans. Je faisais toute mon épicerie par téléphone. Nous devons nous rendre au magasin et préparer nous-mêmes nos commandes. Heureusement, nous avons trouvé un système de bénévolat.»
«J’ai vu Lisette faire, raconte Veronica Hemmerechts. Lorsqu’un résident commandait quatre pommes, elle regardait les fruits puis les mettait dans le sac; elle choisissait comme si c’était son propre panier qu’elle remplissait. Lorsque je l’ai revue, après l’arrêt des commandes par téléphone, elle avait des larmes aux yeux, parce qu’elle perdait son monde. Oui, elle nous voit à la caisse, mais ce n’est pas pareil.»
Au fil de l’entretien, l’angoisse supplante la colère et l’incompréhension. «En hiver, qu’allons-nous faire? Beaucoup de résidents ne parlent même plus aux membres de leur famille qui auraient pu leur être utiles. Cette décision nous fait perdre encore plus d’indépendance et de dignité.»

Compromis refusé

Pourtant, dans une lettre datée du 6 juin, lue par le JDV, la présidente du comité Milieu de vie, Veronica Hemmerechts, ainsi que Sœur Marielle Dion, la directrice générale de l’établissement, font une proposition au directeur des opérations. Elles souhaitent alléger la charge de travail et les coûts supplémentaires supportés par le magasin.
Pour preuve de leur bonne volonté, les représentantes des résident.e.s proposent entre autres qu’«aucune commande de moins de 100 $ [ne serait passée désormais, si la proposition était acceptée par la direction]»; «10 $ [seraient] ajoutés à la commande pour le service de préparation par l’employée Lisette et 3 $ pour la livraison».

Extrait de la lettre du 6 juin dernier proposant à IGA Duchemin un appui financier afin de réduire les coûts générés par le service des commandes téléphoniques (L’Amitié Saraguay).

Pourtant, ce courrier est resté lettre morte. Après une relance désespérée, effectuée par courriel le 11 juin, insistant sur «l’état de détresse» et «l’angoisse» de ces personnes, le directeur des opérations d’IGA Duchemin confirme par retour de courriel, le 12 juin, avoir mis «définitivement» un terme  au service. Dans son message, Il rappelle la possibilité de passer les commandes par téléphone via Voilà. Bien entendu, en n’oubliant pas de préciser le numéro de téléphone.



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