Fin mars, une saga judiciaire d’une décennie s’est conclue par la condamnation à deux ans et demi d’emprisonnement du pasteur Mwinda Lezoka, qui dirigeait la Communauté chrétienne de Béthel, une église évangélique autrefois située boulevard Henri-Bourassa Est, dans Ahuntsic, lieu qui avait été auparavant le restaurant La veille école, et à l’origine l’ancienne école Saint-Nicolas.
De 2005 à 2009, M. Lezoka, 58 ans, a fraudé les fidèles de son église aujourd’hui disparue. Le 16 mars, le juge Yves Paradis l’a reconnu coupable pour des fraudes totalisant 268 000 $, qu’il devra rembourser à ses victimes d’ici 2029, plus une amende de 50 000 $. S’il ne paie pas l’amende, il devra purger une année supplémentaire de prison.
Les victimes ne verront vraisemblablement jamais leur argent, puisque M. Lezoka affirme être sans le sou, sans travail et dans l’impossibilité de se trouver un emploi à cause de la mauvaise réputation qu’il traîne depuis que cette affaire a attiré l’attention des médias. Il a également fait faillite. M. Lezoka a enseigné à l’Université de Montréal jusqu’en 2010, où il était membre du Comité des études de la faculté de théologie, selon le site Congoforum. Il détiendrait un doctorat en théologie.
Les victimes ont dû attendre une décennie avant cette condamnation, car Mwinda Lezoka a multiplié les voyages entre Montréal et Kinshasa, ainsi que différentes demandes de remises, auxquels se sont ajoutés des délais institutionnels. Cette cause s’est donc étirée de 2011 à l’automne 2018, date du début du procès, qui a fini par se terminer en juin 2020. M. Lezoka a même évoqué l’arrêt Jordan pour annuler les procédures contre lui, ce qui lui fut refusé. Il a toutefois porté appel de son jugement en mars dernier. Il ne s’est jamais excusé à ses victimes.
Un gourou
M. Lezoka dirigeait son église en s’assurant de «maintenir son pouvoir et son statut enviable», ainsi que «son influence et son prestige», écrit le juge Paradis, qui ajoute «qu’il bénéficiait de la confiance des membres de sa communauté».
« L’ascendant que M. Lezoka exerçait sur ses victimes a été un élément significatif pour l’obtention des différentes sommes, ajoute le juge. Les gravités objective et subjective de l’infraction sont considérables. Les circonstances aggravantes sont nombreuses. Les circonstances atténuantes sont limitées. Il est le seul responsable de la fraude. »
Plusieurs victimes ayant témoigné au procès ont tour à tour expliqué à quel point Mwinda Lezoka avait un puissant ascendant sur elles.
Fraudes à répétition
Le pasteur, originaire du Congo, a plongé son église dans un gouffre financier en investissant dans des projets immobiliers et en soutenant son train de vie. En 2005, l’Église, qui était locataire depuis 1998, achète un immeuble (auparavant le restaurant La Vieille école) au 211, Henri-Bourassa Est pour 1,2 million $, au moyen d’un prêt hypothécaire de 900 000 $. En novembre 2007, l’église est inaugurée.
M. Yonel Eugène fréquente l’église entre 2004 et 2010; il devient diacre et bras droit de M. Lezoka. Dès 2004, il prête 18 000 $ à l’église, puis 10 000 $ à M. Lezoka l’année suivante.
En 2007 et 2008, M. Eugène prête à plusieurs reprises à M. Lezoka, pour un total de 200 000 $. Il n’y a aucun contrat entre les deux hommes.
«Un contrat écrit avec le pasteur est un manque de respect envers lui, la parole de ce dernier étant sacrée», souligne le jugement.
Durant le procès, on apprendra que ces « prêts » ont précipité M. Eugène dans la dèche. À une certaine époque, il a même dormi sur les bancs de l’église.
En avril 2008, Mme Stéphanie Benoit prête 4000 $ à l’église. On lui promet un remboursement le mois suivant… qui ne s’est jamais produit. Elle prêtera encore plusieurs fois jusqu’en 2010, dont une somme de 15 000 $.
En 2008, M. Lezoka demande 8000 $ à Mme Roseline Mertil et son conjoint pour faire des réparations à l’église. Le couple devait être remboursé rapidement; il ne reverra jamais son argent.
Prêts en série
Le jugement rapporte également qu’en 2006, Mme Céline Vital indique que le pasteur réunit une dizaine de membres qui sont priés de prêter 10 000 $ chacun afin de constituer une mise de fonds pour acheter l’immeuble de l’église. Tous acceptent avec enthousiasme. Plus tard, M. Lezoka sollicite une rencontre avec Mme Vital et lui demande 10 000 $ à être avancé avant 17 h. Elle lui répond qu’elle n’a pas d’argent, mais effectuera un retrait de cette somme avec sa carte de crédit et donnera l’argent au pasteur.
En janvier 2007, M. Lezoka met de la pression envers Mme Vital et sa sœur Lucie, pour qu’elles réhypothèquent leur maison en vue de prêter une somme de 142 598 $ à l’Église. Les sœurs s’exécutent, malgré les protestations de la fille de Mme Vital et d’une autre de ses sœurs. Elles reçoivent deux paiements de 1000 $ avant que le contrat de prêt ne soit signé puis, plus rien.
Mme Marie Ange Fantilus a été membre de Bethel de 2007 à 2011. Elle prête 50 000 $ à M. Lezoka pour des réparations à l’église. En relisant le contrat, elle réalise qu’il se rapporte à un projet de construction de condominiums qui n’a rien à voir avec la communauté religieuse.
Pour pouvoir payer une maison servant à financer indirectement l’achat de l’immeuble principal de l’église, un autre fidèle, M. Fortunato Orsini, finit par payer des mensualités de 700 $ pendant de longs mois. Il verse aussi 1000 $ mensuellement pour que M. Lezoka puisse payer sa maison personnelle.
L’ex-naturopathe Orsini s’implique dans l’église de M. Lezoka de 2002 à 2010. Il est tellement investi qu’il en perd toute sa clientèle. Il finira par connaître de telles difficultés financières qu’il aura de la difficulté à se nourrir, rapporte le jugement. En 2005, il prête 40 000 $ à l’église grâce à un prêt hypothécaire qu’il ne prend même pas la peine de lire, tellement il fait confiance à M. Lezoka.
Quelques mois plus tard, M. Orsini hypothèque sa maison, alors libre de dettes, pour différentes sommes. Il ne lit pas les contrats. Après une série de transactions complexes, en 2008, des huissiers l’expulsent de sa maison parce que les dettes n’avaient pas été remboursées par l’église.
Un paria
Mwinda Lezoka dirigeait également une importante église à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. En novembre 2021, le journal La Presse rapporte que l’Église du Christ du Congo, basé dans cette ville, lui reproche d’avoir créé un climat malsain au sein de l’église, d’avoir pillé des biens et de n’avoir jamais présenté de bilan financier. Après s’être fait éjecter de son église, il aurait même été excommunié!
En octobre 2020, l’organisme français Vigi Sectes publiait une mise en garde sur M. Lezoka, rapportant les procédures légales contre lui ayant cours au Canada.
«Les chrétiens sont très nombreux à Kinshasa, une ville de plus de 14 millions d’habitants. L’église, c’est du gros business ici, au Congo et dans d’autres pays d’Afrique, la plupart des [mega-church] pasteurs sont des millionnaires», écrit l’organisme.
Diamants
Rappelons qu’en 2010, la Sûreté du Québec enquêtait sur une fraude de près d’un million de dollars et d’un trafic de diamants impliquant M. Lezoka. Ce dernier prétendait être le directeur général d’un comptoir de diamants au Congo, selon un reportage de Radio-Canada de juillet 2010.
Il aurait approché plusieurs personnes au Canada pour écouler des diamants africains, un commerce pour lequel il n’avait pas de permis de l’Agence des services frontaliers du Canada. Radio-Canada ajoute que personne ne sait s’il a réussi à les écouler au Canada.
D’autre part, en 2010, M. Lezoka aurait aussi été impliqué dans une affaire de fraude de cartes d’assurance maladie. La Régie de l’assurance maladie du Québec serait au courant de l’affaire.
Parc Safari
Entre 2006 et 2008, une employée du Parc Safari, Ruth Eugène, a détourné 973 000 $ au profit de l’Église évangélique Béthel en imitant la signature de son patron. En janvier 2015, Mme Eugène, une mère de famille qui avait alors 42 ans, a été condamnée à trois ans de prison pour cette fraude par le juge Pierre Bélisle, qui a souligné que «l’accusée a été victime d’un gourou qui a abusé de sa foi».
«Sa vie personnelle est basée sur la foi religieuse. Elle cherche un refuge. Le pasteur lui servait de guide. Elle reconnaît que celui-ci a joué dans sa tête et qu’il a détruit sa vie», écrit le juge.
Même les dirigeants du Parc Safari, fortement ébranlés par cette affaire, ont témoigné de leur compassion envers leur ancienne employée.
Le Parc Safari ne reverra jamais son argent, sauf 100 000 $ de sa compagnie d’assurance, malgré un jugement de la Cour supérieure en sa faveur en 2013. Dans cette affaire, M. Lezoka a purgé 15 mois de prison à domicile pour fabrication de faux.
L’Église a disparu
L’Église évangélique Béthel n’existe plus. L’immeuble qu’elle occupait était l’ancienne école Saint-Nicolas, bien connue pour son parement de brique rouge, érigée en 1911 au coût de 20 000 $ par les Clercs de Saint-Viateur.
L’édifice, dessiné par l’architecte M.L.R. Montbriand, fit «l’orgueil de la population» à son inauguration, selon une coupure de presse retrouvée sur le site de la Bibliothèque et des Archives nationales du Québec. Il a longtemps abrité le restaurant très couru La Vieille École, avant d’abriter l’église Bethel. Il fut démoli en 2014 pour permettre la construction de 32 condos de luxe au design plutôt quelconque.
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