Cet article est tiré du numéro de la rentrée du Journal des voisins (version imprimée) dont le dossier principal est consacré au climat.

 

Mme Dupuis-Dostie dans les jardins de sa résidence, en compagnie de sa grande amie Marjolaine Galarneau, rencontrée en 2014. Celle-ci lui rend visite presque toutes les semaines depuis. Photo : Nora Azouz

Marie-Thérèse Dupuis-Dostie, infirmière pendant 45 ans, a fêté ses 103 ans, le 30 juillet dernier aux Jardins Millen. Pendant longtemps guide au club Saint-Laurent des aveugles et au Cercle des handicapés visuels de Ville-Marie, elle a épousé sur le tard un homme mal voyant. Guide au royaume des aveugles, lumière parmi les voyants, voici le portrait d’une femme radieuse qui a choisi de sourire à la vie.

Ce qui frappe à la première vue de cette femme de 4 pieds 11 pouces [1,50 m], c’est son inextinguible énergie. Dynamique tant dans le rythme de son pas, plus qu’alerte malgré un déambulateur presque inutile, que dans la célérité de ses réponses. Mme Dupuis-Dostie va vite; elle vit vite. Ses capacités cognitives semblent à peine éreintées par le temps. De toute évidence, un beau souffle porte celle qui, à l’adolescence, avait été dispensée de sport à l’école, car sa tension était trop basse…

Amoureuse inconditionnelle du hockey, elle le restera à jamais.

Les gènes, sans doute : son père le pratiquait. Depuis la chambre de son grand-père, enfant, elle le regardait patiner, «comme à la télévision» dans la cour du collège attenant à leur maison. Si Marie-Thérèse se défend d’être «batailleuse», son histoire atteste d’une combativité certaine. Elle est avant tout une survivante.

Grippe espagnole

À l’aube des années 1920, le Québec est durement frappé par la pandémie de grippe espagnole, qui est apparue en septembre 1918, d’abord chez des soldats de Saint-Jean-sur-Richelieu. 530 000 personnes en sont atteintes et 14 000 périssent. Le village Saint-Barthélemy ne semble pas épargné. «Normalement, j’aurais dû être la 16e d’une famille de 17 enfants. Mais seuls trois de mes sœurs et quatre de mes frères ont survécu [consécutivement à des maladies infantiles ou infectieuses].»

C’était la «maladie des fièvres», selon Marie-Thérèse. «Nous étions en quarantaine avec ma grand-mère. Cécile, ma sœur, faisait beaucoup de température et son intestin a été perforé; elle est morte à 10 ans et demi. Après, nous avons retrouvé les pilules qu’elle dissimulait dans l’enveloppe du matelas. Elle ne voulait pas les prendre. Ah, quand ça ne veut pas, un enfant, ça ne veut pas!»

Une famille soudée

Bien qu’issue d’une famille nombreuse, la jeune centenaire a longtemps «été élevée avec [son] frère, car les grands étaient partis pour travailler, comme ma grande sœur Berthe [son aînée de 20 ans] ou bien pour étudier. Mes grands-parents, Maxime et Joséphine Dupuis, ont vécu chez nous aussi, précise-t-elle. Quand mon grand-père est mort subitement alors qu’il était chez le barbier, après, papa n’a plus mangé de viande [pour ne pas succomber, lui aussi, à un accident cérébral].»

En évoquant ses jeunes années, Marie-Thérèse éclate de rire. Son regard se pose sur une photo d’elle à 13 ans. «C’était la première fois que j’allais chez la coiffeuse pour faire une permanente! J’avais peur de salir ma robe blanche et mon sac à main, car elle m’avait oubliée sous le sèche-cheveux et je me suis mise à saigner du nez.»

Âgée de 13 ans, Marie-Thérèse fait sa première permanente chez le coiffeur pour sa communion. Photo : Mme Dostie-Dupuis

 Les secrets de longévité selon Marie-Thérèse

— Une bonne diète : bien manger, jamais d’alcool ni cigarette, « pas de médicament pour dormir »

— Être active et avoir des projets

— Ne pas être rancunière

— Avoir la foi en quelque chose

Un premier amour platonique

1945. Marie-Thérèse rencontre une personne non voyante, Ferdinand Dubé, qui vit alors en Gaspésie. «Il avait pris avec sa sœur un bateau, le Gaspésia [d’après elle], et ils sont restés huit jours sur l’eau pour se rendre à une conférence pour personnes aveugles organisée par les missionnaires. C’était un beau garçon. Je l’ai attendu, en vain, jusqu’à ce qu’il se soit marié.»

Une pionnière volontaire

Ce n’est que 20 ans plus tard qu’elle consent à épouser un autre homme, à l’âge de 45 ans, lui aussi mal voyant. «Les infirmières ne sortaient pas avec les garçons à cette époque, car on ne nous donnait pas de travail sinon! Nous étions toutes de vieilles filles. À l’hôpital Pasteur, où j’ai travaillé, nous étions une centaine d’infirmières célibataires!» Marie-Thérèse finit par montrer la voie en rompant avec la tradition. Selon elle, à cette époque, les institutrices subissaient le même sort, car les écoles voulaient qu’elles soient dévouées à leur tâche. «Toutes vieilles filles!», s’exclame-t-elle.

Volontaire, elle se délecte à raconter que la directrice de l’hôpital Saint-Jean [de Saint-Jean-sur-Richelieu] lui avait fait une remarque désobligeante sur sa petite taille, lors d’un entretien de recrutement. Elle lui a alors répondu : «4 pieds 11, ma sœur, c’est 4 pieds 11!» Son audace ne l’a pas pénalisée pour autant puisqu’elle a été embauchée, et une autre infirmière lui a «prêté son petit uniforme».

Toujours, y croire

Cette force de caractère lui a permis de surmonter des périodes d’incertitude. En 1988, juste après le décès de son époux, Gérard Dostie, Marie-Thérèse subit une grave opération. «Les médecins ont pris un bout de mon intestin pour agrandir ma vessie, décrit-elle. Le chirurgien a manqué son coup et j’ai travaillé toute seule mon sphincter, sans l’aide des médecins, pour agrandir moi-même ma vessie, mais je n’ai plus jamais pu reprendre mon travail. J’ai eu un an de salaire au lieu de deux.» Après un an, son employeur lui enjoint de revenir travailler en dépit de son incapacité physique et de son âge. Elle démissionne et en assume seule les conséquences sur le plan financier.

Après le décès de son époux, la retraitée forcée vit alors plus de deux décennies sans personne à ses côtés. Depuis 2012, dans sa résidence pour personnes âgées, elle continue à apprendre. Elle a commencé le violon… à 87 ans. La centenaire a aussi encore le désir de reprendre le piano.

Pas de regret

«Ce que je trouve de plus dur aujourd’hui, c’est de voir toujours des nuages. Le ciel n’est plus bleu toute une journée. Avant, lorsqu’il faisait beau le matin, l’après-midi restait beau. Je trouve que nous, nous avons eu le meilleur du climat, quand nous étions jeunes. J’aime la neige, mais que les hivers soient plus courts, cela ne me dérange pas», affirme-t-elle, sarcastique, avec un immense sourire. Avant de conclure : «À part ça, non, je ne regrette rien! Et si Jésus venait me chercher à 103 ans, je suivrais sa volonté.»



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