La prison de Bordeaux (Photo: Mélanie Meloche-Holubowski)

Derrière les murs gris et bétonnés du centre de détention pour hommes de Montréal, communément appelé « la prison de Bordeaux », des détenus conçoivent et réalisent chaque semaine une émission de radio. Un projet unique au monde qui permet à la voix des détenus de retentir au-delà de leur cellule. Cette idée radiophonique, c’est Souverains anonymes.

Le projet des Souverains anonymes a été conçu et est mené par le journaliste et enseignant Mohamed Lotfi. Encore aujourd’hui, près de vingt-sept plus tard, la voix des Souverains anonymes « fait partie des murs de la prison ».

Spécialiste des médias et des communications,  Mohamed Lotfi voulait donner une liberté d’expression aux détenus. Il a réussi à convaincre la direction de l’établissement et, depuis 1990, quelque 20 000 hommes ont participé aux Souverains Anonymes, projet soutenu financièrement par le ministère de la Sécurité publique.

D’où lui est venue l’idée de proposer un tel projet toujours en marche deux décennies plus tard?

« Je fais de la radio depuis 30 ans, explique M. Lotfi. À une certaine époque, j’en ai fait avec des sans-abri, dans la rue. Par la suite, cette expérience m’a conduit à en suivre quelques-uns qui ont fait de la prison. Une fois au centre de détention, je me suis dit: “Pourquoi ne pas poursuivre l’expérience avec tous ceux qui veulent participer ici?” », explique-t-il.

Pas une téléréalité

Deux fois par semaine, les détenus préparent avec soin leurs textes, leurs questions d’entrevues et leurs prestations musicales et poétiques.

« Je donne beaucoup d’importance à la préparation, au style qu’ils vont choisir. Il s’agit d’une façon de les responsabiliser dans la prise de parole », poursuit M. Lotfi.

L’émission et le temps de préparation permettent une certaine forme d’évasion pour les détenus, mais Mohamed Lotfi favorise plutôt l’épanouissement de chacun. Les hommes doivent réfléchir à leur passé, à leur emprisonnement et, surtout, à leur avenir.

Au fil du temps, des dizaines d’invités tels que Dany Laferrière, Joe Bocan, Roy Dupuis, Céline Dion, Yvon Deschamps, Laurence Jalbert et Martine St-Clair se sont rendus sur place afin de participer aux émissions.

Si les émissions de radio et les vidéos des détenus sont diffusées sur le site Web du groupe et sur YouTube (Webtélé), il ne s’agit pas pour autant d’une téléréalité qui tombe dans le sensationnalisme de la vie en prison, selon M. Lotfi. Il s’agit plutôt d’un moyen d’offrir une liberté d’expression à ceux qui sont détenus et une chance à la réhabilitation.

«Il est important d’ouvrir une brèche dans cet univers fermé pour que les détenus puissent s’exprimer et se forger une autre image, autre que celle du détenu. La radio et la télé leur donnent l’occasion de le faire.»

Le projet livre également aux familles des détenus un aperçu du cheminement de leur proche. M. Lotfi espère que les gens qui écoutent les Souverains anonymes réalisent que les détenus font un effort pour améliorer leur avenir.

Astiquer cette petite part…

Éric, un des Souverains anonymes, explique dans une vidéo à quel point les hommes tiennent au projet.

« Quand on vient ici, on est tous des criminels, ternis par les crimes qu’on a faits. Mohamed, c’est la personne qui peut trouver le petit bout de nous qui reste et il l’astique à chaque fois qu’on vient ici pour le faire ressortir! »

En décembre 2014, la ministre Christine St-Pierre a décerné la médaille du député à Mohamed Lotfi. Arthur Fauteux, directeur de la prison au moment de la création des Souverains anonymes, était présent lors de la cérémonie. Il a toujours cru qu’il s’agissait d’un projet novateur en matière de réhabilitation.

Selon M. Fauteux, pour les détenus, « ça force la réflexion et c’est par la réflexion qu’on est capable de voir ce qu’on a à l’intérieur. Ça permet de réfléchir. Si je veux être capable d’agir autrement, il faut d’abord penser différemment », dit-il dans la vidéo commémorant l’événement.

Pourquoi les Souverains Anonymes ?

Mais pourquoi le nom Souverains anonymes?

« Mon interprétation des Souverains anonymes, c’est que les détenus sont derrière le mur, ils ne sont pas nécessairement souverains de leur destin », dit M. Lotfi. « Et anonymes, ajoute-t-il, parce que nous ne souhaitions pas une surmédiatisation du projet. »

Mais en donnant la parole aux hommes de Bordeaux, Mohamed Lotfi leur a certainement offert un peu de liberté intellectuelle et créative.

La page Facebook des Souverains anonymes nous permet d’avoir de leurs nouvelles récentes.

En outre, le site Web des Souverains anonymes, c’est par ici.

(Article publié dans le magazine papier de février 2015 – avec la collaboration de Christiane Dupont pour les mise à jour en août 2017).



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