Patrimoine : la Maison du peintre, du Sault-au-Récollet, où vécut l’artiste André Turpin, a dû être démolie, mais elle a été rebâtie à l’identique en 2017. (Photo : P. Rachiele, archives JDV)

Quand on lui demande si les outils réglementaires et légaux existants sont suffisants pour protéger adéquatement le patrimoine bâti non classé, la mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, Emilie Thuillier, considère qu’il y a deux réponses complémentaires. 

La première est simple. Ces règles sont efficaces quand les gens demandent des permis. La seconde est plus complexe.

«Il y a des gens qui font des travaux sans faire de demande de permis. On arrive moins bien à les contrôler», observe-t-elle. Des situations se révèlent quand un inspecteur passe devant le bâtiment et observe des changements. 

«Il y a aussi les cas où les gens ne font pas d’entretien et laissent la maison se dégrader. Dans ce cas précis, nous n’avons pas d’outils réglementaires pour que l’arrondissement intervienne et exige d’un propriétaire privé qu’il fasse des travaux», regrette-t-elle. Il faut que le lieu soit considéré comme insalubre pour que l’immeuble menace de s’effondrer sur la voie publique. Toutefois, la Ville de Montréal devrait se doter bientôt d’un règlement plus sévère concernant l’entretien.

Limites

Pourtant, dans un cas précis où la réglementation a été jouée avec tous ses atouts, une vieille maison, qui avait son importance historique, n’a pas pu être sauvée. L’épisode qui aura marqué ces dernières années les esprits, c’est certainement celui de la maison de type shoebox au 10147, avenue Péloquin. Aujourd’hui, la petite demeure a disparu aux yeux des passants. Or, légalement, elle n’a jamais été démolie.

péloquin
Le 10147, av. Péloquin avant les travaux. (Photo : Philippe Rachiele, JDV)

Le nouveau propriétaire qui a construit un immeuble de trois condos sur ce site a tiré profit d’une règle en urbanisme qui autorise les transformations si moins de 50 % de l’ancien bâtiment est préservé. La moitié de la shoebox est toujours là, enfermée dans le sarcophage de la nouvelle construction. Dans ce cas précis, il est difficile de reprocher quoique ce soit aux élus. Ils sont allés jusqu’au bout de ce que leur permettait la législation municipale. 

Le 10147, av. Péloquin après les travaux. (Photo : François Robert-Durand, JDV).

En mai 2020, le Comité consultatif d’urbanisme (CCU) de l’arrondissement avait refusé la demande de démolition pour cette maison. La demande d’appel de la décision, déposée par le propriétaire, a donné lieu à un conseil d’arrondissement extraordinaire qui, un mois plus tard, a confirmé la décision. 

Même si elle ne payait pas de mine aux yeux d’un promoteur, cette shoebox était l’un des derniers témoins des propriétés acquises par la classe ouvrière dans la première moitié du 20e siècle, dans ce secteur. 

«Comment faire en sorte qu’une démolition de moins de 50 % d’un bâtiment ne tire pas vers une transformation extrême comme celle-là?» s’interroge la mairesse Emilie Thuillier. Réduire le taux à moins de 50 % semble évident, mais ce n’est pas forcément la réponse la plus efficace. Ce qui est considéré patrimonial par certains ne l’est pas pour d’autres, et la valeur historique, culturelle ou architecturale peut ne pas être la maison en entier, mais seulement une de ses composantes ou bien son aménagement paysager.

Nuances

«Une maison de base qui a été construite en 1990, parce que c’est une maison d’architecte, pourrait être considérée comme patrimoniale, et une autre de la même époque, non. Donc l’étiquette patrimoniale n’est pas aussi évidente à apposer. Les gens qui travaillent dans le domaine savent à quel point ce n’est pas simple. C’est pour cela d’ailleurs que pour certains projets, on fait ce qu’on appelle un énoncé d’intérêt patrimonial», souligne la mairesse.

La Ville de Montréal pourrait tout de même se doter bientôt de règlements avec plus de mordant en effectuant un inventaire de tout ce qui a été construit il y a 80 ans et plus. «À Montréal, c’est un travail gigantesque», observe la mairesse d’Ahuntsic-Cartierville.

Le projet de loi 69, adopté en avril 2021, oblige les municipalités à répertorier tous les bâtiments privés et publics datant d’avant 1940. «Le texte n’a d’ailleurs pas manqué d’être décrié par certains petits groupes, soulignant que tout ce qui a été bâti après 1940 n’est pas patrimonial. Certains citent l’exemple d’Habitat 67», relève Mme Thuillier.

Toutefois, cette loi permettra de déblayer le terrain pour mieux protéger une grosse partie de ce qui est patrimonial.

Le vieux survit à côté du neuf

Même si elles ont suscité de la grogne, les nouvelles constructions dans le secteur patrimonial du Sault-au-Récollet n’ont pas été autorisées au mépris de la réglementation, assure Emilie Thuillier, mairesse d’Ahuntsic-Cartierville, en entrevue avec le Journal des voisins

«Il est certain que chacun peut avoir sa propre vision des choses, mais il y a des experts en patrimoine, partout dans le monde, qui s’accordent sur une chose : on ne doit pas faire de la reconstruction à l’identique», indique-t-elle. Cela permet de comprendre pourquoi de nouvelles constructions dans le Sault-au-Récollet ont suscité questionnements et surprises.

Que les lignes soient trop modernes au goût de certains ou que les formes ne rappellent pas les maisons centenaires à proximité, cela ne signifie pas que la réglementation a été foulée au pied.

«La seule exception dans notre arrondissement a été la Maison du peintre. Tous les experts, dans les comités, au Conseil du patrimoine, nos gens à la ville, disent que ça valait quand même la peine de reconstruire à l’identique même si on a fait disparaître la vieille maison», souligne Mme Thuillier.

Cette maison, située au 2124, boulevard Gouin Est, est la reconstitution de l’ancienne bâtisse de type boomtown du début du 20e siècle, qui fut la résidence du peintre automatiste André Turpin. La maison originale était en ruine et a été entièrement démolie en 2015. Après un âpre débat, le nouveau propriétaire l’avait reconstruite à l’identique pour préserver la trame paysagère du quartier.

La Maison du peintre avant sa destruction. Photo prise en avril 2015. (Photo : Philippe Rachiele, archives JDV)

«Le site est patrimonial, mais nous ne sommes pas dans un musée. Il y a un consensus scientifique; toutes les nouvelles bâtisses, même dans le site de l’ancien village du Sault-au-Récollet, seront des constructions du 21e siècle. Parce que c’est exigé par les experts», a martelé la mairesse. 

Des choses modernes cohabitent et voisinent des choses anciennes. Il faut reconnaître qu’au fil des siècles, les maisons du village historique ne sont pas de la même période, elles ne se ressemblent pas et témoignent chacune de son époque.

«On peut très bien le faire. Il faut voir la pyramide du Louvre, c’est exactement ça. C’est un geste contemporain dans un endroit patrimonial. Dans le village du Sault-au-Récollet, c’est la même chose», illustre-t-elle.

Quels sont alors les repères pour intégrer les nouvelles constructions au milieu de l’ancien? Le Plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) devrait être beaucoup consulté dans ce cas.

Ce texte a été publié dans la version imprimée du Journal des voisins, le Mag papier de février 2023, à la page 20. Il fait partie du Dossier Urbanisme, duquel plusieurs autres articles sont reproduits. 

Des histoires d’horreur dans l’arrondissement

Un arrondissement sous pression

Utiliser les bons outils pour protéger le patrimoine



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Duff Jocelyn
Duff Jocelyn
1 Année

La position de madame Thuillier est indéfendable compte tenu qu’il ya un P.I.I.A. pour l’ancien village du Sault-au-Récollet. Les constructions récentes ne respectent pas les objectifs et critères du Plan d’implantation et d’intégration architecturale (règlement d’urbanisme 01-274, article 674.19 et l’annexe A.4-Nouveau bâtiment ou reconstruction). Peu importe le style, moderne ou non, le règlement oblige à intégrer les nouveaux bâtiments au milieu patrimonial. Actuellement, ce n’est pas fait. Il faudra corriger le tir.

tetreault robert
tetreault robert
1 Année
Répondre à  Duff Jocelyn

J’ajouterais en plus pour l’avoir vécu sur l’Urbanisme a la dérive . On paye pour établir des règlements d’urbanisme en inventant certains stratèges pour éviter des appliquer ( demande de projet particulier , réformer la règlementation afin de supposément permettre aux citoyens de mieux les comprendre , prétendre connaitre le dossier ou camoufler des données chez nos dirigeants ou encore se lancer la balle entre les services sur un projet non conforme etc. ) De penser que cette facon d’agir vas nous permettre d’obtenir un plan d’urbanisme ds le respect du patrimoine bâti ‘ Ridicule et irresponsable ‘ …les règles sont efficaces quand les gens demandent un permis . ( 1e réponse de Emilie Thuillier mairesse ) dans votre article du JDV M. Esseghir , pourtant vous étiez la dans le courrier Ahuntsic pour vous permettre de constater leur facon d’agir ! Et aujourd’hui on joue a l’aveugle pour être poli … de la poudre aux yeux ! . M. Duff Jocelyn merci de votre franchise et de vous tenir debout .

Rédaction
Rédaction
1 Année
Répondre à  tetreault robert

Il ne s’agit pas d’aveuglement, au contraire. Le journal des voisins essaye de donner l’image la plus large et la plus complète possible de la situation. Le journaliste n’exprime pas son opinion et essaye de donner la parole à tout le monde. En lisant la totalité du dossier, vous comprendrez que toutes les informations, visions et avis sont passés en revue pour vous permettre justement de vous faire une opinion éclairée.
La Rédaction

tetreault robert
tetreault robert
1 Année
Répondre à  Rédaction

‘…de vous faire une opinion éclairée. ‘ Ouvrez-vous les yeux , l’application de la règlementation d’urbanisme certains responsables s’amusent avec ! On ferme les yeux ou du faire a croire vis a vis les citoyens sur ces règlements ,on trouve même une facon de les contourner au lieu de les faire appliquer. Vous comprendrez qu’il est impossible d’obtenir un plan d’Urbanisme ds le respect du patrimoine avec la facon d’agir de ses responsables dirigeants inclus . Et dans cette article on aime mieux donner une fausse image de la réalité … remplir le citoyen !

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